Suivez-nous
 >   >   >   > Renoir : la bande son

Annales gratuites Bac L : Renoir : la bande son

Le sujet  2000 - Bac L - Littérature - Question Imprimer le sujet
LE SUJET

Quels aspects de la bande-son (dialogues, bruits, musique) de La Règle du jeu ont-ils retenu votre attention ?

LE CORRIGÉ

I - FICHE SIGNALETIQUE

   La formulation du sujet, qui demande une réponse personnelle au candidat, peut le déconcerter. Par ailleurs, on peut considérer que cette question embrasse, elle aussi, comme la première, l'ensemble de l'œuvre.

II - PREMIERES IMPRESSIONS DU PROFESSEUR

   L'étude de la bande-son a sans doute été vue en cours. La question permet au candidat de valoriser son approche proprement cinématographique de l'œuvre, puisque, si elle n'exclut pas la mise en relation avec les images et le "message textuel" de l'œuvre, elle recentre l'attention sur cette dimension propre au cinéma moderne : le son.

III - CONNAISSANCES REQUISES

   La maîtrise de l'aspect technique (prise directe, mixage, différences entre bruits/sons/musiques…) est nécessaire.

IV - TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

   En 1928, c'est la naissance du cinéma parlant. Contrairement à des artistes comme Chaplin, par exemple, Renoir va résolument s'engager dans cette technique révolutionnaire : c'est souligner d'emblée l'importance de la bande-son dans La Règle du Jeu.

   Que choisir parmi les usages et effets spécifiques de la bande sonore telle que l'a utilisée Renoir ? Sur le carton XI du générique est inscrit un couplet du Vaudeville interprété par Bazile, le maître de musique du Mariage de Figaro de Beaumarchais. Mais c'est la Danse Allemande en ré majeur, de Mozart, qui est entendue en fond sonore. Dès que celle-ci s'interrompt, dans le noir, des bruits de voix confuses : c'est l'aéroport du Bourget et nous pénétrons immédiatement à l'intérieur de Radio-Cité.
La première remarque à faire porte donc sur l'hétérogénéité de la bande-son : "Radio-Cité vous parle" dit la voix "off" de la reporter. D'emblée, la difficulté de la communication comme un des thèmes de l'œuvre est mise en évidence.

   On pourrait considérer qu'en refusant la postsynchronisation, en optant pour l'enregistrement direct, Renoir a choisi une esthétique réaliste. Un acteur compétent, selon Renoir, doit rendre ses expressions, sa gestuelle, son intonation cohérentes, après un long travail qui exclut pourtant toute spontanéité. Or, paradoxalement, Renoir ne veut pas "faire vrai" et il utilise le son de façon anti-naturaliste.

   Le son (voix, musiques, bruits) revêt plusieurs fonctions. Le son a d'abord une fonction narrative. Au plan 1, monopolisé par la Radio-Reporter de Radio-Cité, l'une de ses remarques est : "Attention au fil". Or, son reportage sera justement le fil conducteur qui permettra de communiquer de l'extérieur de l'aérodrome aux différents intérieurs et de relier ceux-ci entre eux : au plan 7, c'est avec le montage alterné, la retransmission qui permet d'identifier Christine comme la destinataire du message de Jurieux. C'est encore la radio qui fera le lien avec les appartements de Robert puis ceux de Geneviève, où, au bout du reportage, "le concert d'orchestre musette continue" de façon assez ironique. Les espaces s'encastrent donc l'un dans l'autre et prennent une cohérence.

   La musique peut aussi, par exemple, avoir un rôle de contrepoint. Elle peut démentir les images, elle les charge d'un sens, d'une dimension nouvelle. Par exemple, les automates musicaux présentent une musique sclérosée ; ils brouillent les messages émotionnels : la musique de la "petite négresse romantique" se surimpose au dialogue entre Christine et Robert, comme la boîte à musique (plan 24) pendant que Robert téléphone à Geneviève. Par ailleurs, autre exemple, la chanson "nous avons levé le pied" permet au spectateur une lecture politique (que ne peuvent faire les personnages) puisque le contexte historique renvoie aux accords de Munich. En outre, cette phrase musicale se situe juste au moment où Christine demande à Jurieux de l'enlever. Renoir joue sur l'équivoque des paroles de la chanson interprétée au Grand Salon avec Robert pour public. Dans ce cas, la musique produit un effet comique : une certaine ironie naît du télescopage du son et des images.

   Quant à la parole proprement dite, elle est souvent confuse : les personnages parlent souvent ensemble et le dialogue est parfois difficilement audible. Si, par moments, on peut parler d'une "polyphonie", par exemple, lors de la tentative d'interview au Bourget, souvent la parole tend à la cacophonie : au plan 215, les invités cherchent leurs chaussures dans le brouhaha ; au retour de la chasse, les chamailleries des chasseurs se fondent dans les rumeurs des rabatteurs.

   Hormis les morceaux de Mozart en introduction et de Monsigny au final, tous les sons sont diégénétiquement liés à l'image que voit le spectateur. Cependant, l'aspect le plus remarquable de la bande-son est sans doute l'utilisation par Renoir de l'absence de son : celle-ci fausse la compréhension de ce qui est perçu visuellement : par exemple, lorsque Christine intercepte le baiser de Robert et de Geneviève, elle ne peut imaginer un baiser d'adieu. De même, le quiproquo de Schumacher ne pourra avoir lieu que parce qu'il n'entend pas la voix de Christine et continue de croire qu'il s'agit de Lisette.

   On le voit donc, la bande-son et son exploitation sont extrêmement complexes. Bien des aspects auraient pu aussi être développés : le choix de musique du XIXe siècle qui traduit le passéisme de la classe bourgeoise ; l'utilisation de la Danse Macabre de Saint-Saëns comme anticipation dramatique de la mort de Jurieux ; le décalage des musiques et des classes sociales : musiques populaires de caf' conc' pour la haute bourgeoisie, valse de Chopin pour les cuisines et les domestiques (plan 117) ; utilisation des bruits "naturels", tels le champ du coq, le tintement des cloches, pour ponctuer les dialogues, etc…

2022 Copyright France-examen - Reproduction sur support électronique interdite