Vous consultez votre cahier de textes : "Pour demain, je dois réviser mon contrôle d'Histoire (avec pas mal de dates à mémoriser !). Après, il y aura les schémas de SVT, les cartes de géographie, les formules de maths et de physique ou chimie Ma mémoire va être mise à rude épreuve. Si je pouvais graver tout ça sur un CD, et d'un clic retrouver ce qu'on me demande "
Mais au fait,
comment se gravent les informations dans mon cerveau ? Pourquoi certains souvenirs restent gravés toute la vie et d'autres s'oublient si vite ? (ces fameuses dates d'Histoire !)
Je vais vous faire découvrir que vous avez
cinq mémoires. Je vous montrerai comment vos
cellules nerveuses gravent un souvenir (comme vous gravez des fichiers sur un CD). Pour finir (vous l'aurez bien mérité), je vous proposerai des petits tests. Au fait, que faisiez-vous le 11 août 1999 vers midi ?
D'abord vous n'avez pas une, mais cinq mémoires :
1. Celle qui vous permet de vous
souvenir des événements vécus (votre dernier anniversaire) : elle est le support de votre histoire individuelle. Lésée, elle conduit à l'amnésie.
2. Celle qui vous permet de connaître le
sens des mots, et plus généralement les connaissances sur le monde.
3. Celle qui vous permet d'acquérir des
gestes automatiques (faire du vélo ou placer votre fameux service au tennis).
4. Celle qui vous permet de reconnaître les
formes des objets, des visages, des mots, sans faire appel à leurs significations.
5. Celle qui vous permet de
maintenir disponible temporairement une petite
quantité d'informations à utiliser : le numéro de téléphone que vous allez composer, par exemple.
Ces mémoires s'appellent
épisodique (1),
sémantique (2),
procédurale (3), de
représentation perceptive (4), et de
travail (5). Pour retenir ces 5 expressions, il va falloir faire appel à votre mémoire sémantique !
J'attends alors votre question :
Comment a-t-on découvert ces cinq mémoires distinctes ?
Comme toujours, les scientifiques ont dû créer un
modèle explicatif qui prenne en compte le mieux possible leurs observations. Ces observations portaient en particulier sur des malades victimes de traumatismes ou de dégénérescences affectant certaines zones du cerveau.
Ainsi, vous avez entendu parler de la
maladie d'Alzheimer touchant des personnes âgées. Chez ces personnes, beaucoup de souvenirs ont disparu ou ne peuvent plus être stockés. Cela est dû à une dégénérescence qui commence par une région du cerveau appelée Hippocampe, qui intervient dans la mémoire épisodique.
Par contre, ces malades peuvent rester performants au tennis : le cervelet qui intervient dans la mémoire procédurale est moins exposé à la dégénérescence.
Dans de nombreux films, on a exploité la différence entre la mémoire épisodique défaillante - "Qui suis-je ?" se dit le personnage qui ne reconnaît plus sa propre famille - alors que les autres mémoires fonctionnent.
L'étude des individus atteints de troubles de mémoire a permis aussi de distinguer également la mémoire à court terme et la mémoire à long terme. Un patient qui avait subi une
ablation de l'Hippocampe où se déclenchaient des crises d'épilepsies, avait perdu tout souvenir des évènements s'étant déroulés dans les deux années précédant l'opération. Ces souvenirs n'avaient pas eu le temps d'être suffisamment consolidés avec l'intervention de l'Hippocampe, avant d'être stockés dans d'autres zones du cerveau, dans la mémoire à long terme.
Sachez que la
répétition consciente (votre travail !), mais aussi le
sommeil améliore la consolidation des souvenirs, c'est à dire votre mémoire.
Comment est gravé un souvenir ?On voit que les différents types de mémoire font appel à des zones différentes du cerveau qui communiquent entre elles. Cela est possible grâce à certaines cellules extraordinaires appelées
neurones. Ces cellules possèdent des prolongements qui permettent d'établir des
connexions entre elles, appelées
synapses.
