Annales gratuites Bac L : Renoir : Partie de chasse

Quelle place et quelle importance a, dans La Règle du jeu , l'épisode de la partie de chasse ?

I - FICHE SIGNALETIQUE

Cette question correspond à l'un des "passages obligés" du film de RENOIR.

C'est sans doute l'un des épisodes les plus connus de cette oeuvre. Cependant il demandait un peu de rigueur pour être traité.


II - PREMIERES IMPRESSIONS DU PROFESSEUR

C'est bien sûr un épisode intéressant, à la fois par les contraintes techniques qui se sont posées pour sa réalisation, et qui permettent de juger de l'importance que RENOIR lui accordait, et par ses dimensions dramatiques et symboliques.


III - CONNAISSANCES REQUISES

Il faut garder en mémoire les éléments "narratifs" de l'épisode, mais aussi maîtriser le lexique cinématographique (champ / contre-champ, panoramique ...)


IV - TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

La Règle du jeu a été pour le metteur en scène RENOIR l'occasion de montrer sa virtuosité technique. Il s'intéresse à l'articulation des espaces naturels et des décors bâtis en studios.

C'est ainsi que RENOIR voudra faire reposer son intrigue sur deux points forts qui formeront comme un diptyque : une partie de chasse en Sologne et une fête dans un château reconstitué en studio.

Cela supposait en outre une maîtrise de l'enregistrement des sources sonores.
Cela dit, la partie de chasse occupe une place centrale dans la Règle du jeu .

Elle constitue un épisode qui peut être lu à partir de différents points de vue : simple récit d'un divertissement de l'élite sociale, anticipation sur le dénouement dramatique du film, symbole de l'insouciance d'une société déliquescente, illustration des Pensées de PASCAL.

A - DESCRIPTION D'UNE "VRAIE" CHASSE

Cet épisode tourné en extérieur à la lumière du jour rompt complètement avec l'esthétique générale du film de RENOIR.

Cela ne donne que plus de densité à la séquence. Il a souhaité mettre en scène une chasse authentique.

Pour cet épisode, il sacrifia par caisses entières du gibier : il s'agit de filmer l'horreur. RENOIR a déclaré haïr la chasse : "J'ai horreur de la chasse. Je la considère comme l'exercice d'une cruauté inexcusable".

Montrer l'agonie des lapins lui permet de renforcer la présence de la mort (qui a son pendant dans la Danse Macabre).

Le récit est donc un documentaire : les rabatteurs et le garde-chasse sont en uniforme, les invités ont des tenues de campagne. Seuls André et Octave échappent au costume traditionnel.

Les différentes étapes de la chasse sont présentes : débusquer le gibier, le viser, le tirer, puis le ramassage avec les chiens.

La bande sonore souligne le réalisme de la scène : cris, cors de chasse, coups de fusils, échanges d'appels.
RENOIR a veillé aussi à employer le vocabulaire cynégétique.

Cependant, RENOIR choisit des plans très brefs : il ne cherche pas à verser dans la sensiblerie, c'est une tuerie mais que l'on voit en s'en distanciant.

RENOIR met en scène un véritable plaisir de tuer : lors de la découverte de l'écureuil, Saint- Aubin et Berthelin ne pensent qu'à le tirer.

B - UNE ANTICIPATION SUR LE DENOUEMENT

Dans le premier mouvement de l'épisode, RENOIR met en scène le massacre des animaux.

Le second mouvement prépare l'évolution de l'intrigue et anticipe sur son dénouement.

Au plan 127, André propose un affût. Octave refuse craignant d'être pris pour le gibier. Puis, lorsqu'André se retrouve avec Jackie (plan 184), celle-ci en voulant tirer sur un lapin manque de le toucher.
Par deux fois, André est donc présenté comme une victime possible, ce qu'il sera effectivement au plan 322 lorsque Schumacher l'abattra.
C'est aussi dans cet épisode que Christine découvrira l'infidélité de Robert, découverte qui produira une accélération de l'intrigue.
L'épisode de la chasse est enfin le révélateur du "dérèglement". Par exemple, au début, les chasseurs respectent les règles de civilité. Cependant, ils n'hésitent pas à se disputer un lapin à la fin.

C - UN SYMBOLE DE L'INSOUCIANCE DE LA SOCIETE

RENOIR a voulu montrer par la cruauté et la brutalité de cet épisode l'état d'esprit de l'élite sociale des années trente.

Si l'on replace le film dans le contexte de sa sortie en juillet 1939, on sent très bien l'inquiétude du metteur en scène.

Cette séquence qui n'est sur un plan dramatique qu'une parenthèse entre des jeux amoureux, permet par le cadrage des personnages (contre-plongées des chasseurs derrière les affûts), les plans rapprochés sur l'agonie du gibier, de mettre en évidence l'aveuglement d'une société inconsciente du danger qui la menace. Les chasseurs tuent mécaniquement les animaux et la rapidité du montage nous les fait percevoir insensibles, indifférents, analogues aux automates que collectionne Robert.

D - UNE MISE EN SCENE DU DIVERTISSEMENT PASCALIEN

La représentation de l'épisode de la chasse peut être interprétée comme l'illustration d'une des Pensées de Blaise PASCAL. Cette séquence prend donc une dimension philosophique et morale.

Dans ses Pensées (139 à 146 édition de Brunschwig), PASCAL déclare que tous les malheurs de l'homme viennent de ne savoir rester au calme dans une chambre et de se confronter à la misère de sa condition mortelle. Aussi recherche-t-il dans les activités les plus diverses (même la guerre et les affaires) de quoi se détourner de son angoisse. PASCAL donne en exemple la chasse.

Le chasseur n'est pas intéressé par le gibier qu'il tue et qu'il pourrait se procurer à moindre fatigue.

Mais l'activité de la chasse le détourne pendant quelques heures de la conscience de l'absurdité de son existence.

Cet épisode est donc un pivot du film. Il allie à des qualités documentaires, une variété de tons qui oscillent entre le dramatique et le comique, une dimension symbolique et prémonitoire. Très éprouvante pour le spectateur, il est le contre-point de la légèreté déclarée grâce aux allusions aux comédies de moeurs du XVIII^ème siècle.

Elle constitue la réalité de la mort qui sera théâtralisée dans la Danse Macabre.

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