Le sujet 2007 - Bac S - Histoire - Explication d'un document d'histoire |
Avis du professeur :
Il s'agissait d'évoquer le thème de la décolonisation et
d'envisager au travers de ce document les débats qui ont pu agiter l'opinion
française à la fin du XIXe siècle. |
Georges Clemenceau répond au discours de Jules Ferry sur la colonisation1
M. Georges
Clemenceau :
Messieurs, à Tunis, au Tonkin, dans l'Annam, au Congo, à Obock, à Madagascar,
partout... et ailleurs, nous avons fait, nous faisons et nous ferons des expéditions
coloniales ; nous avons dépensé beaucoup d'argent et nous en dépenserons
plus encore ; nous avons fait verser beaucoup de sang français et nous en
ferons verser encore. On vient de nous dire pourquoi. Il était temps ! (...)
Au point de vue économique, la question est très simple ; pour monsieur Ferry (...) la formule court les rues : "Voulez-vous avoir des débouchés ? Eh bien, faites des colonies !, dit-on. Il y aura là des consommateurs nouveaux qui ne se sont pas encore adressés à votre marché, qui ont des besoins ; par le contact de votre civilisation, développez ces besoins, entrez en relations commerciales avec eux ; tâchez de les lier par des traités qui seront plus ou moins bien exécutés." Voilà la théorie des débouchés coloniaux. (...) Lors donc que, pour vous créer des débouchés, vous allez guerroyer au bout du monde ; lorsque vous dépensez des centaines de millions ; lorsque vous faites tuer des milliers de Français pour ce résultat, vous allez directement contre votre but : autant d'hommes tués, autant de millions dépensés, autant de charges nouvelles pour le travail, autant de débouchés qui se ferment. (Nouveaux applaudissements). (...)
"Les
races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu'elles exercent, et
ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de
civilisation."
Voilà en propres termes la thèse de Monsieur Ferry, et l'on voit le
gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant
guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la
civilisation. Races supérieures ! Races inférieures c'est bientôt
dit ! Pour ma part, j'en rabats singulièrement depuis que j'ai vu des
savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d'une
race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux
fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de
prononcer : homme ou civilisation inférieurs. (...)
"Ma
politique, c'est la théorie, non pas du rayonnement pacifique, mais du
rayonnement par la guerre. Ma politique, c'est une succession d'expéditions
guerrières aux quatre coins du monde. Ma politique, c'est la
guerre !" (Ferry)
Non pas la guerre en Europe -je ne veux pas donner aux paroles de monsieur
Jules Ferry un sens et une portée qu'elles n'ont pas-, mais enfin, la politique
qu'il nous a exposée, c'est une série d'expéditions guerrières en vertu
desquelles on fera plus tard des actes commerciaux profitables à la nation
conquérante. (...) Mais nous dirons, nous, que lorsqu'une nation a éprouvé
de graves, très graves revers en Europe, lorsque sa frontière a été entamée, il
convient peut-être, avant de la lancer dans des conquêtes lointaines, fussent-elles
utiles -et j'ai démontré le contraire- de bien s'assurer qu'on a le pied solide
chez soi, et que le sol national ne tremble pas.
1 En juillet 1885, les deux députés, G. Clemenceau et J. Ferry, s'opposent, à la Chambre des députés, dans un débat sur la question coloniale.
Source : Discours prononcé par Georges Clemenceau à la Chambre des députés, 30 juillet 1885.
QUESTIONS
1. À quel moment de l'histoire de la colonisation se
situe ce débat parlementaire ?
2. Selon Georges Clemenceau, quels sont les arguments de Jules Ferry
pour justifier les expéditions coloniales ?
3. Quelles sont les positions défendues ici par Georges Clemenceau ?
4. Comment peut-on qualifier les positions de Jules Ferry et de Georges
Clemenceau dans le débat sur la question coloniale ?
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET
Le discours de Ferry est un grand
classique.
Ici, c'est la réponse de Clemenceau qui permet d'avoir une vision
critiquant les arguments utilisés par ceux qui veulent accélérer la
colonisation. Il n'y a donc pas de réelle difficulté, hormis celles de méthode pour le commentaire de
document.
II - LA PROBLEMATIQUE
Attention :
● Vos connaissances
doivent éclairer certaines illusions du
texte ;
● La paraphrase
(c'est-à-dire la citation sans explication) doit être bannie ;
● Le texte ne doit pas
être sacrifié au profit d'une récitation de tout ce que vous savez sur
la colonisation ;
● Votre opinion personnelle à propos du débat en question n'intéresse pas le correcteur :
c'est sur votre capacité d'analyse objective que vous serez noté.
III – LES REPONSES AUX QUESTIONS
1. La première question est assez restrictive : elle ne demande pas une représentation complète du document mais vous devez insister sur le contexte historique dans lequel ce débat parlementaire prend place : en 1885, la colonisation a déjà commencé depuis longtemps (la première colonie française, l'Algérie, date de 1830, sous le règne de Charles X pendant la Restauration), mais pour ce qui est de la France, elle s'est faite par à-coups sans un véritable plan d'ensemble et elle n'a guère suscité d'enthousiasme populaire ni d'adhésion massive de l'opinion publique.
