Le sujet 2009 - Brevet Série Collège - Français - Rédaction |
Avis du professeur :
Se mettre dans la peau d'un journaliste, c'est le rêve de beaucoup d'entre vous. On vous en offrait l'occasion. Dur, dur ! Trouver une bonne raison de faire intervenir un journaliste. Combiner récit et argumentation, le passé de la petite et son présent. C'était plutôt complexe. |
(15 points)
Quelques années
plus tard...
Ali a gardé avec lui "l'enfant de sous le
pont" et il a pris soin d'elle.
Un journaliste découvre
toute l'histoire et la raconte. Il explique aussi en quoi et pourquoi
la vie d'Ali a changé.
Ecrivez cet article. Vous lui
donnerez un titre et vous le signerez des initiales J.P.
Critères
de réussite :
●
Respect de la présentation de l'article de journal
●
Respect de la situation d'énonciation propre à cet
article
● Respect des indices et du contexte de l'histoire
●
Présence de plusieurs arguments mettant en évidence le
sens et les raisons des changements dans la vie du personnage
●
Correction de la langue
Un
beau matin d'hiver – une matinée de brume, quand la
lumière du jour naissant se confond
encore
avec les halos des réverbères – un homme marchait
le long d'un canal. C'était un homme
non
pas trop âgé, mais usé par la vie, pour avoir
dormi dehors et avoir bu trop de vin. Cet homme-là
(mettons
qu'il s'appelait Ali) n'avait pas de domicile, et pas vraiment de
métier. Quand les gens le
5 voyaient, ils
disaient: « Tiens! L'estrassier. » C'est comme cela que
les gens du Sud appellent les
chiffonniers
qui vont de poubelle en poubelle et ramassent tout ce qui peut se
revendre, les cartons,
les vieux
habits, les pots de verre, même les piles de radio qu'on
recharge très bien en les laissant
au
soleil.
Pour
ramasser tout cela, il avait une poussette-landau du temps jadis,
avec une belle capote
10 noire et des roues à
rayons, dont une était légèrement voilée.
Pour les objets volumineux, il avait
une
charrette à bras.
Ali
se dirigeait vers le pont. C'est là qu'il habitait, et qu'il
gardait tous les trésors qu'il avait
ramassés
durant la nuit.
Ce
matin-là Ali était fatigué. Il pensait à
la bonne lampée de vin qu'il allait boire avant de
se
15 coucher sur son lit de cartons, sous sa
couverture militaire qui l'abritait du froid comme une tente.
Il
pensait aussi au chat gris qui devait être endormi sous la
couverture, en rond et ronronnant. Ali
aimait
bien son chat. Il l'avait appelé Cendrillon, à cause de
sa couleur.
Quand
Ali s'est approché de la tente, il a vu quelque chose
d'inattendu: à la place du chat, il y
avait
un carton entrouvert, que quelqu'un avait déposé là.
Tout de suite Ali a compris que ce carton
20 n'était
pas à lui. L'estrassier resta un moment à regarder,
plein de méfiance. Qui avait mis ce carton
là,
sur son lit? Peut-être qu'un autre gars de la chiffe avait
décidé de s'installer ici, sous le pont? Il
avait
laissé ce carton pour dire: « Maintenant sous le pont,
c'est chez moi ».
Ali
sentit la colère le prendre. Tout à coup il se souvint
qu'il avait été soldat, autrefois, dans
sa
jeunesse, et qu'il était
monté à l'assaut au milieu du bruit des balles. C'était
il y avait bien
25 longtemps, mais il se souvenait des
battements de son cœur de ce temps-là, de la chaleur du
sang
dans ses joues.
Il
s'approcha du carton, résolu à le jeter loin sur les
quais, quand il entendit quelque chose.
Quelque
chose d'incroyable, d'impossible. Une voix qui appelait, dans le
carton, une voix d'enfant,
une voix
de bébé nouveau-né. C'était tellement
inattendu qu'Ali s'arrêta, et regarda autour de lui,
30 pour
voir d'où venait cette voix. Mais sous le pont tout était
désert, il n'y avait que l'eau froide du
canal,
et la route qui passait au-dessus, où les autos avaient
commencé à rouler.
Alors
du carton sortit à nouveau la voix, claire, avec comme une
note d'impatience. Elle
appelait à
petits cris répétés, et comme Ali tardait
encore, les bras ballants, la voix se mit à pleurer.
