Suivez-nous
 >   >   >   > Texte de Edmond Rostand

Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Edmond Rostand

Le sujet  2002 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

Cyrano se confie à son ami Le Bret.

Cyrano, changeant de ton et gravement -
J'aime.

Le Bret - Et peut-on savoir ? Tu ne m'as jamais dit ? ...

Cyrano - Qui j'aime ? ... Réfléchis, voyons. Il m'interdit
Le rêve d'être aimé même par une laide,
Ce nez qui d'un quart d'heure en tous lieux me précède ;
Alors, moi, j'aime qui ? ... Mais cela va de soi !
J'aime - mais c'est forcé ! - la plus belle qui soit !

Le Bret - La plus belle ? ...

Cyrano - Tout simplement, qui soit au monde !
La plus brillante, la plus fine.
Avec accablement.
La plus blonde !

Le Bret - Eh ! mon Dieu, quelle est donc cette femme ? ...

Cyrano - Un danger
Mortel sans le vouloir, exquis sans y songer,
Un piège de nature, une rose muscade(1)
Dans laquelle l'amour se tient en embuscade !
Qui connaît son sourire a connu le parfait.
Elle fait de la grâce avec rien, elle fait
Tenir tout le divin dans un geste quelconque,
Et tu ne saurais pas, Vénus, monter en conque(2),
Ni toi, Diane, marcher dans les grands bols fleuris,
Comme elle monte en chaise(3) et marche dans Paris !

Le Bret - Sapristi ! je comprends. C'est clair !

Cyrano - C'est diaphane(4).

Le Bret - Magdeleine Robin, ta cousine ?

Cyrano - Oui. - Roxane(5).

Le Bret - Eh bien ! mais c'est au mieux ! Tu l'aimes ? Dis-le-lui !
Tu t'es couvert de gloire à ses yeux aujourd'hui !

Cyrano - Regarde-moi, mon cher, et dis quelle espérance
Pourrait bien me laisser cette protubérance !
Oh ! je ne me fais pas d'illusion ! - Parbleu,
Oui, quelquefois, je m'attendris, dans le soir bleu ;
J'entre en quelque jardin où l'heure se parfume ;
Avec mon pauvre grand diable de nez je hume
L'avril, - je suis des yeux, sous un rayon d'argent,
Au bras d'un cavalier, quelque femme, en songeant
Que pour marcher, à petits pas, dans la lune,
Aussi moi j'aimerais au bras en avoir une,
Je m'exalte, j'oublie... et j'aperçois soudain
L'ombre de mon profil sur le mur du jardin !

Le Bret, ému -
Mon ami !

Cyrano - Mon ami, j'ai de mauvaises heures !
De me sentir si laid, parfois, tout seul...

Le Bret, vivement, lui prenant la main -
Tu pleures ?

Cyrano - Ah ! non, cela, jamais ! Non, ce serait trop laid,
Si le long de ce nez une larme coulait !

Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac (I, 5)

(1) rose muscade - variété de rose rouge.
(2) conque (n.f.) - grande coquille concave, qui sert traditionnellement de véhicule à Vénus.
(3) chaise - chaise à porteur, véhicule utilisé par les nobles au XVIIe siècle.
(4) diaphane - qui laisse passer à travers soi les rayons lumineux, transparent.
(5) Roxane - l'autre prénom donné à Magdeleine Robin ; Il s'agit de la même personne, aimée par Cyrano.

QUESTIONS (15 POINTS)

A - LE GENRE THEATRAL (3,5 points)

1) Comment appelle-t-on les expressions qui sont en italique ?
(0,5 point)
A qui sont-elles destinées ? A quoi servent-elles ?
(1 point)

2) Trouvez deux autres indices qui permettent d'affirmer que ce texte appartient au genre théâtral.
(0,5 x 2) (1point)

3) Quel est le personnage principal de ce passage ? Donnez deux raisons de votre choix.
(1 point)

B - UNE FEMME ADOREE (5,5 points)

1) a. Relevez, dans les vers 6 à 8, les expressions qui caractérisent la personne aimée par Cyrano.
(0,25 x 4) (1 point)
b. Quels sont, dans ces mêmes vers, les deux procédés d'écriture employés pour valoriser la femme adorée ?
(0,5 x 2) (1point)

