Suivez-nous
 >   >   >   > Texte d'Alain

Annales gratuites Bac L : Texte d'Alain

Le sujet  1996 - Bac L - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
LE SUJET

Dégagez l'intérêt philosophique de ce texte en procédant à son étude ordonnée.

"Voter, ce n'est pas précisément un des droits de l'homme ; on vivrait très bien sans voter, si l'on avait la sûreté, l'égalité, la liberté. Le vote n'est qu'un moyen de conserver tous ces biens. L'expérience a fait voir cent fois qu'une élite gouvernante, qu'elle gouverne d'après l'hérédité, ou par la science acquise, arrive très vite à priver les citoyens de toute liberté, si le peuple n'exerce pas un pouvoir de contrôle, de blâme et enfin de renvoi.

Quand je vote, je n'exerce pas un droit, je défends tous mes droits. Il ne s'agit donc pas de savoir si mon vote est perdu ou non, mais bien de savoir si le résultat cherché est atteint, c'est-à-dire si les pouvoirs sont contrôlés, blâmés et enfin détrônés dès qu'ils méconnaissent les droits des citoyens.

On conçoit très bien un système politique, par exemple le plébiscite (1), où chaque citoyen votera une fois librement, sans que ses droits soient pour cela bien gardés. Aussi je ne tiens pas tant à choisir effectivement, et pour ma part, tel ou tel maître, qu'à être assuré que le maître n'est pas le maître, mais seulement le serviteur du peuple. C'est dire que je ne changerai pas mes droits réels pour un droit fictif."

ALAIN

(1) Vote par lequel un peuple abandonne le pouvoir à un homme.

LE CORRIGÉ

I - LES TERMES DU SUJET

La sûreté à laquelle Alain fait allusion au début du texte désigne bien sûr la sécurité dont la révolution française a fait l'un des droits du citoyen, opposable à l'arbitraire policier.

La notion de contrôle est quant à elle capitale dans la doctrine politique d'Alain : Pour l'intellectuel du parti radical, l'intervention du citoyen dans la vie politique consiste essentiellement à accorder ou refuser son quitus aux députés sortants.

La définition proposée en note du plébiscite fait problème. Il s'agit en fait d'un référendum sur le maintien au pouvoir du chef de l'Etat, éventuellement au travers d'un vote pour ou contre un projet de loi ou de traité.

Rien ne permet de décréter a priori qu'on pourrait opposer la pratique référendaire à la souveraineté populaire, comme semblent suggérer ceux qui ont annoté ce texte d'Alain.


II - ANALYSE DU PROBLEME

Il s'agit d'évaluer le rôle et la portée du suffrage universel dans une démocratie. Or pour Alain, le droit de vote a surtout une utilité négative : il permet au citoyen, sinon d'orienter la politique gouvernementale, tout au moins de ne pas reconduire une majorité sortante. Ce qui devrait suffire, selon Alain, à garantir le peuple contre d'éventuels abus de pouvoir de l'exécutif.


III - LES GRANDES LIGNES DE REFLEXION

Dans un premier temps (qui couvre les deux premières phrases), Alain affirme que le droit de vote n'est pas l'un des droits fondamentaux de l'homme, mais le moyen pour le citoyen de s'assurer la sauvegarde de ces droits.

Un second moment du texte (jusqu'à la fin du premier paragraphe) expose de manière plus détaillée le rôle du vote : contrôler, blâmer et éventuellement chasser la majorité sortante, rien de plus.

Les trois dernières phrases soulignent que l'essentiel pour le citoyen est moins de pouvoir choisir le maître qui lui semble le meilleur, que de disposer du moyen légal de se débarrasser d'un mauvais maître. Le contrôle régulier du parlement par le peuple étant à préférer à un plébiscite qui confierait une fois pour toutes le pouvoir à un seul.


IV - UNE DEMARCHE POSSIBLE

A - LA FONCTION DU DROIT DE VOTE

1 - Le vote, un moyen de préserver les droits de l'homme
Le premier moment du texte établit clairement que le vote n'a pas sa fin lui-même. Il n'est qu'un moyen en vue de la préservation des autres droits de l'homme qui eux sont des biens en soi.

