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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Maupassant

Le sujet  2003 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

Le héros, Georges Duroy, est journaliste dans un grand quotidien parisien à la fin du XIXe siècle. Provoqué par le rédacteur d'un autre journal, il décide de se battre en duel, au pistolet, pour défendre son honneur. Le duel aura lieu le lendemain, à l'aube...

Dès qu'il fut au lit, il souffla sa lumière et ferma les yeux.
Il avait très chaud dans ses draps, bien qu'il fît très froid dans sa chambre, mais il ne pouvait parvenir à s'assoupir. Il se tournait et se retournait, demeurait cinq minutes sur le dos, puis se plaçait sur le côté gauche, puis se roulait sur le côté droit.
Il avait encore soif. Il se releva pour boire, puis une inquiétude le saisit : "Est-ce que j'aurais peur ?"
Pourquoi son cœur se mettait-il à battre follement à chaque bruit connu de sa chambre ?
Quand son coucou allait sonner, le petit grincement du ressort lui faisait faire un sursaut ;
et il lui fallait ouvrir la bouche pour respirer pendant quelques secondes, tant il demeurait oppressé.
Il se mit à raisonner en philosophe sur la possibilité de cette chose : "Aurais-je peur ?"
Non certes il n'aurait pas peur puisqu'il était résolu à aller jusqu'au bout, puisqu'il avait cette volonté bien arrêtée de se battre, de ne pas trembler. Mais il se sentait si profondément ému qu'il se demanda : "Peut-on avoir peur malgré soi ?" Et ce doute l'envahit, cette inquiétude, cette épouvante ! Si une force plus puissante que sa volonté, dominatrice, irrésistible, le domptait, qu'arriverait-il ? Oui, que pouvait-il arriver ?
Certes il irait sur le terrain puisqu'il voulait y aller. Mais s'il tremblait ? Mais s'il perdait connaissance ? Et il songea à sa situation, à sa réputation, à son avenir.
Et un singulier besoin le prit tout à coup de se relever pour se regarder dans sa glace. Il ralluma sa bougie. Quand il aperçut son visage reflété dans le verre poli, il se reconnut à peine, et il lui sembla qu'il ne s'était jamais vu. Ses yeux lui parurent énormes ; et il était pâle, certes, il était pâle, très pâle.
Tout d'un coup, cette pensée entra en lui à la façon d'une balle : "Demain, à cette heure-ci, je serai peut-être mort." Et son cœur se remit à battre furieusement.
Il se retourna vers sa couche et se vit distinctement étendu sur le dos dans ces mêmes draps qu'il venait de quitter. Il avait ce visage creux qu'ont les morts et cette blancheur des mains qui ne remueront plus.
Alors il eut peur de son lit, et afin de ne plus le voir il ouvrit la fenêtre pour regarder dehors.

Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885, 1ère partie chapitre 7.

Questions (15 points)

Un récit (3,5 points)

1. a - Qui raconte et à quelle personne est faite la narration ? Justifiez votre réponse par une citation du texte. (0,5 pt)
1. b - Relevez un passage au style direct. Qui s'exprime ? (0,5 pt)

2 - Justifiez l'emploi du présent "ont" de "Il avait ce visage creux" à "ne remueront plus", dans un récit écrit au passé. (0,5 pt)

3. a - Relevez du début du texte jusqu'à "Est-ce que j'aurais peur ?" et de "Et un singulier besoin" jusqu'à la fin les connecteurs temporels qui font progresser le récit.
(1 pt)
3. b - Comment s'explique selon vous la présence de nombreux paragraphes ? (0,5 pt)
3. c - Caractérisez à l'aide d'un adjectif qualificatif le rythme ainsi créé. (0,5 pt)

Un sentiment (5,5 points)

4. a - Quel sentiment domine le personnage ? Dites en quoi il est lié aux circonstances. (1 pt)
4. b - Faites un relevé des termes du lexique qui marquent cette émotion. (1 pt)
4. c - Montrez par trois exemples au moins comment cette émotion se traduit physiquement. (1,5 pt)