2) Cyrano dit de la femme qu'il aime qu'elle est "un danger mortel, (...) exquis" (vers 9 et 10).
a. Trouvez un synonyme pour chaque mot souligné, puis dites quel est le rapport de sens entre ces deux adjectifs.
(1 point)
b. Comment Cyrano présente-t-il, dans ces deux vers, l'amour que lui inspire cette femme ?
(0,5 point)
c. Relevez, dans les vers suivants (vers 11 à 15), une autre expression qui exprime cette même idée de l'amour.
(0,5 point)

3) Dans les vers 16 et 17 :
a. A qui cette femme est-elle comparée ?
(0,5 point)
b. Qui sont ces 2 personnages ?
(0,5 point)
c. Que pensez-vous de cette comparaison ?
(0,5 point)

C - LAIDEUR ET SOLITUDE (6 points)

1) "Ce nez qui d'un quart d'heure en tous lieux me précède" (vers 4)
a. Donnez la nature du mot "Ce". Par quel mot d'une autre nature peut-on le remplacer ?
(0,5 point)
b. Quelle est la figure de style utilisée pour décrire le nez ?
(0,5 point)
c. Relevez dans le texte quatre autres expressions qui se rapportent au nez.
(1 point)
d. Pourquoi ce nez rend-t-il Cyrano malheureux ?
(0,5 point)

2) a. Dans le texte, quels sont les différents signes de ponctuation qui expriment l'émotion de Cyrano.
(0,5 point)
b. Dans les vers 24 à 34, quel est le temps principalement utilisé ? Quelle est sa valeur ?
(0,5 point)

3) a. Dans les vers 35 à 38, quels sentiments Le Bret éprouve-t-il en écoutant Cyrano ?
(1 point)
b. Si vous étiez metteur en scène, quelles indications donneriez-vous au comédien qui joue le rôle de Cyrano pour interpréter les vers 35 à 38 ?
(1,5 point)

REECRITURE (4 POINTS)

Réécrire le texte des vers 26 à 34 (de "Oui, quelquefois," jusqu'à "le mur du jardin !") en mettant tous les verbes à l'imparfait et en remplaçant je par nous.
(au vers 32, vous remplacerez "moi j'aimerais" par "nous nous aimerions").

LE CORRIGÉ

I - QUELLE ANALYSE POUR CE SUJET ?

Le questionnaire porte principalement sur les aspects "techniques" du texte théâtral : reconnaissance du genre, exigences de la mise en scène...
Beaucoup de questions abordent aussi le personnage de Cyrano et l'analyse de son sentiment amoureux, tout en contradictions.
Il n'y a pas de réelle difficulté pour un candidat qui aura étudié consciencieusement le texte, notamment sur le plan stylistique.

II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Ce qui peut surprendre le candidat, c'est la nature théâtrale du texte, bien que ce soit un thème abondamment étudié en classe de troisième.
Le registre de langue pouvait aussi gêner certains, ainsi que les vers et les rimes.
Cependant, une fois ces écueils dépassés, le texte est suffisamment émouvant pour susciter l'intérêt.
De plus, il aborde un thème universel : l'amour impossible et les chagrins qu'il engendre.

III - UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

QUESTIONS (15 points)

A - LE GENRE THEATRAL (3,5 points)

1. Les expressions en italiques sont des didascalies. (0,5 point)

Elles sont destinées au metteur en scène, ce sont des indications scéniques de l'auteur, concernant les déplacements, le ton des acteurs, la mise en espace, le décor...
Elles sont également destinées au lecteur de la pièce de théâtre qui imagine ainsi le spectacle. (1 point)

2. Les deux autres indices qui permettent d'affirmer que ce texte appartient au genre théâtral sont : l'indication du nom des personnages avant chaque réplique, le discours direct. (1 point)

3. Le personnage principal de ce passage est Cyrano.

C'est lui qui a les plus longues répliques, Le Bret n'étant qu'un faire-valoir.
De plus, il s'épanche auprès de son ami, lui racontant, ainsi qu'au lecteur ou spectateur, ses peines de coeur à cause de son amour impossible pour sa cousine Roxane.
Le "je" est omniprésent dans l'extrait au ton lyrique. "Mon ami, j'ai de mauvaises heures ! de me sentir si laid, parfois, tout seul...". (1 point)

B - UNE FEMME ADOREE (5, 5 points)

