Le sujet 2009 - Bac STG Comm. gestion RH - Histoire - Exercice |
Avis du professeur :
Le sujet porte sur la troisième partie du programme (les mutations de la France depuis 1945). Il s'agit de commenter un texte de Maurice Herzog évoquant le phénomène des "blousons noirs" et tentant d'en énumérer les causes. Ce sujet est intéressant mais difficile. Une bonne analyse du texte, une compréhension d'un discours parfois abstrait doit permettre d'éviter la paraphrase. Il faut éviter de se répéter d'une question à l'autre. Pour ce faire, il faut bien comprendre qu'on attend en premier lieu une description du phénomène puis une explication (recherche des causes). |
Sujet d'étude : Les
jeunes
Une interview de Maurice Herzog(1) au journal Le
Monde
M. Maurice Herzog estime d'abord "effectivement préoccupant", mais exagéré par certains journaux le phénomène des "blousons noirs" [...]
- Toute cette publicité a malheureusement trop souvent une valeur d'exemple pour une jeunesse désorientée. A ce titre, je déplore encore l'interview des "blousons noirs" à la radio et le nombre de films cinématographiques réalisés autour des bandes de jeunes...
Que doit-on entendre ou qu'entendez-vous, Monsieur le ministre, par "blousons noirs" ?
- On désigne, bien à tort, sous cette dénomination ce qui a existé de tout temps et dans tous les pays, non seulement les chahuts classiques d'étudiants, les jeunes gens qui se moquent du "bourgeois" et qui font du "pétard", mais aussi les ratés de famille, les fils à papa, les jeunes voyous et, à l'occasion, quelques délinquants...
Les véritables "blousons noirs", poursuit M. Herzog, existent, mais sont peu nombreux. Ce sont des adolescents qui s'organisent en bandes pour "faire des coups". Ils ne sont pas animés par le mobile de voler, de casser, de blesser, mais ils veulent se prouver à eux-mêmes qu'ils sont capables d'une certaine forme d'héroïsme.
Pour eux, les exactions ne sont pas une fin ; elles sont un moyen d'accomplir des "exploits". On a parlé de délinquance des "blousons noirs". Il ne s'agit pas d'une véritable délinquance.
Quelles sont les raisons qui poussent, selon vous, ces jeunes à vouloir se prouver à eux- mêmes ?...
- Ils ont, en premier lieu, un complexe d'agressivité contre la société. Il est vrai que l'ordre établi ignore à leurs yeux l'action audacieuse. Ils n'ont pas connu la dernière guerre mondiale et pas encore la guerre d'Algérie. Des recherches montreraient peut-être qu'après chaque grand cataclysme social(2) la génération qui suit est secouée dans ses éléments les plus vulnérables par des crises analogues. Pour des jeunes qui rêvent de coups d'éclat l'ordre social s'ingénie à les entraver(3). [...]
Découvrez-vous, Monsieur le ministre, d'autres causes encore ?
- La "jeunesse vulnérable" subit dangereusement l'influence du cinéma. James Dean avec sa "fureur de vivre"(4) a été incontestablement un exemple pour toute une catégorie de jeunes livrés aux loisirs inactifs. La presse, la télévision, la radio, consacrent à ces films des échos critiques dénonçant le mal, et voilà que précisément ces critiques justifient les films en question aux yeux de ces jeunes et en valorisent le témoignage. [...]
La liberté est infiniment respectable, mais l'ordre public et l'intérêt social également. La liberté d'expression et de critique est nécessaire dans une démocratie, mais l'Etat a le devoir de protéger sa jeunesse lorsqu'elle en a besoin.
A ces facteurs défavorables, s'ajoute une éducation qui n'est souvent qu'enseignement à l'école et routine à la maison. Les jeunes "blousons noirs" vivent presque tous dans l'abandon moral et un climat affectif déplorable : familles désunies, taudis, alcoolisme, mauvais exemples... Ils se recrutent très souvent parmi les jeunes dont les familles habitent des taudis ou des logements exigus. C'est un fait connu. Ce qui l'est moins, c'est que ces bandes se forment aussi dans les banlieues des grandes villes sous-équipées sur le plan sportif et socio-culturel.