5. De "Quand il aperçut" à "énormes" :
a - Relevez deux termes de nature grammaticale différente qui traduisent le trouble du personnage. (0,5 pt)
b - Dites quel est le point de vue adopté par le narrateur. (0,5 pt)

6 - Diriez-vous de la fin du texte qu'elle est fantastique, tragique, dramatique ?
Justifiez votre réponse par deux exemples. (1 pt)

Un discours (6 points)

7 - De "Il se mit à raisonner" jusqu'à "à son avenir", relevez et placez dans un tableau les connecteurs qui mettent en évidence les quatre rapports logiques suivants : la cause ; la conséquence ; l'opposition ; l'hypothèse. (2 pts)
8 - Dans le passage argumenté (de "Non certes" jusqu'à "que pouvait-il arriver ?"), dites ce qui, du sentiment ou de la raison, l'emporte dans l'esprit du personnage. Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur les outils grammaticaux et lexicaux et le rythme. (2 pts)
9 - Identifiez avec précision les formes verbales en "... rais" et en "... rait" de "Il se mit à raisonner" jusqu'à "voulait y aller.". (1 pt)
Justifiez. (1 pt)

Réécriture (4 points)

Recopiez le passage de "Et un singulier besoin..." jusqu'à "... jamais vu", en opérant simultanément les transformations suivantes :

  • Le récit sera fait par une narratrice et à la 1ère personne du singulier
  • "visage" sera remplacé par "traits"
  • "dans le verre" sera remplacé par "sur la surface".
  • LE CORRIGÉ

    I - QUELLE ANALYSE POUR CE SUJET ?

    Il s'agit d'un texte d'une grande complexité dans lequel Maupassant mêle à la description quasi clinique de son personnage à la veille d'un duel, l'analyse par ce même personnage de ses sentiments et ses pensées, soit dans le style indirect libre, soit dans des fragments de discours à la première personne.
    On a donc un récit qui fait se succéder les mouvements du corps et de la pensée du personnage, avec des éléments descriptifs, et des fragments d'argumentation.
    Il s'agissait donc pour répondre à ces questions de mobiliser toutes les connaissances acquises en quatrième et en troisième.

    II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

    Le sujet proposé cette année était particulièrement difficile et surtout très long. Si le professeur qui a fait le sujet avait seulement essayé de le traiter, il se serait rendu compte qu'il lui aurait fallu au moins deux bonnes heures pour le faire correctement. Alors comment peut-on exiger des élèves qu'ils réussissent ?

    Une consolation tout de même : comme c'est le cas chaque fois qu'un sujet est mal conçu, les correcteurs sont obligés d'être extrêmement indulgents dans l'application du barème. Que les élèves qui liront ce corrigé ne s'affolent donc pas : même s'ils ont l'impression de l'avoir complètement raté, ils n'auront pas une note si mauvaise que ça.
    Par exemple la 1b. Visiblement le concepteur du sujet a voulu imaginer une question permettant à l'élève d'identifier les passages où le personnage principal parlait à la première personne.

    Mais la question prête à confusion : si l'on est rigoureux, une bonne partie du récit est au style direct, l'autre étant constituée de quelques passages où visiblement le narrateur prête, au style indirect libre, des pensées à son personnage.
    La question aurait donc dû être "Relevez un passage où le personnage principal s'exprime au style direct."

    Autre question mal posée : la 3b, car on ne peut justifier la présence de nombreux paragraphes que par la décision de l'auteur de morceler son récit pour insister sur le relevé, l'énumération. Il aurait parfaitement pu ne pas aller à la ligne.
    La question aurait donc dû être : "quel effet produit le morcellement du récit en courts paragraphes ?".

    La question 8 est évidemment d'une grande complexité et exigeait, pour être traitée correctement, beaucoup plus de temps que ne le permet l'épreuve.

    III - LES QUESTIONS

    UN RECIT (3,5 points)

    1 - a (0,5 point)
    La narration est conduite à la troisième personne tout au long du texte : "il fut au lit", "il souffla", "il avait très chaud", etc.

