Le sujet 1999 - Brevet Série Collège - Français - Questions |
Les collines, sous l'avion, creusaient déjà leur sillage d'ombre dans l'or du soir.
Les plaines devenaient lumineuses mais d'une inusable lumière : dans ce pays elles n'en finissent pas de rendre leur or, de même qu'après l'hiver elles n'en finissent pas de rendre leur neige.
Et le pilote Fabien, qui ramenait de l'extrême Sud, vers Buenos Aires, le courrier de Patagonie (1), reconnaissait l'approche du soir aux mêmes signes que les eaux d'un port : à ce calme, à ces rides légères qu'à peine dessinaient de tranquilles nuages.
Il entrait dans une rade immense et bienheureuse.
Il eût pu croire aussi, dans ce calme, faire une lente promenade, presque comme un berger. Les bergers de Patagonie vont, sans se presser, d'un troupeau à l'autre : il allait d'une ville à l'autre, il était le berger des petites villes.
Toutes les deux heures, il en rencontrait qui venaient boire au bord des fleuves ou qui broutaient leur plaine.
Quelquefois, après cent kilomètres de steppes plus inhabitées que la mer, il croisait une ferme perdue, et qui semblait emporter en arrière, dans une houle de prairies, sa charge de vies humaines, alors il saluait des ailes ce navire.
"San Julian est en vue ; nous atterrirons dans dix minutes."
Le radio (2) navigant passait la nouvelle à tous les postes de la ligne.
Sur deux mille cinq cents kilomètres, du détroit de Magellan à Buenos Aires, des escales semblables s'échelonnaient ; mais celle-ci s'ouvrait sur les frontières de la nuit comme, en Afrique, sur le mystère, la dernière bourgade soumise.
Le radio passa un papier au pilote :
" Il y a tant d'orages que les décharges remplissent mes écouteurs. Coucherez-vous à San Julian ?"
Fabien sourit : le ciel était calme comme un aquarium et toutes les escales, devant eux, leur signalaient "ciel pur, vent nul".
Il répondit :
"Continuerons."
Mais le radio pensait que des orages s'étaient installés quelque part, comme des vers s'installent dans un fruit ; la nuit serait belle et pourtant gâtée ; il lui répugnait d'entrer dans cette ombre prête à pourrir.
Antoine de SAINT-EXUPERY, Vol de nuit, 1931.
(1) région du sud de l'Argentine dont la capitale est Buenos Aires.
(2) le radio désigne ici l'employé responsable des communications par radio entre pilotes.
I - GRAMMAIRE
1) Dans le premier paragraphe, identifiez les temps des verbes et justifiez leur emploi (de "Les collines" à "neige").
2) a) Remplacez la forme verbale "il eût pu" par une autre plus usuelle.
b) A quel niveau de langue appartient la forme verbale utilisée dans le texte ?
3) Donnez la fonction du groupe "de tranquilles nuages".
4) Dans l'expression "il en rencontrait", remplacez le pronom "en" par le mot pour lequel il est mis et donnez sa fonction.
II - VOCABULAIRE
1) Décomposez le mot "inusable" en ses éléments, que vous nommerez.
2) a) Expliquez "une houle de prairies".
b) Expliquez le verbe "s'échelonnaient".
3) Deux champs lexicaux dominants traversent le texte.
Regroupez les termes qui se rattachent à chacun d'entre eux et dites à quel domaine appartient chacun de ces champs.
III - COMPREHENSION
1) Quels sont les sentiments du pilote ? Justifiez votre réponse par des exemples.
2) Le radio partage-t-il ces sentiments ? Pourquoi ?
I - GRAMMAIRE
1) Deux temps différents sont utilisés dans le premier paragraphe :
- Un imparfait descriptif : "creusaient", "devenaient".
- Un présent de vérité générale : "finissent".
2) a) "Il aurait pu".
b) La forme verbale utilisée dans le texte appartient au niveau de langue soutenu.
3) "De tranquilles nuages" est le sujet inversé de "dessinaient".
4) "Il rencontrait des troupeaux". "En" est donc complément d'objet direct de "rencontrait".
II - VOCABULAIRE
1) "Inusable" est composé du préfixe in- et du radical usable.
2) a) Il s'agit d'une métaphore : le vent provoqué par l'avion crée sur les prairies un mouvement comparable à celui de la houle sur la mer.
b) Un certain nombre d'escales sont prévues pour fractionner les deux mille cinq cents kilomètres du trajet.
3) Parmi les champs lexicaux qui traversent le texte, on peut relever :
- Le champ lexical de la mer : "navire, houle, naviguer, port, aquarium..."
- Le champ lexical de l'aviation : "pilote, ailes, ligne, escales, radio..."
- Le champ lexical du fruit : "fruit, gâtée, pourrir, vers".
III - COMPREHENSION
1) Le pilote de l'avion est visiblement serein. Il profite sans crainte de la beauté du paysage : les nuages lui semblent "tranquilles", la rade "bienheureuse".
Il sourit lorsqu'on lui propose une escale, le ciel calme lui garantissant un vol sans difficulté.
2) En revanche, le radio ne semble pas partager cette sérénité : "le radio pensait que des orages s'étaient installés quelque part". Ayant sans doute plus d'informations que le pilote (ligne 21), il est plus prudent que lui.