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Annales gratuites Bac L : Texte de Kierkegaard

Le sujet  1996 - Bac L - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
LE SUJET

Dégagez l'intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée.

"On a l'habitude de dire que l'oisiveté est la mère de tous les maux. On recommande le travail pour empêcher le mal. Mais aussi bien la cause redoutée que le moyen recommandé vous convaincront facilement que toute cette réflexion est d'origine plébéienne (1).
L'oisiveté, en tant qu'oisiveté, n'est nullement la mère de tous les maux, au contraire, c'est une vie vraiment divine lorsqu'elle ne s'accompagne pas d'ennui. Elle peut faire, il est vrai, qu'on perde sa fortune, etc. ; toutefois, une nature patricienne (2) ne craint pas ces choses, mais bien de s'ennuyer. Les dieux de l'Olympe ne s'ennuyaient pas, ils vivaient heureux en une oisiveté heureuse. Une beauté féminine qui ne coud pas, ne file pas, ne repasse pas, ne lit pas et ne fait pas de musique est heureuse dans son oisiveté ; car elle ne s'ennuie pas. L'oisiveté donc, loin d'être la mère du mal, est plutôt le vrai bien. L'ennui est la mère de tous les vices, c'est lui qui doit être tenu à l'écart. L'oisiveté n'est pas le mal et on peut dire que quiconque ne le sent pas prouve, par cela même, qu'il ne s'est pas élevé jusqu'aux humanités. Il existe une activité intarissable qui exclut l'homme du monde spirituel et le met au rang des animaux qui, instinctivement, doivent toujours être en mouvement. Il y a des gens qui possèdent le don extraordinaire de transformer tout en affaire, dont toute la vie est affaire, qui tombent amoureux et se marient, écoutent une facétie et admirent un tour d'adresse, et tout avec le même zèle affairé qu'ils portent à leur travail de bureau."

KIERKEGAARD

(1) Populaire
(2) Aristocratique

LE CORRIGÉ

I - LES TERMES DU SUJET

Le texte porte sur la distinction entre l'oisiveté et l'ennui. Kierkegaard prend à contre-pied l'adage bien connu "l'oisiveté est mère de tous les vices".

Kierkegaard défend une vision aristocratique de l'oisiveté, opposée à l'agitation plébéienne et au travail. Le difficile est de savoir être oisif sans s'ennuyer, ce qui suppose un travail d'acculturation : c'est le rôle des humanités, c'est-à-dire des études littéraires, philologiques, historiques qui font l'homme cultivé. L'oisiveté se transmute ainsi en un loisir cultivé.


II - ANALYSE DU PROBLEME

Sören Kierkegaard commence par critiquer l'idée selon laquelle le travail est un remède au mal. Cette idée est critiquable car elle se nourrit du préjugé selon lequel l'oisiveté doit être réprouvée. Ce préjugé à son tour se nourrit de l'idée que l'oisiveté se réduit à l'ennui. A rebours de cela, Kierkegaard qualifie de "vie divine" cette vie de loisir qui ignore l'ennui.

Ce qui sauve la vie oisive de l'ennui, c'est la fréquentation des humanités. Kierkegaard indique ainsi le rôle de l'acculturation, de l'éducation. Seul l'homme instruit est digne -et en mesure- de bénéficier de l'oisiveté.

Le commun fait au contraire "affaire de tout" et se perd dans une activité frénétique.


III - UNE DEMARCHE POSSIBLE

Après avoir rappelé les grandes lignes de l'argumentation, il convient de s'interroger sur la philosophie de l'éducation et de la culture implicitement développées dans ce texte.

1 - L'aristocratisme comme oisiveté cultivée

Kierkegaard ne dissimule pas le caractère aristocratique, "patricien" de sa position. C'est le propre de l'aristocratie de vivre de façon distanciée par rapport au travail, au besoin, bref par rapport à la nécessité.

Qu'est-ce qui empêche cet aristocratisme -qui appellerait à certains égards une lecture sociologique- d'être intolérable ?

D'abord, Kierkegaard ne se livre pas à une apologie de la paresse. Il déprécie visiblement une manière de s'activer et de faire affaire de tout mais c'est pour développer l'idée que c'est l'élévation par la culture qui convertit la menace de l'ennui en vie vraiment divine.

Ce n'est pas exactement la "Skolé" au sens grec (autrement dit le loisir studieux, le loisir consacré à l'étude et pour cela libéré de la production, de la reproduction et de la guerre), c'est plutôt qu'à ses yeux, l'homme de culture, sans avoir à être expressément studieux, transforme en un vrai bien ce qui serait, sans cela de la pure inactivité.

2 - La culture en tant que bien

Cependant, cette philosophie reste aristocratique car il s'agit de tirer avant tout un bien pour soi de la possession d'une culture perçue comme ce qui donne sa qualité propre à une existence de loisir. La culture n'est pas présentée comme une chose à dispenser au prix d'un travail de diffusion et d'appropriation.

La référence à l'animal à la fin du passage est sur ce point révélatrice.

La répétition de l'activité -présentée comme " instinctive"- est présentée comme un abaissement qui juge celui qui ne sait pas -ou n'a pas pu- s'élever aux humanités.
Il y a donc un jeu d'opposition discernable dans le texte et cette opposition est hiérarchisée. Le terme en bas de la hiérarchie est dévalué car il renvoie à une gamme d'activités qui ne réalise pas l'humanité sous sa forme la plus excellente. L'oisiveté, au contraire, nous élève vers les dieux de l'Olympe.

3 - Les contreparties de l'aristocratisme : faut-il réhabiliter le travail ?

On pourrait souligner que cette posture aristocratique a sa contrepartie dans le fait que d'autres sont laborieux. Doit-on voir dans l'oisiveté un idéal de vie ? Le monde spirituel est-il exclusif de tout travail ? Pourquoi rabaisser ainsi la catégorie des choses laborieuses ? Toute activité répétée est-elle de nature à nous rapprocher de l'animal ?

Toutes ces questions nous conduisent à réfléchir, en contrepoint du texte, sur la réhabilitation du concept de travail.


IV - LES FAUSSES PISTES

- Eviter une interprétation de l'oisiveté qui la ramène à un simple désoeuvrement. Il faut cerner l'idée d'une oisiveté heureuse (cf : comparaison avec les dieux de l'Olympe ; l'oisiveté nous élève).

- Eviter les développements unilatéraux de façon à mettre en lumière le jeu d'opposition sur lequel repose le texte.


V - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR

Texte assez simple à comprendre dans sa littéralité même si la posture exacte de l'auteur est plus difficile à ressaisir.

La portée éthique générale de ce passage paraît cependant en tant que telle assez réduite...

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