    1 - b (0,5 point)
    Visiblement ce qu'attend le concepteur du sujet c'est la mention d'un exemple de style direct où le personnage principal dit "je" : "Est-ce que j'aurais peur ?", ou bien : "Demain, à cette heure-ci, je serai peut-être mort".

    2 (0,5 point)
    Le "ont" est un présent de l'indicatif, à valeur de vérité générale, appelé aussi "présent intemporel". Il se trouve dans une proposition relative ("qu'ont les mots").

    3 - a (1 point)
    Dans les premières lignes, nous avons d'abord une conjonction de subordination, puis quatre adverbes, dont l'un ("puis") a la valeur d'une coordination :
    "Dès qu' [...] puis [...] puis [...] encore [...] puis".

    La fin du texte contient une conjonction de coordination ("et") une locution adverbiale ("tout à coup"), une conjonction de subordination ("quand") et un adverbe à valeur de coordination ("alors") :
    "Et [...] tout à coup [...] quand [...] et [...] et [...] tout à coup [...] et [...] Alors".

    3 - b (0,5 point)
    L'auteur par le choix de courts paragraphes, insiste sur la nature et la fonction de son récit : il s'agit d'un relevé, d'une énumération de pensées, d'actions, de sentiments, qui rendent plus perceptible au lecteur l'état d'agitation du personnage.

    3 - c (0,5 point)
    Le rythme ainsi créé est "haché", "morcelé".

    UN SENTIMENT (5,5 points)

    4 - a (1 point)
    Le sentiment qui domine le personnage est celui de la peur.
    Il est dû aux circonstances suivantes : il est à la veille d'un duel au pistolet.
    Justification : Le chapeau qui précède le texte de Maupassant l'indique clairement : "Provoqué par le rédacteur d'un autre journal, il décide de se battre en duel, au pistolet, pour défendre son honneur". Le texte lui-même n'évoque cette situation que de manière implicite : "Il irait sur le terrain [...] Mais s'il tremblait [...] demain, à cette heure-ci, je serai peut-être mort", etc.

    4 - b (1,5 point)
    Le mot "peur" est répété : "Est-ce que j'aurais peur?" [...] "Aurais-je peur ?" [...] "Peut-on avoir peur malgré soi" [...] "Alors il eut peur...". Ce mot est précisé par d'autres appartenant au même champ lexical, dans la gradation suivante : "ce doute [...] cette inquiétude, cette épouvante".

    4 - c (1,5 point)
    On peut suivre l'ordre du texte ou suivre un ordre logique, c'est-à-dire suivre dans l'ordre les symptômes cliniques et physiologiques de l'émotion particulièrement intense qu'est la peur : Cela se traduit d'abord par une agitation qui fait que Duroy ne tient pas en place ("Il se tournait et se retournait, demeurait cinq minutes sur le dos..." etc) et qu'il n'arrive pas à s'endormir ("il ne pouvait parvenir à s'endormir").

    Cette agitation physique se traduit par une accélération du rythme cardiaque ("Pourquoi son coeur se mettrait-il à battre follement à chaque bruit connu de sa chambre ?") suivie de transpiration ("Il avait très chaud dans ses draps, bien qu'il fît très froid dans sa chambre").

    Ce qui déshydrate Duroy qui éprouve une sensation de soif ("Il avait encore soif. Il se releva pour boire").

    On constate aussi qu'il a du mal à respirer ("il lui fallait ouvrir la bouche pour respirer [...] tant il demeurait oppressé"), qu'il est "pâle" ("il était pâle, certes, il était très pâle, très pâle"), manifestation bien connue de la peur.

    5 - a (0,5 point)
    Il s'agit de trouver des modalisateurs.
    Une locution adverbiale de manière : "à peine", le trouble ayant pour effet de rendre plus difficile la reconnaissance de son visage dans le miroir.
    Un verbe : "sembla" ou encore "parurent", le trouble ayant pour effet de modifier la perception se son image.