En
même temps, Ali vit que le carton remuait, s'agitait sous les
coups donnés à l'intérieur.
35
« Des chats! » dit Ali à haute voix. Mais en même
temps il savait bien que les petits chats
qu'ont
a oubliés au bord d'un canal n'ont pas cette
voix-là.
Il
s'approcha encore, écarta les bords du carton avec ses mains
noircies et gercées, et avec
d'infinies
précautions il en sortit un bébé, une petite
fille pas plus grande qu'une poupée, si petite
qu'Ali
devait serrer ses mains pour qu'elle ne glisse pas, si légère
qu'il avait l'impression de ne
40 tenir qu'une poignée
de feuilles.
« C'est elle, c'est l'enfant de sous le pont »,
pensa-t-il. [...]
De
sa vie, Ali n'avait jamais rien vu de plus joli, ni rien de plus
délicat et léger que cette petite
fille,
cette poupée vivante. Il la tenait dans ses bras, sans oser
approcher d'elle son visage à la barbe
hirsute.
L'air froid qui s'engouffrait sous le pont envoya voltiger des
papiers et bouscula le carton
45 vide, et Ali tout à
coup s'aperçut que le bébé était tout nu,
et que sa peau était rougie par le froid,
hérissée
de milliers de petites boules à cause de la chair de poule.
Jean-Marie
Gustave Le Clézio, L'enfant de sous le pont
(2000)
Edition Lire c'est partir
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES
DU SUJET
Sujet |
Contraintes |
Quelques années plus tard... |
Circonstance temporelle. |
● Ali a gardé avec lui "l’enfant de sous le pont" ●...et il a pris soin d’elle. |
L’action en deux temps : |
Un journaliste… |
L’énonciateur, il parle d’Ali et de la petite à la troisième personne. |
...découvre toute l’histoire et la raconte. |
Mise en perspective de l’histoire. C’est une découverte qui suscite de l’étonnement. |
Il explique aussi en quoi et pourquoi la vie d’Ali a changé. |
Conséquences de la
décision d’Ali sur sa vie : |
Écrivez cet article. |
Genre : un article destiné à la presse. |
Vous lui donnerez un titre… |
Mise en forme de l’article. |
...et vous le signerez des initiales J.P. |
Mise en forme de l’article, qui respecte les règles de la confidentialité de la copie pour éviter que les candidats soient tentés de mettre leur nom. |
Critères de réussite : |
Caractéristiques générales du texte attendu :
Genre
littéraire : Article de
presse.
Types
de textes : Narratif dans la partie
récit, argumentatif quand il s’agit d’expliquer
les choix d’Ali et les conséquences de ce
choix.
Enonciation :
Le "je" est le journaliste (J.
P.), il parlera donc des personnages à la troisième
personne.
Niveau
de langue : correct, soigné sans
être soutenu.
Tonalité :
On peut imaginer une tonalité
laudative, pour marquer l’admiration du journaliste envers Ali.
Certains passages peuvent exiger un ton polémique.
II - LES DIFFERENTS TYPES DE PLANS POSSIBLES
La grande difficulté du texte consiste à trouver une raison qui pourrait amener un journaliste à s’intéresser à l’histoire de cette petite fille. Nous vous proposons celle-ci : on a découvert l’existence de la petite et on veut la séparer d’Ali.
Attention : on ne pouvait attendre de vous quelque chose d’aussi développé que ce que nous vous présentons. Notre intention est seulement de passer en revue quelques-uns des éléments que vous auriez pu utiliser.
On pouvait imaginer deux types de plans pour ce sujet.
Un plan
chronologique :
1. Décision d’Ali de garder
l’enfant.
2. Changement de vie d’Ali.
3.
Découverte par le journaliste qui en tire certaines
conclusions et porte un jugement.
Un plan
analytique :
1. Découverte du journaliste. La
petite fille a grandi.
2. Causes : la découverte
d’Ali, sa décision de garder l’enfant. Changement
de vie d’Ali. L’éducation qu’il donne à
l’enfant.
3. Conséquences : Il faut faire
en sorte qu’Ali et sa fille puissent enfin vivre ensemble
décemment et sortent de la clandestinité.
III - LES PISTES DE REPONSES
Nous proposons comme titre : "Ali, un père exceptionnel".
