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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Michel Tournier

Le sujet  2004 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

Ce matin-là, l'aire du Muguet avait des couleurs si riantes sous le jeune soleil que l'autoroute pouvait paraître en comparaison un enfer de bruit et de béton. Gaston avait entrepris de faire le ménage dans la cabine et avait déployé toute une panoplie de chiffons, plumeaux, balayettes et produits d'entretien sous l'œil ironique de Pierre qui était sorti pour se dégourdir les jambes.
- J'ai calculé que cette cabine, c'est l'endroit où je passe le plus d'heures de ma vie. Alors autant que ça soit propre, expliqua-t-il comme se parlant à lui-même.
Pierre s'éloigna, attiré par l'atmosphère de fraîcheur vivante du petit bois. Plus il s'avançait sous les arbres bourgeonnants, plus le grondement de la circulation s'affaiblissait II se sentait envahi par une émotion étrange, inconnue, un attendrissement de tout son être qu'il n'avait jamais éprouvé, si ce n'était peut-être il y avait bien des années en s'approchant pour la première fois du berceau de sa petite sœur. Le feuillage tendre bruissait de chants d'oiseaux et de vols d'insectes. Il respira à pleins poumons, comme s'il se retrouvait enfin à l'air libre après un long tunnel asphyxiant
Soudain, il s'arrête. A quelque distance, il aperçoit un tableau charmant. Une jeune fille blonde en robe rose assise dans l'herbe. Elle ne le voit pas. Elle n'a d'yeux que pour trois ou quatre vaches qui divaguent paisiblement dans le pré. Pierre éprouve le besoin de la voir mieux, de lui parler. Il avance encore. Tout à coup il est arrêté. Une clôture se dresse devant son nez. Un grillage rébarbatif, carcéral, presque concentrationnaire avec son sommet arrondi en encorbellement hérissé de fils d'acier barbelés. Pierre appartient à l'autoroute. Une aire de repos n'est pas un lieu d'évasion. La rumeur lointaine de la circulation se rappelle à lui. Il reste pourtant comme médusé, les doigts accrochés dans le grillage, les yeux fixés sur la tache blonde là-bas, au pied du vieux mûrier. Enfin un signal bien connu lui parvient, l'avertisseur du véhicule. Gaston s'impatiente. Il faut revenir. Pierre s'arrache à sa contemplation et revient à la réalité, au semi-remorque, à l'autoroute.
C'est Gaston qui conduit. Il est encore tout à son ménage à fond, Gaston.
- C'est quand même plus propre maintenant, constate-t-il avec satisfaction.
Pierre ne dit rien. Pierre n'est pas là. Il est resté accroché au grillage qui limite l'aire du Muguet. Il est heureux. Il sourit aux anges qui planent invisibles et présents dans le ciel pur.
- T'es bien silencieux d'un coup. Tu dis rien ? finit par s'étonner Gaston.
- Moi ? Non. Qu'est-ce que tu veux que je dise ?
- Je sais pas moi.
Pierre se secoue, tente de reprendre pied dans le réel.
- Eh bien voilà, finit-il par soupirer, c'est le printemps !

Michel Toumier, "L'aire du Muguet", in Le Coq de bruyère, Gallimard, 1978.

QUESTIONS

I - Le cadre et les personnages (6 points)

1.
a) Où la scène se déroule-t-elle ? (0,5 point)
b) Trouvez deux homonymes du mot "aire", et employez chacun d'eux dans une phrase qui en éclairera le sens. (1 point)

2. lignes 1 à 14:
a) Relevez les deux comparaisons. Quelle image donnent-elles de l'autoroute ? (1,5 point)
b) Montrez, en relevant des éléments descriptifs, que l'aire du Muguet contraste avec l'autoroute. (1 point)

3.
a) Quel est le point de vue dominant adopté dans le texte ? Justifiez votre réponse. (1 point)
b) En vous appuyant sur les lignes 2 à 7 et 10 à 14, montrez que les deux hommes ont des personnalités très différentes. (1 point)

II - La rencontre impossible (5,5 points)

4. " Soudain, il s'arrête. " (l. 15)
a) Quelle est la valeur de ce présent ? (0,5 point)
b) Justifiez son emploi à ce moment du récit. (1 point)

5. "Une jeune fille blonde en robe rose assise dans l'herbe." (l. 15)
a) Quelle est la particularité grammaticale de cette phrase ? (0,5 point)
b) Comment peut-on justifier ici l'emploi d'une telle phrase ? (Vous pourrez vous appuyer sur la phrase précédente.) (1 point)

6. "Elle ne le voit pas. Elle n'a d'yeux que pour trois ou quatre vaches qui divaguent paisiblement dans le pré." (l.16)
a) Transformez ces deux phrases en une seule, en utilisant une conjonction de coordination ou une conjonction de subordination. (0,5 point)
b) Quel rapport logique avez-vous exprimé ? (0,5 point)

7.
a) Quel élément du décor empêche toute communication entre Pierre et la jeune fille ? (0,5 point)
b) Dans les lignes 19 à 21, relevez le champ lexical dominant. A quoi l'aire du Muguet ressemble-t-elle finalement ? (1 point)

III - Le difficile retour à la réalité (3,5 points)

8. Qu'est-ce qui rompt la magie de cette rencontre ? (0,5 point)

9. A la fin du texte, qu'est-ce qui, dans l'attitude de Pierre, montre qu'il a du mal à "reprendre pied dans le réel" ? (1 point)

10. Relevez et décrivez deux particularités caractéristiques de l'oral dans le dialogue final. (2 points)

REECRITURE

"Pierre ne dit rien. Pierre n'est pas là. Il est resté accroché au grillage qui limite l'aire du Muguet. Il est heureux. Il sourit aux anges qui planent invisibles et présents dans le ciel pur."