Votre cerveau possède 100 milliards de neurones établissant entre eux, plusieurs millions de milliards de connexions. Chaque connexion peut constituer une partie d'un souvenir. Ne soyez pas inquiet pour la capacité de stockage de votre cerveau.
Quand vous voulez mémoriser un schéma, les différents éléments (formes, couleurs, mots des légendes) vont être stockés dans différentes zones de votre cerveau (aires visuelles, aire du langage, etc.). Vous avez fragmenté : il faudra recoller les morceaux lorsque vous irez chercher le souvenir de votre schéma dans votre mémoire.
Ainsi, un
souvenir est une
assemblée de neurones présents dans différentes zones de votre cerveau,
connectés entre eux (par les fameuses synapses) et qui
s'activent ensemble.
Pour que ce souvenir soit sauvegardé, il faut que le circuit constitué par les neurones soit activé plusieurs fois (vous allez réviser votre schéma !). Chaque activation facilite la mise en action des neurones, et permet la création de nouvelles synapses grâce à la synthèse de nouvelles protéines par les neurones. Cette
mémoire synaptique supposée depuis longtemps a été démontrée en 2006 chez des rats qui ne mémorisent plus, si on bloque la synthèse de ces protéines.
Si vous avez bien suivi, vous savez précisément comment votre souvenir a été gravé. Cela s'appelle la
plasticité synaptique et c'est votre meilleur atout. Votre cerveau a changé, comme la surface d'un CD vierge a changé après gravure. Si votre cerveau était rigide, la mémorisation serait impossible. Quand vous avez mémorisé votre schéma (ou votre service destructeur au tennis !), vous avez créé de nouvelles synapses. De même, quand vous oubliez, des synapses non réactivées disparaissent. L'oubli est l'autre versant obligatoire de la plasticité ; un peu comme quand vous faites de la place dans le disque dur de votre ordinateur en supprimant des fichiers inutiles.
Deux tests, comme promis
- Que faisiez-vous le 11 août 1999 vers midi ?
Si je vous avais demandé pour le 11 août 2003 ou 2004, le souvenir aurait probablement disparu. Mais le 11 août 1999 était le jour de l'éclipse totale de soleil visible de France. La plupart des personnes se rappelle les évènements personnels accompagnant cet évènement exceptionnel. Faites le test ! En effet, les souvenirs sont connectés entre eux, comme les circuits de neurones qui sont leurs supports. L'éclipse totale sert de "
poignée" sur lequel vous pouvez tirer pour faire remonter les autres événements ordinaires de cette journée.
Astuce : Associez le fait que vous voulez vous rappeler, à un souvenir chargé de sens que vous utiliserez comme poignée pour récupérer le souvenir du premier fait.
Ce test provient de la revue
Science et Vie de Septembre 2003.
1. Lisez à une personne, lentement et à haute voix, la liste de mots suivante, sans expliquer le but du test : "Portable, numéroter, voix, touches, poche, fil, oreillette, sonner, batterie, répertoire, message, bruit."
2. Attendez quelques minutes.
3. Relisez alors la liste en intercalant au hasard les 3 mots pièges "téléphone, chat, bouteille".
4. A chaque mot, demandez à la personne si "oui" ou "non" chacun était présent dans la liste de départ.
5. En moyenne, votre compagnon de test sera piégé 3 fois sur 4 par le mot "téléphone" qu'il pensera avoir entendu.
Comme précédemment, c'est par
association d'idées que "téléphone" s'est retrouvé dans la liste mémorisée.
Plus généralement,
à chaque rappel, nos souvenirs sont reconstruits. Chaque fois que nous extrayons un souvenir de notre mémoire, nous le modifions le plus souvent inconsciemment : la prochaine fois que nous l'extrairons de notre mémoire, il sera difficile de séparer le "fichier" modifié du "fichier" originel.
Christophe Durand, professeur de SVT, Septembre 2007.
Pour en savoir plus :
France examen vous ouvre la porte 
