Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Claude Michelet

Dès qu'il eut réalisé, cœur battant, à quel point sa trouvaille était d'importance, Dominique comprit aussi que la partie était loin d'être gagnée. Car l'attitude de sa découverte et surtout le regard furieux qui le fixait sans ciller étaient sans équivoque. Tout en elle annonçait la lutteuse prête au combat. Et le fait qu'elle fût magnifique et nullement diminuée par son épreuve ne devait surtout pas faire oublier qu'elle possédait de redoutables armes et qu'elle n'hésiterait pas à en user dès qu'il approcherait la main. L'affaire serait rude !

Quant aux mots doux qui l'invitaient à se calmer, ils étaient inutiles, vains et plus formulés pour encourager leur auteur que pour apaiser la destinataire. Dominique se doutait bien que ce ne serait pas eux ni la promesse qu'il ne lui serait fait aucun mal, bien au contraire, qui allaient transformer la farouche créature en passive captive.

Là, il ne fallait pas rêver. Et Dominique ne rêvait pas. Mais, tout en calculant de quelle façon il allait pouvoir immobiliser et emporter sa proie, le jeune garçon mesurait sa chance. D'abord parce qu'il était au début des grandes vacances et qu'il allait pouvoir s'occuper de sa découverte pendant près de trois mois, si besoin était. Ensuite parce que l'air qu'il respirait depuis huit jours n'était plus le même, tant s'en fallait ! Ici au moins et contrairement à la ville, chaque inspiration donnait le sentiment qu'on se revivifiait, qu'on reprenait des forces. [...]

Ici, au cœur de sa Corrèze natale tout écrasée de soleil et qui embaumait les premières moissons, toute crissante de grillons et de sauterelles, même les ronces et les orties semblaient
aimables !

"Enfin, presque...", se surprit-il à penser en regardant l'estafilade sanguinolente qui zébrait son mollet.

Attiré par le spectacle du grand chêne dont l'orage de la veille au soir avait brisé et jeté bas une partie de la tête, mais surtout par les cris rageurs qui fusaient de l'amas de branchages, Dominique s'était copieusement griffé les jambes. Mais peu lui importait, désormais, c'étaient ses mains, ses bras et surtout ses yeux qu'il allait devoir protéger s'il voulait mener à bien, et sans se faire estropier, l'opération qu'il voulait entreprendre. Parce que ça, vraiment, c'était passionnant, exaltant. Et surtout d'une autre importance que les quelques précédents sauvetages qu'il avait déjà effectués. Tous l'avaient rempli de bonheur et de fierté, aucun, jusqu'à cet après-midi de juillet 1952, n'avait soulevé en lui une telle excitation, une telle joie. Car, il n'en doutait pas, il allait trouver les moyens adéquats et les gestes qui lui permettraient, sans trop de griffures, de mettre la main sur cette jeune buse, seule rescapée d'un nid qui, avant l'orage, en abritait trois. [...]

Car il était bien vivant, ce rapace immature, comme le prouvaient sa couleur et les quelques flocons duveteux qui s'accrochaient encore à ses plumes ; bien vivant et prêt à défendre sa liberté, même au risque d'en crever de faim. Très bien emplumée pourtant et déjà d'une taille honorable, la buse était encore à une bonne semaine de ses premières tentatives d'envol, elle était donc incapable de se nourrir seule. Déjà, les halètements saccadés qui s'échappaient de son bec entrouvert montraient que la soif la tenaillait.

- Tu comprends, si je te laisse là, tu es fichue, lui expliqua-t-il, tu es bien partie pour crever de soif et de faim. A moins que, cette nuit même, un goupil (1) en vadrouille ne te transforme en casse-croûte... Alors, laisse-toi faire et tout ira bien, nous serons amis et tu ne le regretteras pas ! Et puis, tiens, à partir de maintenant tu t'appelleras Farouche.

Claude MICHELET, Farouche.

(1) nom du renard en ancien français.

 

1) "Dès qu'il eut réalisé, cœur battant, à quel point sa trouvaille était d'importance"

a) De quelle trouvaille est-il exactement question ?

b) Dans les trois premiers paragraphes, relevez les groupes nominaux qui désignent cette trouvaille.

c) Quel effet le narrateur cherche-t-il à produire en ne révélant pas plus tôt l'identité de la
trouvaille ?

2) A quoi renvoient les pronoms personnels suivants ?

- "l'invitaient"
- "ils étaient inutiles"
- "ce ne serait pas eux "
- "qu'il ne lui serait fait aucun mal"

3) a) Quelle est la fonction grammaticale de "l'opération" ?

b) De quelle opération s'agit-il ?

4) a) Retrouvez dans le texte un synonyme d'"immature".

b) Citez quatre mots de la même famille.

