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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Rouanet

Le sujet  2001 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

Le crin de Florence

A l'épouvantable odeur de pourriture qui imprégnait leurs vêtements, leurs mains et leurs cheveux, on reconnaissait les fillettes travaillant à la soie.

Dans la chaleur d'étuve des filatures, leur visage écarlate penché sur les bassinets d'eau bouillante, elles allaient chercher de leurs mains agiles, mais enflées et rouges comme celles des laveuses de lessive, l'extrémité du fil de soie.

Les fileuses avaient dix, onze, douze ans, souvent moins. On les faisait mettre en rang, on leur faisait croiser les bras et réciter la prière.
Ce n'était pas pour rien qu'on nommait les filatures les "couvents soyeux".

Tout au long du jour de travail, un long jour de douze heures - il commençait quant il faisait encore nuit et s'achevait à la nuit : 5 h, 19 h, la vapeur d'eau et la chaleur exaltaient l'odeur des chrysalides mortes.

Et c'est dans la puanteur et l'inconfort de l'humidité brûlante, que grossissaient au-dessus de leurs têtes les écheveaux(1) de claire soie.

Ainsi la soie somptueuse naissait-elle dans l'odeur de la mort.

Mais il y avait un travail plus déplaisant, plus malodorant encore que celui du dévidage des cocons.

Certains vers étaient ouverts vivants. Les doigts menus allaient chercher, dans la tiédeur visqueuse des viscères (2), les glandes séricigènes. Il fallait les étirer mécaniquement pour obtenir un fil plus fin qu'un cheveu et plus solide qu'un filin.

On en fabriquait des bas de lignes (3) et un fil chirurgical pour les sutures les plus délicates.

On l'appelait : le crin de Florence.

Marie Rouanet, Le Crin de Florence, éd. Climats, 1986.

(1) Fils destinés à être mis en pelote.
(2) Organes internes, par exemple les intestins chez les mammifères.
(3) Partie basse du fil de pêche qui porte l'hameçon.

QUESTIONS (15 Points)

I - L'INFORMATION (6 points)

1. En vous servant d'expressions du texte, expliquez les deux façons d'obtenir du fil de soie. (1 point)

2. A partir de la définition des mots suivants : "sériciculture, culture de la soie" et "lacrymogène, qui produit (fait naître) des larmes", donnez le sens du mot "séricigène". (0,5 point)

3. a) Qu'est-ce qu'une "étuve" ? Vous expliquerez ce terme en citant des expressions du deuxième paragraphe. (1 point)
    b) Trouvez, dans la suite du texte, au moins une expression appartenant au même champ lexical. (0,5 point)

4. De "A l'épouvantable odeur..." à "... mortes" :
    Que sait-on des fileuses ? Dans quelles conditions travaillent-elles ? (1,5 point)

5. De "Tout au long..." à "...mortes" :
    a) Combien ce paragraphe contient-il de phrases ? (0,5 point)
    b) A quoi servent les tirets ? (0,5 point)
    c) Quel rôle joue la phrase en incise ? (0,5 point)

II - L'ARGUMENTATION (5,5 points)

1. Relevez dans le texte deux adjectifs épithètes qui qualifient la soie ou le fil de soie. Quelle impression s'en dégage ? (1 point)

2. Dans la première phrase :
    a) Quel groupe nominal est très développé ? (0,25 point)
    b) Relevez les expansions du nom et nommez-les. (0,75 point)
    c) Quel effet produisent la place et la longueur de ce groupe nominal ? (0,5 point)

3. Que voit-on du corps des fillettes ? Pourquoi ? (1 point)

4. Par quel mot sont désignés ceux qui font travailler les fileuses ? Justifiez ce choix de l'auteur. (0,5 point)

5. Quelle figure de style est employée dans la phrase : "Ainsi la soie somptueuse naissait-elle dans l'odeur de la mort" ? Quelle idée cette figure met-elle en valeur ? Relevez dans tout le texte des termes qui révèlent le jugement de l'auteur. (1,5 point)

III - LA VISION (3,5 points)

1. En quoi la disposition de ce texte peut-elle vous faire penser à un poème ? (0,5 point)

2. Dans le passage allant de "A l'épouvantable..." à "...odeur de la mort", quel procédé fait penser à des rimes ? Donnez les deux exemples du texte. Quel effet produit leur rapprochement ? (1,5 point)

3. Dans le passage allant de "Certains vers..." à "...filin", donnez deux exemples d'allitérations différentes. Choisissez l'une d'entre elles et dites quelle impression s'en dégage pour vous. (1,5 point)

REECRITURE (4 points)

Réécrire le texte de "A l'épouvantable odeur"  jusqu'à "du fil de soie.", en remplaçant "les fillettes"  par "la fillette" et en mettant les verbes au présent.

LE CORRIGÉ

I - Quelle analyse pour ce sujet :

"Le crin de Florence" nous offre un extrait qui décrit la vie des ouvrières soyeuses au XIXe siècle. L'auteur prend position et cherche à susciter un sentiment de révolte chez le lecteur. Pour atteindre son but sans lourdeur excessive, il emploie différents procédés stylistiques que les questions permettent d'analyser.

Cela exige de la part des élèves de la méthode, de l'attention et des connaissances précises.

II - Réactions à chaud du professeur :

Un très beau texte de Rouanet ! dont la compréhension immédiate ne pose aucun problème !

Enfin des questions dignes d'un élève de troisième, contrairement à celui de la session 2000 qui était accessible à n'importe quel élève convenablement préparé de sixième. Rien d'excessivement difficile néanmoins. Rien que des questions bien au programme et couramment ressassées par les professeurs.

