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Annales gratuites Bac L : Queneau : la répétition

Le sujet  2000 - Bac L - Littérature - Question Imprimer le sujet
LE SUJET

Au chapitre V des Fleurs Bleues, le duc d'Auge déclare : "La répétition est l'une des plus odoriférantes fleurs de la rhétorique".
Quelle place occupe le procédé de la répétition dans le roman ?

LE CORRIGÉ

I - FICHE SIGNALETIQUE

Cette question utilise une citation qui fait référence aux fleurs de la rhétorique qui désignent, ici, les ornements du discours et les procédés de style dont Queneau est friand. Il aborde par là même, l'essence même de la constitution des fleurs bleues c'est-à-dire, le travail sur l'écriture par contrainte oulipienne. Dans les fleurs bleues, une des contraintes que Queneau s'est imposée, est la répétition.

II - REACTION A CHAUD DU PROFESSEUR

Cette question peut au premier abord paraître déroutante et difficile car elle fait appel à plusieurs thèmes du roman : l'Histoire, les effets narratifs, la littérature, et les jeux d'écriture. Une bonne connaissance du cours pouvait, malgré tout, permettre de construire un travail correct sans trop de difficultés.

III - TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

Les fleurs bleues, écrites en 1965 ont été pour Queneau le moyen de mettre en place, pour la première fois dans un roman, les principes oulipiens qu'il avait déjà abordés, d'un point de vue poétique, dans cent mille milliards de poèmes en 1961, juste un an après la création de L'OuLiPo.

La citation du duc d'Auge, "La répétition est l'une des plus odoriférantes fleurs de la rhétorique", est tout d'abord un écho du titre du roman, les fleurs bleues. Elle fait par ailleurs référence à la fonction résolument ludique que Queneau a décidé d'adopter dans l'intégralité de son livre, la répétition en étant une des clés principales : jeu avec l'histoire, dans un premier temps, jeu avec la narration dans un deuxième temps et pour finir, jeu d'écriture. Nous verrons donc en quoi le procédé de répétition dans le roman permet à Queneau de donner une certaine unité à son œuvre. Il conviendra de définir les trois aspects que nous venons d'exposer, l'Histoire, la narration et les jeux d'écriture et de lecture, tout en analysant la place qu'occupent les procédés répétitifs dans ces trois jeux.

A première vue, il pourrait sembler que ce soit le duc d'Auge qui soit le plus engagé dans le système cyclique et répétitif de l'Histoire. C'est en effet lui qui voyage dans le temps, sautant allégrement d'époque en époque, au rythme répétitif que lui impose Queneau de 175 ans en 175 ans. Il démarre son aventure en 1264, passe par 1439, enjambe 1614, s'arrête en 1789 pour venir s'échouer chez Cidrolin en 1964.

Or Cidrolin aussi, à sa manière et de façon beaucoup plus statique, semble aussi prisonnier d'un phénomène de répétition : sieste, repas, peinture rythment sa vie au fil des saisons, agrémenté de ci de là par la venue, elle aussi répétitive, de personnages pittoresques à la recherche du "campigne" ou d'un brin de causette.

On peut voir dans cette prise de position de Queneau, sa conception cyclique et répétitive de l'histoire. Les cycles proposés par Queneau correspondent à des répétitions de faits et de situations car la répétition est un élément essentiel de l'histoire écrivait-il dans une Histoire modèle publiée en 1966, en relation directe avec les Fleurs bleues.

Les répétitions narratives sont nombreuses entre le duc d'Auge et Cidrolin. En effet, Cidrolin est veuf, le duc d'Auge aussi, Cidrolin a des triplées, il en est de même pour le duc d'Auge. Lalix, l'amie de Cidrolin, est fille de bûcheron. Après que le duc d'Auge s'est perdu dans la forêt et a été recueilli par un bûcheron, c'est sa fille qu'il épouse finalement. On pourrait trouver des dizaines de similitudes répétitives du même ordre éparpillées dans tout le roman.
Les épisodes avec le passant sont, eux aussi, symptomatique de l'effet de répétition recherché par Queneau. Le personnage du passant dont on ignore totalement qui il est, s' il s'agit toujours du même ou s'il en existe plusieurs, apparaît huit fois dans tout le roman, quand on ne s'y attend pas, disparaît toujours aussi soudainement et, surtout, il est sans aucun intérêt narratif. L'essentiel ne réside donc pas dans son intérêt dramatique mais uniquement dans les éléments de structures répétitives qu'il engendre.

Les référence aux mots qu'ils soient écrits ou lus, tiennent eux aussi une place prépondérante dans tout le roman. Ainsi revoit-on apparaître à quelques centaines de pages de distance le même sonnet de Charles d'Orléans,(Hyver, vous n'êtes qu'un vilain,…) déclamé une fois par Sthène, le cheval parlant, et une autre fois par les filles du duc d'Auge. De même, le recueil de Verlaine, Jadis et naguère est cité deux fois.

C'est selon le même schéma que l'on peut analyser le travail de Queneau sur l'écriture et sur les effets stylistiques qu'il cherche à produire. Il est en effet, très fréquent de rencontrer dans le roman la répétition à la suite de la même phrase, à l'identique ou avec un seul changement, qu'il soit d'ordre verbal ("Il va faire nuit et même nuit noire disait le duc et le narrateur reprenant à la suite, Effectivement, il fit nuit et même nuit noire") ou d'ordre sémantique ("On rit. Pas Pascaillou qui d'une voix larmoyante, énonce son plus cher désir, se transforme au paragraphe suivant en On rit. Pas Pascaillou qui continue de se lamenter et enfin à la page suivante On rit. Pas Pascaillou qui trépigne.")

En conclusion, on peut dire que la contrainte d'écriture, que se donne Queneau, impose donc des motifs, des scènes, des mots, des phrases, des situations qui se répètent selon un rythme prédéfini par Queneau. Ces répétitions ont pour but de créer une dynamique d'écriture narrative qui donne un effet d'unité au recueil qui sans cela apparaîtrait décousu et sans aucun sens.

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