Interview recueillie par Eugène Mannoni, Le Monde, 9 septembre 1959, p. 1 et 6.
(1)
En charge de la Jeunesse et des Sports au gouvernement de 1958 à
1965.
(2) Cataclysme social : grande crise
sociale.
(3) Entraver : empêcher par tous
les moyens.
(4) D'après La Fureur de vivre,
film américain de 1955 où James Dean incarne un jeune
révolté (quelques mois après, cet acteur est
mort au volant d'une voiture de sport).
QUESTIONS :
1.
Comment Maurice Herzog présente-t-il le phénomène
des "blousons noirs" ?
2. Quelles
explications donne-t-il aux comportements de cette partie de la
jeunesse ?
3. Expliquez le passage souligné.
4.
En quoi ce texte est-il révélateur des changements
sociaux et culturels en France à cette époque ?
1.
Maurice Herzog, en charge de la Jeunesse et des Sports au
gouvernement de 1958 à 1965, répond en 1959 à
une interview du quotidien Le Monde sur le phénomène
des "blousons noirs".
Il estime que ce phénomène
est "préoccupant" donc à ne pas
négliger, mais aussi "exagéré",
c'est-à-dire surmédiatisé, ce qui lui fait trop
de "publicité".
Il prend soin de distinguer
les véritables "blousons noirs", un phénomène
nouveau (des adolescents organisés en bandes pour "pour
faire des coups" et jouer les héros) et des phénomènes
qui ont, d'après lui, toujours existé (chahuts
d'étudiants, jeunes provocateurs, délinquance, etc). Il
pense que l'on confond souvent les deux choses.
2. Maurice
Herzog donne différentes explications aux comportements de
cette partie de la jeunesse :
●
Un "complexe d'agressivité contre la société"
: n'ayant pas connu des circonstances historiques où l'on peut
faire preuve d'héroïsme (guerre mondiale ou guerre
d'Algérie), ils cherchent à montrer qu'ils peuvent
faire preuve de courage et en ont après l' "ordre
établi".
● L'influence des médias
de masse sur les jeunes les plus "vulnérables",
et notamment du cinéma (comme la figure rebelle de l'acteur
américain James Dean), qui transmet un "modèle"
pour la jeunesse, auquel elle s'accroche d'autant plus qu'il est
critiqué par les autres médias ou le reste de la
société.
● Des problèmes
éducatifs liés à un déficit familial, aux
insuffisances de l'école mais aussi au manque
d'infrastructures sportives et socio-culturelles dans les banlieues
des grandes villes.
3. Maurice Herzog veut montrer qu'il comprend le désir de liberté de la jeunesse, notamment la liberté d'expression et de critique, qu'il ne veut pas remettre en cause puisque la Vème République française est une démocratie. Mais il estime aussi que cette liberté a des limites et il veut probablement punir ceux qui en abusent car il veut que l' "ordre public" soit respecté. Pour lui, cela revient à "protéger la jeunesse" car il est bon pour elle, pour son éducation, de voir qu'il existe des bornes à ne pas franchir.
4.
La France de la fin des années 1950 est en pleine mutation
sociale et culturelle. Le texte nous le montre à travers
différents éléments :
●
L'émergence de la jeunesse et même de l'adolescence
comme une classe d'âge spécifique qui fait la transition
entre l'enfance et l'âge adulte car la durée des études
s'allonge (scolarisation obligatoire jusqu'à 16 ans à
partir de 1959)
● La nouvelle mentalité
de cette jeunesse qui n'a connu ni la crise économique (nous
sommes pendant les 30 Glorieuses) ni la guerre et qui est
plus "turbulente" car elle s'ennuie (on le vérifiera
en mai 1968 !)
● L'influence des médias
de masse sur les jeunes et la société en général
(cinéma, presse, radio, et la télévision qui se
développera dans les années 1960 ; penser à
l'émission Salut
les copains qui
débute en 1959 et au rock qui fascinera la
génération "yéyé")
●
Les problèmes sociaux liés à une population de
plus en plus nombreuse en raison du baby-boom et de plus en plus
urbanisée : crise du logement, manque d'infrastructures
de loisirs dans des banlieues en plein essor, normes d'éducation
remises en question à l'intérieur de l'école ou
des familles.