Cocteau, Satie, Picasso et le scandale de Parade

. Le contexte . La première représentation . Les réactions . Les conséquences
France examen vous ouvre la porte
de la Salle des Profs.

Sandra Leroy, professeur de Français,
vous invite à découvrir l'histoire de "Parade",
premier ballet d'avant-garde qui marqua son époque.

Le contexte

1916. La guerre fait rage, des soldats meurent quotidiennement. Le front s'embrase engloutissant des milliers d'hommes. A l'arrière, la vie est bien différente. La vie artistique n'est pas arrêtée, bien au contraire. Jean Cocteau, jeune homme qui, avant guerre, était la coqueluche du Tout-Paris littéraire et mondain, vient de revenir de sa guerre où il a aidé au transport de blessés.

L'époque est à la modernité. Avant la guerre, les ballets russes de Diaghilev ont ébloui et tout particulièrement le fulgurant Nijinski. En 1913, Cocteau est resté médusé par la création du "Sacre du Printemps" de Stravinski. Il brûle de participer, lui aussi, à cette modernité et garde en mémoire l'exclamation de Diaghilev qu'il admire par dessus tout : "Etonne-moi !". La création du ballet Lui vient l'idée d'un spectacle qui devra être la synthèse de l'esprit moderne, "Parade", un ballet qui ne peut se concevoir sans Diaghilev. La musique sera signée Erik Satie et les costumes seront de Picasso. Cocteau lui, se bat pour imposer son argument, mais bientôt ses deux collaborateurs réussissent à ôter tout texte, toute parole, le privant ainsi de l'essentiel de son ?uvre. Mais qu'importe ! Cocteau cède, emporté par l'impatience de plaire au musicien et au peintre.

La préparation du ballet emmène Cocteau et Picasso à Rome où ils retrouvent Diaghilev et ses danseurs, en particulier Massine, pour les répétitions. Massine crée le ballet, sous les conseils attentifs de Cocteau. Serge Lifar écrira bien des années plus tard que Cocteau a inventé le ballet moderne dans "Parade".

La première représentation

La première représentation a lieu à Paris au théâtre du Châtelet le 18 mai 1917. Le public mondain découvre avec stupéfaction le rideau de scène de 170 m2 peint par Picasso sur lequel cohabitent entre autres, un singe montant à une échelle, un marin, un cheval ailé, un arlequin.

Sur scène, le danseur Massine mime des gestes de la vie quotidienne suivi par un cow-boy, une fillette américaine à bicyclette sur fond de crépitement d'une machine à écrire et de crécelles, seuls bruits que Cocteau ait réussi à préserver. On voit un chinois, des acrobates. Cette parade hétéroclite surprend et surtout agace le public qui manifeste bruyamment. Le spectacle s'achève dans la confusion.

Les réactions

"Si j'avais su que c'était si bête, j'aurais amené les enfants !" s'écrie une dame ou un monsieur, selon les différentes versions données par Cocteau lui-même.

La première de "Parade" fut-elle vraiment le scandale que Cocteau a bien voulu nous décrire ? Sans doute a-t-il beaucoup exagéré ce qu'il aurait voulu être une nouvelle bataille d'"Hernani".

Toujours est-il qu'il y a bien eu remue-ménage et incompréhension. Les esprits s'échauffent, Cocteau est affligé par les injures qui fusent. Ce qui devait faire rire provoque des hurlements. Les critiques sont très défavorables.

Le musicien Georges Auric rapporte que "Parade" est déclaré dans la semaine "outrageant pour le goût français". Erik Satie sera même traîné devant les tribunaux par un journaliste, et condamné à huit jours de prison tandis que Cocteau s'en sortira avec une amende.

Les conséquences

Mais ce ballet marque sans aucun doute une étape décisive. Apollinaire accepte de rédiger la présentation du spectacle où il emploie pour la première fois le terme de "surréalisme". "Un air frais venait de souffler sur notre petit monde", dira plus tard Georges Auric.

Les conséquences seront très bénéfiques. Cocteau aura réussi grâce à ce ballet à sortir de la notoriété mondaine où il était jusqu alors relégué et à entrer dans l'avant-garde.

Il transformera les critiques en autant d'encouragements :
"En effet, le public aime bien à reconnaître", écrit-il dans Le coq et l'Arlequin, en 1918.
"Il déteste qu'on le dérange. La surprise le choque. Le pire sort d'une ?uvre c'est qu'on ne lui reproche rien qu'on n'oblige pas son auteur à une attitude d'opposition."
"Ce que le public te reproche, cultive-le, c'est toi".
Jean Cocteau.

Sandra Leroy, professeur de Français, janvier 2008.