Le coup de foudre, comment vous expliquez ça ?

Aristophane, célèbre auteur de théâtre de l'Antiquité, raconte qu'il y a très longtemps les hommes n'avaient pas la même forme qu'aujourd'hui. Ils étaient constitués de deux moitiés. Selon les cas, ces êtres doubles comportaient deux parties mâles, deux parties femelles, ou encore une partie mâle et une partie femelle.

Sûrs de leur force, ils défièrent Zeus et, en punition, le dieu des dieux imagina de les affaiblir en les sciant en deux. Depuis ce jour, chaque moitié court après son autre moitié, et c'est ainsi que s'expliquent l'amour et le coup de foudre. Les êtres initialement constitués d'un homme et d'une femme expliquent l'amour hétérosexuel ; les êtres constitués de deux femmes, l'amour lesbien ; les êtres formés de deux "tranches de mâle", l'amour gay.

Selon Aristophane, chacun de nous serait ainsi destiné à se réunir à son ancienne moitié perdue, et le coup de foudre serait justement le signe de cette rencontre.

Curieusement, la sociologie moderne dit à peu près la même chose.

Elle nous apprend en effet que deux personnes présentant des caractéristiques sociales identiques ont plus de chance de tomber amoureuses l'une de l'autre que deux personnes socialement dissemblables. 45% des couples sont ainsi formés de conjoints provenant du même milieu, 69% de milieux voisins (source : Institut national des études démographiques).

Mais comment la sociologie explique-t-elle que la minute d'avant on ne se connaissait pas, et que l'on se trouve tout d'un coup plein d'affinités, sans même avoir ouvert la bouche ?
En vérité, lors d'une rencontre, on reconnaît spontanément chez une personne des signes connotés positivement dans le "milieu" d'où l'on est issu. ÿa peut tenir à une façon de s'habiller, de se coiffer, au choix d'un parfum, à une allure. On est attiré et séduit, on ne sait trop comment ni pourquoi, mais, hélas pour les poètes, il y a dans le coup de foudre plus de détermination sociale que de magie.

Tomber amoureux, c'est trouver la moitié qu'on attend depuis toujours ? Oui, si l'on prend soin de préciser que le coup de foudre est la rencontre avec une personne dont le portrait du prince charmant a été inconsciemment dessiné en nous par nos origines culturelles et notre expérience sociale.

L'autre aspect du coup de foudre, c'est qu'il déclenche un torrent d'émotions. On a le c'ur qui cogne, on se sent plein d'une énergie qui nous fait "planer". C'est que l'amour libère dans l'organisme des trucs vachement chouettes.

ÿa commence avec les phéromones. Les phéromones sont des substances chimiques spécifiques de chaque sexe. Elles sont émises par les aisselles, les tétons, le cuir chevelu, les organes génitaux. On les perçoit à environ un mètre de distance, grâce à un organe qui se trouve dans le nez, et elles jouent un rôle important dans l'attirance sexuelle. C'est peut-être pourquoi les boîtes de nuit où ça remue et transpire abondamment sont propices aux coups de foudre !

Le professeur Kirk-Smith, de l'Université de Birmingham, a mis en évidence le rôle des phéromones à partir d'une expérience assez marrante.
Dans une salle d'attente, il a imprégné une chaise d'androsténol, une phéromone masculine. Puis il a fait entrer successivement 840 femmes et leur a demandé de s'asseoir là où elles voulaient. 810 se sont assises sur la chaise imprégnée d'odeur masculine ou sur les deux chaises latérales ! Ensuite de quoi, il a fait entrer 540 hommes : tous ont évité la chaise imprégnée de l'odeur d'un autre homme et les deux chaises latérales.

La durée de l'amour aussi est fonction d'une substance chimique. Les regards qu'on échange, les petits mots doux qu'on se glisse à l'oreille, les caresses, les rires partagés, tout cela libère dans l'organisme, un neuromodulateur, l'ocytocine, qui stimule le système immunitaire et ralentit le c'ur.
Notre hypothalamus, qui est la partie du cerveau la plus sensible aux émotions, trouve ça très bon et en redemande. Autrement dit, être ensemble nous fait planer parce qu'on est devenu accro à l'ocytocine, et on ne peut plus se séparer sans éprouver un sentiment de manque.

Au sens propre, l'amour nous a rendu addict !
Les phéromones, l'ocytocine, deux substances parmi les 250 qui entrent dans la chimie de l'amour. Alors, pas de souci ! Après le coup de foudre, il reste beaucoup de choses à vivre, et encore plus à apprendre.

Frédéric Kijé, professeur de Philosophie, septembre 2008.

Vous pouvez lire le texte d'Aristophane

Il existe aussi un documentaire sympa et instructif réalisé en 1998 par Thierry Nolin pour la chaîne Arte, "La biochimie du coup de foudre".