Le sujet 2007 - Brevet Série Collège - Français - Rédaction |
Avis du professeur :
Vous avez beau être habitué à des rédactions qui vous
demandent de mêler différents types de textes (argumentatif, narratif...),
c'est toujours délicat. |
Condamné au bagne pour avoir volé un pain, Jean Valjean a purgé sa peine et
vient d'être
libéré. Il s'arrête dans une auberge.
Pendant que le
nouveau venu se chauffait, le dos tourné, le digne aubergiste Jacquin Labarre
tira un
crayon de sa poche, puis il déchira le coin d'un
vieux journal qui traînait sur une petite table près de la
fenêtre. Sur la marge blanche il écrivit une
ligne ou deux, plia sans cacheter et remit ce chiffon de
papier à un enfant qui paraissait lui servir tout
à la fois de marmiton1 et de laquais2. L'aubergiste dit
un
5 mot à l'oreille du marmiton, et l'enfant partit en
courant en direction de la mairie.
Le voyageur n'avait rien vu de tout
cela.
Il demanda encore une fois :
- Dîne-t-on bientôt ?
– Tout à l'heure, dit
l'hôte.
L'enfant revint. Il rapportait le papier. L'hôte
le déplia avec empressement, comme quelqu'un qui
10 attend une réponse. Il parut lire attentivement, puis hocha la
tête, et resta un moment pensif. Enfin il fit
un pas vers le voyageur qui semblait plongé dans
des réflexions peu sereines.
– Monsieur, dit-il, je ne
puis vous recevoir.
L'homme se dressa à demi sur son
séant.
– Comment ! Avez-vous peur
que je ne paye pas ! Voulez-vous que je paye d'avance ? J'ai de
15 l'argent, vous dis-je.
– Ce n'est pas cela.
– Quoi donc ?
– Vous avez de l'argent...
– Oui, dit l'homme.
20 – Et moi, dit l'hôte, je n'ai pas de
chambre.
L'homme reprit tranquillement : - Mettez-moi
à l'écurie.
– Je ne puis.
– Pourquoi ?
– Les chevaux prennent
toute la place.
25 – Et bien, repartit l'homme, un coin dans
le grenier. Une botte de paille. Nous verrons cela après
dîner.
– Je ne puis vous donner à
dîner.
Cette déclaration, faite d'un ton
mesuré, mais ferme, parut grave à l'étranger. Il se leva.
– Ah bah ! Mais je meurs
de faim, moi. J'ai marché dès le soleil levé. J'ai fait douze lieues. Je paye.
30 Je veux manger.
– Je n'ai rien, dit
l'hôte.
L'homme éclata de rire et se tourna
vers la cheminée et les fourneaux.
– Rien ! Et tout cela ?
– Tout cela m'est retenu.
35 – Par qui ?
– Par ces messieurs les
rouliers.
– Combien sont-ils ?
– Douze.
– Il y a là à manger pour
vingt.
40 – Ils ont tout retenu et tout payé
d'avance.
L'homme se rassit et dit sans hausser
la voix :
– Je suis à l'auberge,
j'ai faim, et je reste.
L'hôte alors se pencha à son oreille,
et lui dit d'un accent qui le fit tressaillir :
– Allez-vous en.
45 Le voyageur était courbé en cet instant et poussait
quelques braises dans le feu avec le bout ferré de
son bâton, il se retourna vivement, et, comme il
ouvrait la bouche pour répliquer, l'hôte le regarda
fixement et ajouta toujours à voix basse
: - Tenez, assez de paroles comme cela. Voulez-vous que je
vous dise votre nom ? Vous vous appelez Jean
Valjean. Maintenant voulez-vous que je vous dise qui
vous êtes ? En vous voyant entrer, je me suis
douté de quelque chose, j'ai envoyé à la mairie, et voici
50 ce qu'on m'a répondu. Savez-vous lire ?
Victor Hugo, Les Misérables (1862), Le livre de poche
1. marmiton : apprenti au service de la cuisine dans
un restaurant.
2. laquais : valet
(15 points)
Imaginez la suite du texte : l'aubergiste raconte la scène à sa femme qui
cherche à lui montrer qu'il a eu tort. Votre récit au passé inclura les
arguments échangés entre les deux personnages ainsi que leurs réactions
respectives.
Critères de réussite :
● Cohérence par rapport au texte de
départ ;
● Utilisation des discours narratif et argumentatif (présence de
plusieurs arguments pour chacun des deux personnages) ;
● Maîtrise de l'écriture des paroles rapportées ;
● Expression des sentiments ;
● Respect de la construction des phrases ;
● Précision du vocabulaire ;
● Respect de l'orthographe.
I – QUELLE ANALYSE POUR CE SUJET ?