Mais les années 1880 marquent un tournant dans l'histoire de la colonisation : il y a une accélération du processus, on parle même de "course aux colonies", car le contexte a changé :
● L'exploration du fleuve Congo (par Stanley et Livingstone mais aussi par Savorgman de Brazza, un Français) permet de pénétrer à l'intérieur du continent africain, qui devient un enjeu de conquête pour les puissances européennes.
● Posséder des colonies et constituer un espace colonial deviennent un impératif pour des puissances européennes en pleine rivalité économique.
N'oubliez pas que 1885 (année de ce début parlementaire), est l'année où finit la fameuse conférence internationale de Berlin (novembre 1884 - février 1885), qui permet aux puissances européennes de régler certains litiges entre elles en se "partageant" l'Afrique et en réglementant la navigation sur certains fleuves. Des zones d'influence sont ainsi établies.
Pour ce qui est de la France, une date est à citer, qui montre bien la "course aux colonies" : c'est en 1881, l'année où la Tunisie devient un protectorat français.
Quant aux deux discours, ils ont lieu quelques mois après la défaite de Lang Son en Indochine, qui a provoqué le renversement du ministère Ferry. Cet évènement a donc révélé l'opposition de nombreux députés à cette colonisation, décrite comme une dangereuse "aventure".
2. Pour Clemenceau, qui reprend en fait l'organisation du discours de
Ferry justifiant la colonisation, les arguments de
Ferry en faveur des expéditions coloniales sont de trois ordres :
● Economique : les colonies sont des débouchés pour les industries françaises qui ont besoin de consommateurs nouveaux pour éviter la surproduction.
● "Civilisationnel" : les peuples européens, considérés comme supérieurs, auraient le droit et même le devoir moral de civiliser les races inférieures, afin en quelque sorte de les amener au même niveau (c'est le "lourd fardeau de l'homme blanc" décrit par l'écrivain britannique Rudyard Kipling, la "mission civilisatrice").
● Politique et militaire : avoir des colonies, c'est être une grande puissance et posséder un rayonnement international, c'est compter aux yeux du monde.
3. Attention, il faut ici développer et ne pas se contenter de dire que les
positions défendues par Clemenceau sont celles des anticolonialistes.
Il faut référer ses arguments, et la façon dont il "démonte" point par point ceux de son adversaire politique Jules Ferry :
● La justification économique ne tient pas ("vous allez directement contre votre but") car les conquêtes coloniales provoquent la mort de milliers de soldats français, ce qui fait à la fois moins de travailleurs et moins de consommateurs (moins de "débouchés"), sans oublier les défenses importantes liées aux conquêtes (celles-ci rencontrant souvent d'importantes résistances dans les pays visés).
● Le devoir de civiliser les "races inférieures" n'est pour Clemenceau qu'un prétexte pour se donner bonne conscience et il le tourne en dérision en prenant un exemple précis : des savants allemands (créateurs de la "géopolitique") pronostiquant la victoire allemande contre la France lors de la guerre de 1870 (précisez-le bien !) en raison d'une supériorité raciale : Clemenceau montre ainsi les dangers de ce type de théories car, visiblement, on peut toujours "être la race inférieure de quelqu'un", donc victime du complexe de supériorité d'un autre peuple, même entre Européens !
● Enfin, le "rayonnement par la guerre", n'est pour Clemenceau guère justifiable moralement car il dénonce ensuite le fait que la colonie est exploitée économiquement et commercialement par la métropole et, surtout, il pense que Ferry se trompe d'objectif : attention à bien analyser les dernières lignes du discours qui parle d'une "nation ayant éprouvée de très graves revers en Europe", dont la frontière a été "entamée" et qui dit qu'on doit avant tout "s'assurer qu'on a le pied solide chez soi". Clemenceau parle ici bien sûr de la France et de la défaite de 1870 face à la Prusse, qui a abouti à la perte de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine. Pour lui, la France doit plutôt se consacrer à la récupération de ses "provinces perdues", au lieu de "guerroyer [...] aux quatre coins du monde" inutilement.
4. Dernière question assez curieuse car il parait difficile d'y apporter
une réponse développée.
Vous devez dire que les positions de Jules Ferry, républicain "opportuniste" ou modéré, et de Georges Clemenceau, républicain radical, sont opposées à propos de la question coloniale :
● Ferry, en tant que Président du Conseil ou Ministre des Affaires Etrangères a voulu contribué à l'expansion territoriale de la France : il est "colonialiste".
● Clemenceau est "anticolonialiste", par morale personnelle sans doute mais aussi par réalisme politique : pour lui, la France doit d'abord retrouver son rang en Europe, face à l'Allemagne, plutôt que de se lancer dans des expéditions coûteuses outre-mer.
IV - LES OUTILS : SAVOIRS ET SAVOIR-FAIRE
Mots-clés |
Principaux acteurs |
Dates |
Course aux colonies |
Clemenceau |
1830 : "Conquête" de l'Algérie |