Le plan choisi, et qui nous a semblé le plus naturel est de type analytique, il consiste donc à partir du point de vue du journaliste : la découverte de cette petite fille et sa situation le conduit à se poser des questions et à chercher à comprendre ce qui a pu arriver.
PREMIERE PARTIE
1. Une petite
fille vit avec un clochard. Choc du journaliste devant cette
situation. Rien ne semble distinguer cette petite fille des autres.
Elle est habillée correctement et va à l’école.
Pourtant, elle habite dans une vieille roulotte abandonnée
avec un homme qu’elle appelle papa. Il s’agit d’un
ancien combattant.
2. Tout montre qu’elle a une vie
équilibrée, malgré la précarité,
qu’elle est normalement nourrie et soignée. L’enfant
est remarquablement intelligente et travaille très bien à
l’école, elle est au CP. L’école est en
tort car elle l’a inscrite sans papiers officiels.
3.
Pourtant, des difficultés se présentent, car les
services sociaux s’intéressent à ce cas
rarissime. Il s’agit de régulariser la situation de la
petite, de lui donner des papiers, une couverture sociale, pour
qu’elle puisse bénéficier d’un suivi
médical.
Transition
L’assistante sociale de la DDASS, alertée par l’école, juge qu’elle ne peut continuer de vivre dans cette roulotte insalubre. Ce que conteste le journaliste qui a épousé la cause d’Ali.
DEUXIEME PARTIE
1. Récit
de la découverte, qui complète le texte.
L’émerveillement devant la petite fille a suscité
chez Ali un fort sentiment paternel, et il a décidé de
la garder, quitte à changer de vie. Il a enfin un but dans la
vie.
2. Il est parti en quête d’un lieu plus
sûr, à l’abri du vent et des intempéries.
Il a orienté ses recherches dans les poubelles vers des
vêtements chauds, puis, conscient des problèmes
d’hygiène, a demandé à des gens qui
avaient des enfants en bas âge s’ils n’auraient pas
des vêtements pour enfants. Le peu d’argent qu’il
récoltait en revendant les objets trouvés dans les
poubelles a été utilisé à acheter des
biberons soigneusement stérilisés sur un feu de bois
improvisé.
3. Peu à peu, la petite a grandi.
Grâce à sa bonne santé, elle n’a pas
souffert. Elle s’est attachée à Ali. Elle est
enfin heureuse d’avoir des amies de son âge, mais elle se
sent différente. Elle ne fait jamais de caprices, car elle a
été élevée à la dure, elle est
émerveillée de tout ce qu’elle apprend.
Transition
Le journaliste insiste sur le fait qu’Ali est un père remarquable et s’apprête à réfuter les arguments de ceux qui veulent la séparer de celui qu’elle appelle "papa".
TROISIEME PARTIE
1. Ali est
très attaché à la petite, il veut enfin pouvoir
l’adopter officiellement. Mais il n’est pas égoïste
et se demande si sa fille ne serait pas mieux dans une institution
que dans sa vieille roulotte. Il refuse cependant d’être
séparé d’elle à tout jamais.
2.
La petite fille ne veut rien savoir. Elle est terrorisée à
l’idée d’abandonner son père. Très
mûre pour son âge, elle s’inquiète pour lui,
se demande comment il vivra sans elle. Elle a peur d’être
envoyée trop loin de lui.
3. Le journaliste insiste
sur le fait qu’Ali a changé, que s’il vit toujours
de manière précaire, c’est justement pour éviter
d’être repéré et séparé de la
petite. Il pense qu’il serait temps que les services sociaux
lui octroient un logement, le RMI, des allocations familiales et de
logement afin qu’Ali puisse faire vivre sa fille dans des
conditions plus décentes. Ali se dit prêt à
accepter n’importe quel emploi.
CONCLUSION
Le journaliste en appelle à l’humanité des services sociaux et à la constitution d’un comité de soutien pour faire aboutir ce projet.
IV - LES FAUSSES PISTES
On pouvait difficilement imaginer un changement tel chez Ali qu’il
aurait radicalement changé de vie, pour une situation
bourgeoise et stable, faisant de l’enfant trouvé une
jeune fille ordinaire. Cela aurait été peu
vraisemblable. Dans ce cas, on ne voit pas comment cette histoire
aurait pu éveiller la curiosité d’un journaliste.
Espérons que malgré cette contradiction, les
correcteurs auront été indulgents envers les copies de
ce genre.