Sujet |
Contraintes et critères de réussite |
· Imaginez la suite du texte : |
► Circonstances : elles sont fournies par le texte de Hugo lui-même. (Cohérence par rapport au texte de départ). |
· l'aubergiste raconte la scène à sa femme |
► Personnages : l'un présent dans le
texte, l'autre à imaginer. |
· qui cherche à lui montrer qu'il a eu tort. |
► Contenu du dialogue. (Discours argumentatif) |
· Votre récit au passé inclura |
► Récit dans un dialogue, donc au passé composé. |
· les arguments échangés entre les deux personnages |
► L'aubergiste aurait dû se montrer humain. |
· ainsi que leurs réactions respectives. |
► L'aubergiste se justifie, sa femme se révolte. (Expression des sentiments) |
Autres critères de réussite
relatifs à la langue :
● Maîtrise de l'écriture des paroles
rapportées ;
● Précision du vocabulaire ;
● Respect de l'orthographe.
Caractéristiques générales du texte attendu :
● Genre littéraire : récit dans lequel on insérera un dialogue ;
● Type de texte : narration,
dialogue ;
● Enonciation : je (première
personne du singulier, selon que s'exprime l'aubergiste ou sa femme) ;
● Niveau de langue : courant.
II – PLANS POSSIBLES
Le dialogue argumentatif peut prendre place dans plusieurs formes littéraires. Voici les caractéristiques générales du texte attendu, selon le choix que vous aurez fait :
Première possibilité :
● Genre
littéraire : Roman ;
● Forme : dialogue inséré dans une
narration, avec tirets et incises ;
● Type de texte
: argumentation ;
● Enonciation :
un narrateur qui rapporte au style direct les paroles de deux interlocuteurs ;
● Niveau de
langue : dans les passages du récit, il sera courant, dans les propos rapportés
introduits par des tirets.
Seconde possibilité :
● Genre
littéraire : Théâtre ;
● Forme : Une scène de pièce
de théâtre, à deux personnages, l'aubergiste et sa femme,
avec ou non des didascalies ;
● Type de texte
: argumentation ;
● Enonciation :
deux personnages s’exprimant chacun à la première personne ;
● Niveau de langue courant.
Tonalité :
● Il convenait pour introduire
les dialogues d'utiliser des verbes montrant la vivacité
des échanges, voire l'escalade de la violence verbale, sans tomber dans
l’excès ;
● On pouvait faire sentir cette
vivacité :
— en variant les verbes ;
— en faisant intervenir dans le dialogue, inséré dans un récit, des
incises telles que : rétorqua-t-elle / il,
répartit-elle /il , reprit vivement, ou en insérant dans un dialogue
théâtral des didascalies entre parenthèses ;
● En introduisant le dialogue ou les propos
rapportés au style indirect par : La femme de
l'aubergiste affirma catégoriquement, de façon péremptoire, adopta un ton sans
réplique, explosa de colère ou d'indignation...
III – UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET
Nous préférons développer la première possibilité : celle d'un dialogue inséré dans un roman, puisque c'est la forme choisie par Hugo. Cependant, même si le dialogue théâtral convient beaucoup moins, les correcteurs l'accepteront.
TYPE DE PLAN : le type de plan retenu est le plan chronologique, c’est-à-dire qui suit l’ordre des événements, immédiatement après le départ de Jean Valjean.
PREMIERE PARTIE
● Circonstances :
temps, lieu
Il suffisait de dire brièvement quelque chose comme : "Quand le
voyageur eut claqué la porte, l'aubergiste entra dans la cuisine où sa femme
était affairée. Elle cuisait...
● Récit
et portrait en action de la femme de l'aubergiste
Il faut faire raconter par l'aubergiste la scène qui précède en insistant sur
les réactions scandalisées de cette bonne aubergiste. On peut aussi imaginer que le mari
déforme la vérité et raconte à sa manière les faits, en insistant sur le
caractère dangereux de l'ex-bagnard, qui aurait pu le menacer.
DEUXIEME PARTIE
Imaginer un dialogue entre l'aubergiste et sa femme :
a) Arguments
adressés par la femme à son mari :
● Le caractère impitoyable de
l'aubergiste, sa méchanceté et sa mauvaise foi ;
● La propre honte
de la femme de voir son mari se comporter vis-à-vis d'un pauvre homme
avec une telle méchanceté.
b) La réplique
de l'aubergiste :
● Vous pouviez distinguer des réactions physiques (le rouge de la colère, la voix qui
monte dans les aigus, le personnage qui s'étrangle en réponse à ce discours "musclé"...) et des arguments
logiques ;
● Les arguments logiques pouvaient
prendre le contre-pied de ceux que sa femme lui assénait et évoquer le danger
qu'il aurait fait courir à son commerce et à sa famille en recevant un homme comme
Jean Valjean.
TROISIEME PARTIE
● Le
dénouement
Qui l'emportait ? La femme ou le mari ? La première avait-elle le cran
d'aller jusqu'au bout en disant ses quatre vérités à son mari ? Ce dernier
était-il capable d'entendre raison ? A vous de choisir !
IV – LES FAUSSES PISTES
Il ne fallait surtout pas :
● Privilégier les circonstances, aux dépens de la
discussion ;
● Faire adopter aux personnages un langage familier ou vulgaire, alors que dans le texte
de Victor Hugo, l'aubergiste a un langage courant.