Sécurité, égalité, liberté : il s'agit d'un droit de l'homme et de deux droits des citoyens, affirmés comme tels par la déclaration de 1789. La sécurité garantit tout simplement le droit de l'homme à la vie, la liberté et l'égalité rendent possible dans le contexte de la cité la recherche de ce qu'Aristote appelait "la vie bonne".

Reste à savoir comment le droit de vote peut aider à assurer la préservation de ces droits et surtout pourquoi il ne peut avoir d'autre utilité.

2 - Un nécessaire pouvoir de contrôle
C'est l'objet du second moment du texte, on y voit Alain assumer sans réticence l'idée d'une démocratie représentative, dans laquelle les pouvoirs législatifs et exécutifs ne sont pas exercés effectivement par le peuple, mais confiés par lui à des élus.

Autrement dit, Alain souscrit à l'idée d'une distinction (sinon d'une opposition) entre "peuple" et "élite" gouvernante. Mais à cette réserve près qu'il récuse tout modèle aristocratique fondé sur la naissance ou la compétence : soit l'Ancien régime d'une part et d'autre part l'actuel "pilotage" technocratique des "sociétés complexes" dont les signes annonciateurs commençaient peut-être à poindre sous la troisième République observée par Alain.

Habituellement considéré comme un pouvoir de choix (que veut dire "élection", sinon ?), le droit de suffrage est réduit par Alain à un pouvoir d'approbation ou de censure de "l'élite gouvernementale" candidate au renouvellement de son mandat. Comme s'il pouvait suffire au citoyen de préserver par le vote ses droits fondamentaux, sans pour autant exercer une influence déterminante sur les orientations de la politique gouvernementale.

3 - Critique du recours au plébiscite
Le dernier moment du texte oppose à la démocratie représentative une pseudo-démocratie plébiscitaire.

L'usage bonapartiste du suffrage universel revient en effet à demander au peuple de dire une fois pour toutes amen au grand homme supposé savoir mieux que les sujets ce que est bon pour eux.


B - UNE DISCUSSION POSSIBLE DES PROPOS D'ALAIN A LA LUMIERE DE L'HISTOIRE

On pourrait cependant être tenté d'opposer à l'argumentation d'Alain la réflexion de Carl Schmitt, à la fin des années 1920, sur la possibilité d'une pratique plébiscitaire de la démocratie. L'appel direct au peuple par dessus la tête des partis et des corps intermédiaires, peut être, pour un chef d'Etat démocratiquement élu et soucieux des droits de l'homme autant que du salut de l'Etat, un moyen de renforcer sa légitimité.

C'est ainsi que la pratique gaullienne du référendum a permis à la cinquième République de triompher d'un certain nombre d'épreuves politiques et militaires, puis du gaullisme lui-même à l'occasion du référendum de 1969 dont chacun connaissait la dimension plébiscitaire.

En revanche, Alain a pu observer en 1940, que c'est le vote majoritaire du parlement élu en 1936, et non un plébiscite, qui a placé entre les mains de Pétain les pleins pouvoirs, y compris en matière constitutionnelle. Sans compter que le régime de Vichy s'est soigneusement gardé de recourir à quelque élection que ce soit, fut-ce sous la forme d'un plébiscite.


V - QUELQUES REFERENCES POSSIBLES

Il pouvait être utile pour comprendre et expliquer ce texte de pouvoir situer ALAIN dans l'histoire (première moitié de notre siècle) et de connaître son engagement politique (aux côtés du parti de Daladier et d'Edouard Herriot).

On pouvait aussi comparer sa conception de la démocratie à celle de MONTESQUIEU, et l'opposer à celle de ROUSSEAU (voir, respectivement, Esprit des lois , livre I, chapitre XIII ; et Contrat Social , livre III, chapitre IV).


VI - LES FAUSSES PISTES

On ferait un contresens en attribuant à Alain l'idée que le droit de vote n'a d'importance que relative, sous prétexte qu'il n'a d'utilité que négative.


VII - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR

Le texte est bref et mériterait d'être complété. Alain est l'auteur de propos sur le pouvoir beaucoup plus substantiels, combinant plus nettement que ce passage, l'affirmation du devoir d'obéissance et du devoir de contrôle.

2022 Copyright France-examen - Reproduction sur support électronique interdite