L'invention du zéro

. Le zéro de Denis Guedj . Tout a commencé par l'invention des chiffres . L'invention de la numération de position . Il faudra tout de même attendre le Vème siècle pour que le pas soit franchi . Au VIIème siècle, l'histoire du zéro est presque terminée
France examen vous ouvre la porte
de la Salle des Profs.

Daniel, professeur de Mathématiques,
vous invite à découvrir comment est apparu le zéro.

Le zéro de Denis Guedj

Régulièrement, Denis Guedj, que l'on ne présente plus depuis la publication de son étonnant Le théorème du perroquet (Le seuil 1998), vient nous rappeler que les mathématiques sont aussi du domaine des sciences humaines et que leur histoire est portée par des destinées humaines.

Dans son nouveau livre Le zéro (ÿditions Robert Laffont 2006), Denis Guedj nous invite à une plongée passionnante et passionnelle aux sources du calcul. La subtilité du propos, l'histoire des chiffres et l'apparition du zéro, n'a ici d'égale que la force d'une intrigue passionnante à travers les siècles à la suite de la belle et énigmatique Aemer. Voilà un roman magique, au style langoureux et à l'intensité dramatique très forte, qui nous fait découvrir un pays berceau de l'humanité l'Irak aux prises, aujourd'hui comme hier, avec la convoitise et la guerre.

Du seul point de vue mathématique, il est intéressant de rappeler que la naissance du zéro ne s'est pas faite en une fois. Le zéro est une création collective mondiale, fruit de nombreux inventeurs éparpillés sur tous les continents, et pour la plupart anonymes.

Tout a commencé par l'invention des chiffres

Les premiers chiffres furent des symboles utilisés pour regrouper des bâtons qui servaient à compter. Très naturellement, ces regroupements se firent par paquets de 5 ou de 10, puisqu'une main comporte 5 doigts et les deux 10.Le système décimal était né. Dans la numération romaine, apparue au 1er siècle avant JC, les symboles V X L'C remplacent des ribambelles de traits qui seraient devenues très rapidement illisibles.

Mais ce type de numération, le plus courant pendant longtemps, a le grave défaut de prendre de la place et de nécessiter toujours de nouveaux symboles (chiffres) pour écrire les nombres de plus en plus grand.

Les égyptiens, par exemple, disposaient de sept symboles pour représenter 1, 10, 100, 1000, 10 000 et jusqu'à 1 million. Mais au delà, ils ne pouvaient plus écrire de nombres. Pour écrire le nombre 9 999 999, ils avaient besoin de 63 caractères !

L'invention de la numération de position

Pourtant, bien avant cela, une idée géniale avait été trouvée, indépendamment, par les Babyloniens (1800 av JC), les Mayas (entre le Vème et le IXème siècle) et peut-être les Chinois et les Indiens (environ deux siècles av JC). Elle permettait de se contenter d'un petit nombre de symboles en attribuant au même symbole, différentes valeurs suivant son emplacement. C'est la numération de position que nous utilisons encore aujourd'hui : le chiffre 1 vaut 100 dans 143 et 1 dans 21.

Les Babyloniens, les premiers inventeurs, n'utilisaient que deux symboles pour écrire les nombres : le clou et le chevron. Ils commençaient par compter avec des clous de 1 à 9. Puis, ils utilisaient un chevron pour le 10, deux pour le 20, etc. Mais ils reprenaient le clou pour marquer 60. Ainsi donc, le même symbole pouvait représenter différentes valeurs selon la place qu'il occupait.

Mais cette numération, si elle marque à coup sûr, un progrès décisif sur le nombre de symboles à utiliser pour écrire de grands nombres, entraîne encore bien des ambiguïtés. Jusqu'au IIIème siècle av JC, les Babyloniens se contentèrent pourtant de cette écriture, en laissant des espaces suffisamment larges. Puis, ils eurent l'idée toute simple de noter, avec deux clous en biais, les emplacements vides. Plus de confusion possible, même si la notation restait franchement lourde. Le premier zéro de l'histoire de l'humanité était né.

Au IIIème siècle, les Chinois, qui avaient également adopté une numération de position, marquèrent les emplacements vides par un point, puis par un petit rond. Mais, on ne sait pas si leur système est une véritable invention ou si l'idée leur est venue de la civilisation babylonienne.

La civilisation Maya, confrontée au même problème, trouva la même solution toute seule : un symbole spécial, une sorte de coquillage, signale l'absence de chiffre à un certain rang.

Mais le zéro, notre zéro, n'était pas encore véritablement né. Pour nous, il est beaucoup plus qu'une simple marque : il est un chiffre parmi les autres, certes, mais il a également une fonction de nombre puisqu'il intervient dans les opérations au même titre qu'un autre. Patience... à force d'utiliser leurs petites marques, nos ancêtres vont bien finir par comprendre toute sa puissance !

Il faudra tout de même attendre le Vème siècle pour que le pas soit franchi

Au carrefour de différentes civilisations avancées, l'Inde bénéficie de toutes les connaissances élaborées autour d'elle. Sa numération mise au point entre le IIème siècle av JC et le IVème siècle, est, au graphisme près, celle dont l'occident va hériter quelques sept siècles plus tard grâce à l'entremise de la civilisation arabo-musulmane (civilisation au c'ur de laquelle se déroule l'intrigue du roman de Denis Guedj).

Les savants indiens ont été les premiers à adopter le "bon" nombre de symboles de base : Si le 1 décalé d'un cran vaut 10, alors il faut neuf symboles distincts pour les nombres intermédiaires, neuf dessins bien différents les uns des autres et en plus, évidemment, un dernier chiffre pour marquer l'absence de quantité d'un certain rang, le zéro.

Le voici enfin, ce 0 magique qui, lié à la numération de position, permet de se libérer des chiffres romains avec lesquels même l'addition était compliquée. L'écriture des nombres devient alors peu encombrante, sans équivoque et la voie est ouverte aux nombres négatifs.

Au VIIème siècle, l'histoire du zéro est presque terminée

Les travaux d'un mathématicien, Brahmagupta, attestent la présence d'un "véritable" zéro, qui est non seulement un chiffre marquant l'absence, mais un véritable nombre, résultat de l'opération 5 -5, et accompagné de règles de calcul toujours en cours dans l'algèbre.

Mais à cette époque en Europe, on écrit encore avec des chiffres romains et on calcule avec des abaques.

Heureusement, les Arabes entrent dans une période faste de leur culture, d'ouverture et de connaissance. Ils adoptent bien vite cette numération si pratique et la diffusent pendant leur période d'expansion.

Juste avant l'an mille, Gerbert d'Aurillac, futur pape, tente sans grand succès de l'importer en Europe. Et ce n'est finalement qu'aux XII et XIIIème siècles que le zéro arrive enfin en Europe, avec l'ensemble des chiffres arabes, grâce notamment au mathématicien et commerçant italien Fibonacci, qui publie en 1202 le Liber Abacci, où il s'adresse plus particulièrement aux commerçants, pour qui la nouvelle numération est un formidable gain de temps et d'énergie : les calculs se simplifient, l'écriture est plus ramassée.

Cependant, son adoption n'est pas instantanée : on est trop habitué aux bouliers et certains se méfient de ces inventions venues de mécréants.

Même longtemps après, le zéro mettra du temps à acquérir un statut de nombre à part entière, même pour les mathématiciens. Et pourtant que serait nos ordinateurs sans le zéro et le un ? Peut-être rien.

Daniel Motteau, professeur de Mathématiques, septembre 2007.