Réécrivez ce passage en remplaçant "Pierre" par "Ils", et en mettant les verbes à l'imparfait.

LE CORRIGÉ

I - QUELLE ANALYSE POUR CE SUJET ?

Il s'agit de questions de compréhension qui doivent permettre une analyse précise du texte.
Le texte est un récit de Michel Tournier, auteur contemporain, qui contient des parties descriptives et dialoguées.

II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Rien de bien difficile. Le texte renvoie à une réalité bien connue de tous, l'aire d'autoroute sur laquelle on s'arrête au cours d'un voyage assez long.
L'opposition très nette entre la nature et la route est bien tranchée et ne pouvait pas porter à confusion.

III - LES QUESTIONS (15 points)

I. Le cadre et les personnages (6 points)

1.
a) (0,5 point)
La scène se déroule sur une aire de repos d'autoroute, appelée "L'aire du muguet".

b) (1 point)
Deux homonymes du mot "aire": "air", "ère".
"L'air de la montagne est bon pour la santé".
"Nous vivons dans l'ère quaternaire".

2.
a) (1,5 point)
L'autoroute est comparée d'abord à "un enfer de bruit et de béton" puis à "un long tunnel asphyxiant". Ces comparants en font un lieu de souffrance et d'enfermement.

b) (1 point)
C'est à l'opposé de ce que la nature peut offrir de liberté et de bonheur, avec ses "couleurs si riantes sous le jeune soleil", l'"atmosphère de fraîcheur vivante du petit bois", "ses arbres bourgeonnants", "son feuillage tendre" qui bruit de "chants d'oiseaux et de vols d'insectes", etc.

3.
a) (1 point)
Le point de vue dominant est celui de Pierre (focalisation interne). Un certain nombre de mots soulignent qu'il s'agit du regard de Pierre qui ressent les couleurs comme "riantes", ou aux yeux duquel l'autoroute "pouvait paraître en comparaison un enfer".

b) (1 point)
La différence de point de vue entre celui de Gaston et celui de Pierre est évidente.
Pierre est attiré par la nature et désire s'évader de cet "enfer de bruit et de béton". Il ouvre les yeux sur les "couleurs" de l'aire, "l'atmosphère de fraîcheur vivante du petit bois", etc.
Gaston, de son côté reste englué dans son monde, celui de l'autoroute et de sa "cabine", avec ses "chiffons, plumeaux, balayettes et produits d'entretien", beaucoup moins poétique que celui de Pierre.
On remarquera malgré tout que chacun d'eux est en quête de beauté, Gaston nettoie sa cabine, Pierre est touché par la beauté de la nature.

II. La rencontre impossible (5,5 points)

4.
a) (0,5 point)
Présent de narration.

b) (0,5 point)
L'interruption de la description des émotions de Pierre se justifie par la brusque découverte d'un "tableau charmant".

5.
a) (0,5 point)
C'est une phrase nominale.

b) (1 point)
Cette phrase développe un peu à la manière d'une apposition, le groupe nominal de la phrase précédente "un tableau charmant". C'est bien un tableau et une sorte d'"arrêt sur image". Il n'y a pas lieu d'employer un verbe d'action, ni même un verbe qui rendrait moins forte l'impression ressentie par Pierre.

6.
a) (0,5 point)
"Elle ne le voit pas, car elle n'a d'yeux..." ; "Elle ne le voit pas, parce qu'elle n'a d'yeux..."

b) (0,5 point)
Le rapport logique exprimé est la cause.

7.
a) (0,5 point)
C'est la "Une clôture".

b) (1 point)
Le champ lexical dominant est celui de l'enfermement ou de la prison : "grillage rébarbatif, carcéral, ... concentrationnaire... hérissé de fils d'acier barbelés. lieu d'évasion".

III. Le difficile retour à la réalité (3,5 points)

8. (0,5 point)
Le klaxon du camion interrompt la contemplation de Pierre "un signal bien connu lui parvient, l'avertisseur du véhicule."

9. (1 point)
Le silence de Pierre montre qu'il a du mal à "reprendre pied dans le réel." "Pierre ne dit rien. Pierre n'est pas là."

10. (2 points)
Deux marques du langage familier : "T'es bien silencieux" au lieu de "Tu es bien silencieux" et "Je sais pas moi" au lieu de "Je ne sais pas moi".

IV - L'EXERCICE DE REECRITURE (4 points)

Ils ne disaient rien. Ils n'étaient pas là. Ils étaient restés accrochés au grillage qui limitait l'aire du Muguet. Ils étaient heureux. Ils souriaient aux anges qui planaient invisibles et présents dans le ciel pur."

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