5) a) Pourquoi le jeune garçon éprouve-t-il le besoin de parler à sa trouvaille ?

b) Distinguez les différentes raisons qu'il lui donne.

6) Pour quelles raisons, dans le troisième paragraphe, le jeune garçon estime-t-il avoir de la chance ?

7) Relevez le champ lexical dominant dans les deux premiers paragraphes.
Quelle est l'idée ainsi mise en valeur ?

8) Pourquoi, à votre avis, l'enfant appelle-t-il finalement l'animal "Farouche" ?
Relevez dans l'avant-dernier paragraphe une expression qui éclaire le sens de cette appellation.

9) Quels sont les sentiments successifs de Dominique face à sa découverte ?
Vous rédigerez une réponse structurée dont chaque étape sera illustrée par de courtes expressions tirées du texte.

1) "Dès qu'il eut réalisé, cœur battant, à quel point sa trouvaille était d'importance"

a) La trouvaille de Dominique est une jeune buse (un oiseau de proie), dont le nid est tombé à terre durant un orage et qui est la seule rescapée de la catastrophe.

b) Les groupes nominaux qui la désignent dans les trois premiers paragraphes sont les suivants : "sa trouvaille", "sa découverte", "sa proie", "le regard furieux", "la lutteuse prête au combat", "de redoutables armes", "la farouche créature", "passive captive", "la destinataire".

c) Le narrateur ne révèle qu'aux trois quarts du texte l'identité de la trouvaille : il ménage ainsi un certain suspense en entretenant le mystère.

2) Dans les membres de phrases suivants, les pronoms personnels renvoient respectivement :

- "l'invitaient" : à la trouvaille décrite dans le premier paragraphe
"ils étaient inutiles" : aux "mots doux"
"ce ne serait pas eux" : encore aux "mots doux"
"il ne lui serait fait aucun mal" : à la trouvaille

3) a) Le groupe nominal "l'opération" est complément d'objet direct du verbe "mener à bien".

b) L'opération dont il s'agit est la capture de cette buse : Dominique veut la sauver de la faim et de la soif.

4) a) On trouve dans le texte un synonyme de l'adjectif "immature" : "incapable de se nourrir seule".

b) Voici quelques mots de la même famille : "maturité", "maturation", "mûr", mûrir", "mûrissement", "mûrement".

5) a) Le jeune garçon parle à la jeune buse parce qu'il ne voudrait pas l'effrayer : il entreprend déjà de l'apprivoiser, et il s'agit dans un premier temps de la calmer et de justifier qu'il l'extirpe du nid.

b) Les raisons qu'il met en avant sont les suivantes :

- Il s'agit de lui sauver la vie en la nourrissant : elle est elle-même trop jeune pour assurer sa propre subsistance.

- Par ailleurs, elle représente une excellente proie pour les prédateurs ("à moins qu'un goupil ne te transforme en casse-croûte").

- Enfin, il lui propose son amitié ("nous serons amis et tu ne le regretteras pas").

6) Le jeune garçon, dans le troisième paragraphe, estime avoir de la chance :

- En effet, les grandes vacances venant de commencer, il va disposer de beaucoup de temps à consacrer à l'oiseau.

- D'autre part, il se trouve, lui un citadin, à la campagne, au grand air : il va pouvoir se régénérer.

7) Dans les deux premiers paragraphes domine le champ lexical du combat, de la lutte armée ("lutteuse", "combat", "redoutables armes", "farouche créature", "captive").
Le narrateur présente ainsi l'entreprise de Dominique, la capture de l'oiseau, comme périlleuse : il lui faudra affronter un adversaire valeureux et déterminé.

8) Finalement, Dominique appelle la buse "Farouche" : c'est une façon de résumer les caractéristiques de l'oiseau : on ne peut guère l'approcher, il manifeste une certaine méfiance, voire de la violence, à l'égard de l'enfant.
L'expression qui éclaire le sens de cette appellation est la suivante : l'oiseau est "prêt à défendre sa liberté, même au risque d'en crever de faim".

9) Dominique éprouve des sentiments variés face à sa découverte.

- Tout d'abord, il est exalté en prenant conscience le "cœur battant" de l'importance de sa découverte ; puis il fait preuve de lucidité face à la tâche qu'il lui faudra accomplir ("il ne fallait pas rêver").

- Cette lucidité s'accompagne de l'examen minutieux des chances de succès : il se montre calme et posé ("tout en calculant", il "mesurait sa chance").

- Enfin, ce sont de nouveau les sentiments de joie intense, d'ivresse liée à la réussite qui l'emportent en lui : les circonstances (vacances à la campagne, renouveau) sont extrêmement favorables.

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