    5 - b (0,5 point)
    Le narrateur adopte le point de vue de son personnage, pour montrer ce qu'il ressent. Il s'agit d'un effet de focalisation interne.

    6 - (1 point)
    A la fin du texte, le personnage est victime d'un trouble de la personnalité bien connu, qui consiste à se regarder à distance, comme si l'on était littéralement sorti de son corps : "il se vit distinctement étendu sur le dos dans ces mêmes draps qu'il venait de côté."
    Qui plus est, il a l'impression de voir un mort "il avait ce visage creux qu'ont les morts et cette blancheur des mains qui ne remueront plus".

    Attention ! Le narrateur ne dit à aucun moment que le personnage se voit mort au sens propre du terme, et ce n'est pas non plus un pressentiment, car il établit seulement une analogie entre l'aspect qu'offre son corps à distance et celui d'un mort.
    Cet état s'explique d'ailleurs assez bien par l'effroyable état d'angoisse aux progrès duquel on assiste depuis le début du texte.
    Cela donne une tonalité fantastique au texte, bien qu'il ne soit absolument pas fantastique dans la mesure où ce type de dédoublement est bien connu des psychiatres, même à l'époque de Maupassant.

    UN DISCOURS (6 points)

    7. Tableau des connecteurs logiques (2 points).

    Cause

    Conséquence

    Opposition

    Hypothèse

    puisqu' (3 fois)

    si ... que

    mais (2 fois)

    si

    8. (2 points)
    La raison semble dans un premier temps prendre le dessus sur le sentiment puisque le narrateur, grâce au style indirect libre ("Non certes il n'aurait pas peur") met en évidence la volonté de son personnage de surmonter sa peur. Pour étayer sa conviction, deux propositions subordonnées de cause introduites par "puisque" insistent sur les raisons qui étayent sa détermination. A cette répétition s'ajoute le rythme binaire des deux infinitifs qui expriment la conséquence de la volonté : "se battre", "ne pas trembler".

    Dans un deuxième temps, c'est le sentiment qui reprend le dessus. Ce renversement de situation est introduit par la conjonction de coordination à valeur adversative "mais", suivi de la mention de la conscience du sentiment : "il se sentait si profondément ému qu'il se demanda".

    Suit une question qui met en exergue la lutte intérieure (soulignée par la préposition "malgré") que se livrent chez le personnage la volonté affichée précédemment et la peur : "Peut-on avoir peur malgré soi ?". On peut remarquer au passage que la troisième personne "on" témoigne de la volonté de Duroy de ne pas se laisser submerger par cette lutte. Il ne dit pas "je", comme s'il voulait l'éviter.

    Dès lors, l'énumération qui prolonge le nom "doute" et suit le verbe "envahit" ("cette inquiétude, cette épouvante") consacre la domination du sentiment sur la raison.

    Enfin deux questions précisent le doute en le projetant dans l'avenir : Duroy sera-t-il dominé par sa volonté ou par la peur, "cette force plus puissance que sa volonté". On a donc une comparaison qui souligne encore une fois le duel que se livrent en lui volonté et sentiment.

    9. (2 points)
    Les formes à relever sont toutes des conditionnels présents : "aurais-je", "il n'aurait pas peur", "qu'arriverait-il", "l irait".

    La première se trouve entre guillemets, à la première personne. C'est un élément du discours qui s'oppose au récit. Il s'agit donc d'un vrai conditionnel de style direct. Il exprime le doute.
    Les seconds sont en revanche insérés dans le récit, mais appartiennent au style indirect libre. Ce sont des conditionnels présents sans aucune valeur conditionnelle. Ils ont une valeur de futur dans le passé.

    IV - L'EXERCICE DE REECRITURE (4 points)

    Et un singulier besoin me prit tout à coup de me relever pour me regarder dans la glace. Je rallumai ma bougie. Quand j'aperçus mes traits reflétés sur la surface polie, je me reconnus à peine, et il me sembla que je ne m'étais jamais vu.

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