1. a. Les expressions qui caractérisent la personne aimée dans les vers 6 à 8 sont : "la plus belle qui soit au monde", "la plus brillante, la plus fine", "la plus blonde". (1 point : 4x0,25)

1. b. Les deux procédés d'écriture employés pour valoriser la femme adorée sont l'emploi du superlatif (hyperbole) et l'emploi d'exclamatives. (1 point : 0,5x2)

2. a. Un synonyme de "mortel" est "fatal".
Un synonyme de "exquis" est "délicieux".
Ces adjectifs sont des antonymes, des contraires. (1 point)

2. b. Cyrano présente dans ces deux vers l'amour que lui inspire cette femme : sa beauté est en fait un piège qui le perdra. Cela signale le caractère ambivalent de tout bonheur humain. Derrière la beauté se cache aussi la mort.
Rostand évoque ainsi les souffrances engendrées par la passion amoureuse, destructrice et fatale. (0, 5 point)

2. c. Dans les vers 11 à 15, l'autre expression qui exprime cette idée de l'amour est : " un piège de nature ". Vous pouviez aussi relever : "se tient en embuscade". (0,5 point)

3. a. Cette femme est comparée à deux déesses, Vénus, et Diane. (0,5 point)

3. b. Vénus est la déesse de la beauté et de l'amour.
Diane est la déesse de la chasse et de la chasteté. (0,5 point)

3. c. Cette comparaison est certes flatteuse mais elle illustre encore le double aspect de l'amour, évoqué plus haut, les deux déesses représentant des valeurs contraires.
Cette comparaison renforce l'effet hyperbolique qui sous-tend tout le texte. (0,5 point)

C - LAIDEUR ET SOLITUDE (6 points)

1. a. Dans "ce nez qui d'un quart d'heure en tous lieux me précède", "ce" est un adjectif démonstratif.
On pourrait le remplacer par un adjectif possessif : "mon" nez. (0,5 point)

1. b. La figure de style utilisée pour décrire le nez est une métaphore. (0,5 point)

1. c. Voici quatre autres expressions qui se rapportent au nez : "protubérance", "mon pauvre grand diable de nez", "mon profil", "le long de ce nez" (1 point)

1. d. Ce nez rend Cyrano si malheureux parce qu'il sait que ce physique disgracieux ne lui permettra pas de faire naître un quelconque sentiment d'amour de la part de Roxane.
Ce défaut physique le complexe et n'est pas représentatif de ses qualités humaines personnelles. (0,5 point)

2. a. Les différents signes de ponctuation qui expriment l'émotion de Cyrano sont les points d'exclamation et les points de suspension. (0,5 point)

2. b. Dans les vers 24 à 34 le temps principalement utilisé est le présent.

Le premier présent, "regarde-moi", est un présent d'actualité. Le deuxième présent, "je ne me fais pas", est un présent de vérité générale. Cependant la valeur de présent, qui domine dans le passage, soulignée par l'adverbe "quelquefois" est un présent d'habitude. (0,5 point)

3. a. Dans les vers 35 à 38, Le Bret éprouve de la pitié, de la compassion à l'égard de Cyrano, qu'il plaint : "tu pleures ?". On pourrait imaginer Cyrano s'effondrant, la tête entre les mains, ou se détourner du public et de son ami pour prononcer ces phrases d'une voix tremblante. (1 point)

3. b. Il faudrait mettre en valeur ce chagrin d'un homme brisé par la solitude et un amour impossible en utilisant un ton plaintif, comme celui d'un tout petit enfant. Cyrano ne parle plus, il geint. (1,5 point)

REECRITURE (4,5 points)

Voici ce que l'on obtient en passant de la première personne du singulier à la première du pluriel et du présent à l'imparfait :

"Oui, quelquefois, nous nous attendrissions, dans le soir bleu : nous entrions en quelque jardin où l'heure se parfumait ; avec notre pauvre grand diable de nez nous humions l'avril, nous suivions des yeux, sous un rayon d'argent, au bras d'un cavalier, quelque femme en songeant que pour marcher, à petits pas, dans la Lune, nous aussi nous aimerions au bras en avoir une, nous nous exaltions, nous oublions, et nous apercevions soudain l'ombre de notre profil sur le mur du jardin.

2022 Copyright France-examen - Reproduction sur support électronique interdite