De plus on remarquera qu'il y avait suffisamment de questions faciles pour que n'importe quel élève ait à peu près la moyenne. En revanche, il était difficile d'avoir une excellente note.

III - Traitement du sujet :

A - L'information :

1.  La première façon d'obtenir du fil de soie consiste à aller "chercher... l'extrémité du fil de soie" dans "les bassinets d'eau bouillante". C'est ce qu'on appelle le "dévidage des cocons".

La deuxième façon est utilisée pour obtenir un fil plus solide et consiste à aller "chercher, dans la tiédeur visqueuse des viscères, les glandes séricigènes."

2.   Le mot "séricigène" veut dont dire "qui fait naître la soie".

3 - a) Une "étuve" est un lieu chaud et humide. Le Robert donne la définition suivante : "Endroit clos dont on élève la température pour provoquer la sudation". "Les bassinets d'eau bouillante" élèvent donc la température de la pièce et "la chaleur" fait transpirer les petites filles, en rendant "leur visage écarlate" et leurs mains "enflées et rouges".

    b) "La vapeur d'eau et la chaleur" ; "l'humidité brûlante".

4.   On sait que les fileuses sont des petites filles de "onze, douze ans, souvent moins", qu'elles font des journées de "douze heures", de "5 h à 19 h", avec deux heures de pause. On les fait "mettre en rang,... croiser les bras et réciter la prière" pour mieux les soumettre sans doute. Leurs conditions de travail sont extrêmement pénibles à cause de l'odeur et de la chaleur : "L'odeur de puanteur... imprégnait leurs vêtements, leurs mains et leurs cheveux" et leurs mains et leur visage étaient "écarlates".

5 - a) Ce paragraphe ne contient qu'une phrase. Rappelons la définition : Toute phrase commence par une majuscule et se termine par un point.

    b) Les tirets servent à mettre en incise une proposition, comme le ferait une parenthèse.

    c) Cela permet de donner l'explication à propos des "douze heures", après quoi la phrase reprend normalement son cours.

B - L'argumentation :

1.   "Un fil plus fin... plus solide qu'un filin" ; "un fil chirurgical". Les trois adjectifs insistent sur le caractère exceptionnel de ce fil, dont la solidité contraste désagréablement avec la vulnérabilité des fillettes qui le fabriquent.

2.   Dans la première phrase :

    a) Le groupe nominal expansé est "A l'épouvantable odeur de pourriture qui imprégnait leurs vêtements". Son noyau est le mot "odeur".

    b) Les expansions qui le constituent sont les suivantes :

        - un adjectif qualificatif : "épouvantable".

        - un groupe nominal : "de pourriture".

        - une proposition subordonnée relative : "qui imprégnait leurs vêtements."

    c) La place et la longueur de ce groupe nominal mettent en relief l'atmosphère effroyable dans laquelle vivent les soyeuses, afin de susciter un sentiment de révolte chez le lecteur.

3.  On ne voit des fillettes que le "visage" et "les mains". Tout le reste du corps est couvert malgré la chaleur étouffante. L'éducation religieuse à laquelle elles sont soumises interdirait le contraire. D'autre part, les mains doivent être nues pour accomplir ce travail si fin, si délicat, impossible avec des gants, et le visage de même afin de distinguer le fil.

4.  C'est le pronom indéfini "on" qui sert à désigner les fabricants : "on les faisait mettre en rang" ; "on en fabriquait des bas. on l'appelait : le crin de Florence". Cela permet de ne pas les nommer expressément et de diluer la responsabilité d'une telle barbarie à l'ensemble de la société. Tout le monde est complice des fabricants soyeux.

5.  Dans la phrase "ainsi la soie somptueuse naissait-elle dans l'odeur de la mort", on a un "rapprochement expressif" entre deux termes antinomiques, contradictoires : "somptueuse" d'une part, "mort" d'autre part. On peut appeler cette figure de style une "antithèse".

C - La vision :

1.  Bien qu'il s'agisse d'un texte en prose, la disposition des paragraphes peut faire penser à un poème parce qu'ils sont séparés par des blancs comme s'ils étaient des strophes.

2.  Les cinq premiers paragraphes se terminent successivement par les mots "soie" / "soie" / "soyeux" / "mortes" / "soie" / "mort". On a donc quelque chose qui ressemble un peu à une rime suivie (aa) suivie de rimes embrassées (abab). Le rapprochement entre la "soie" et la "mort" est intéressant, car la soie est considérée comme un luxe, un très beau tissu dont les reflets suscitent l'admiration. Comprendre à quel prix on produit un objet d'une telle beauté fait réfléchir. Le texte cherche à choquer le lecteur et à lui inspirer du dégoût pour la soie.

3.  Allitération en "v" : "vers... ouverts vivants... la tiédeur visqueuse des viscères".

L'impression produite par la répétition du "v" est désagréable, elle fait penser à quelque chose de glissant, de répugnant.

    Allitération en "f" : "fallait... fil plus fin...plus solide qu'un filin". Le "f" est comme le "v" une labiodentale, mais c'est une consonne sourde, moins désagréable que le "v" qui est une sonore. Ce son insiste sur la finesse du fil.

    Allitération en dentales "d" et "t" : "les doigts menus... dans la tiédeur... les glandes... étirer... pour obtenir... plus solide..." Les dentales font sentir le caractère dur et pénible du travail.

Réécriture :

A l'épouvantable odeur de pourriture qui imprègne ses vêtements, ses mains et ses cheveux, on reconnaît la fillette travaillant à la soie.
Dans la chaleur d'étuve des filatures, son visage écarlate penché sur les bassinets d'eau bouillante, elle va chercher de ses mains agiles, mais enflées et rouges comme celles des laveuses de lessive, l'extrémité du fil de soie.

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