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Annales gratuites Bac 1ère STI : Le projet autobiographique

Le sujet  2004 - Bac 1ère STI - Français - Ecriture d'invention Imprimer le sujet
LE SUJET

Vous avez décidé d'écrire votre autobiographie et vous parlez de ce projet dans votre journal intime.
Vous rédigez deux passages de ce journal :
Dans le premier vous expliquez pourquoi vous voulez vous lancer dans ce projet et
vous indiquez quels seront vos choix d'écriture.
Dans le deuxième, vous mettez en œuvre vos choix d'écriture pour commencer votre
autobiographie et évoquer un moment de votre vie.

(En aucun cas votre identité précise ne doit être mentionnée dans votre texte.)

Texte A : Raymond Queneau, Chêne et chien, 1937.
Raymond Queneau naît au Havre en 1903 dans un milieu modeste. Il deviendra l'un des auteurs les plus connus de son époque. Toute son œuvre a consisté à inventer de nouvelles formes et à exploiter toutes les ressources poétiques du langage.

Je naquis au Havre un vingt et un février
en mil neuf cent et trois.
Ma mère était mercière et mon père mercier :
ils trépignaient de joie.
Inexplicablement je connus l'injustice
et fus mis un matin
chez une femme avide et bête, une nourrice,
qui me tendit son sein.
De cette outre de lait j'ai de la peine à croire
que j'en tirais festin
en pressant de ma lèvre une sorte de poire,
organe féminin.

Et lorsque j'eus atteint cet âge respectable
vingt-cinq ou vingt-six mois,
repris par mes parents, je m'assis à leur table
[...]
Mon père débitait des toises(1) de soieries,
des tonnes de boutons,
des kilos d'extrafort(2) et de rubaneries
rangés sur des rayons.
Quelques filles l'aidaient dans sa fade besogne
en coupant des coupons
et grimpaient à l'échelle avec nulle vergogne,
en montrant leurs jupons.
Ma pauvre mère avait une âme musicienne
et jouait du piano ;
on vendait des bibis(3) et de la valencienne(4)
au bruit de ses morceaux
Jeanne Henriette Evodie envahissaient la cave
cherchant le pétrolin,
sorte de sable huileux avec lequel on lave
le sol du magasin.
J'aidais à balayer cette matière infecte,
on baissait les volets,
à cheval sur un banc je criais "à perpette"(5)
(comprendre : éternité).

Ainsi je grandissais parmi ces demoiselles
en reniflant leur sueur
qui fruit de leur travail perlait à leurs aisselles :
je n'eus jamais de sœur.

(1) toise : mesure de longueur, environ deux mètres.
(2) extrafort : ruban dont on garnit intérieurement les coulures.
(3) bibi : petit chapeau de femme.
(4) valencienne : dentelle fine fabriquée à Valenciennes.
(5) "à perpette" : familier, pour "à perpétuité".

Texte B : Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958.
Je suis née à quatre heures du matin, le neuf janvier 1908, dans une chambre aux meubles laqués de blanc, qui donnait sur le boulevard Raspail. Sur les photos de famille prises l'été suivant, on voit de jeunes dames en robes longues, aux chapeaux empanachés de plumes d'autruche, des messieurs coiffés de canotiers(1) et de panamas(2) qui sourient à un bébé : ce sont mes parents, mon grand-père, des oncles, des tantes, et c'est moi. Mon père avait trente ans, ma mère vingt et un, et j'étais leur premier enfant. Je tourne une page de l'album ; maman tient dans ses bras un bébé qui n'est pas moi ; je porte une jupe plissée, un béret, j'ai deux ans et demi, et ma sœur(3) vient de naître. J'en fus, paraît-il, jalouse, mais pendant peu de temps. Aussi loin que je me souvienne, j'étais fière d'être l'aînée : la première. Déguisée en chaperon rouge, portant dans mon panier galette et pot de beurre, je me sentais plus intéressante qu'un nourrisson cloué dans son berceau. J'avais une petite sœur : ce poupon ne m'avait pas.
De mes premières années, je ne retrouve guère qu'une impression confuse : quelque chose de rouge, et de noir, et de chaud. L'appartement était rouge, rouges la moquette, la salle à manger Henri II, la soie gaufrée qui masquait les portes vitrées, et dans le cabinet de papa les rideaux de velours ; les meubles de cet antre sacré étaient en poirier noirci ; je me blottissais dans la niche creusée sous le bureau, je m'enroulais dans les ténèbres ; il faisait sombre, il faisait chaud et le rouge de la moquette criait dans mes yeux. Ainsi se passa ma toute petite enfance. Je regardais, je palpais, j'apprenais le monde, à l'abri.

(1) canotier : chapeau de paille à bord plat
(2) panama : chapeau de paille importé de Panama
(3) Hélène, surnommée "Poupette"

Texte C : Marguerite Yourcenar, Souvenirs pieux(4),1974.
L'être que j'appelle moi vint au monde un certain lundi 8 juin 1903, vers les 8 heures du matin, à Bruxelles, et naissait d'un Français appartenant à une vieille famille du Nord, et d'une Belge dont les ascendants avaient été durant quelques siècles établis à Liège, puis s'étaient fixés dans le Hainaut. La maison où se passait cet événement, puisque toute naissance en est un pour le père et la mère et quelques personnes qui leur tiennent de près, se trouvait située au numéro 193 de l'avenue Louise, et a disparu il y a une quinzaine d'années, dévorée par un building.
Ayant ainsi consigné ces quelques faits qui ne signifient rien par eux-mêmes, et qui, cependant, et pour chacun de nous, mènent plus loin que notre propre histoire et même que l'histoire tout court, je m'arrête, prise de vertige devant l'inextricable enchevêtrement d'incidents et de circonstances qui plus ou moins nous déterminent tous. Cet enfant du sexe féminin, déjà pris dans les coordonnées de l'ère chrétienne et de l'Europe du XXème siècle, ce bout de chair rose pleurant dans un berceau bleu, m'oblige à me poser une série de questions d'autant plus redoutables qu'elles paraissent banales, et qu'un littérateur qui sait son métier se garde bien de formuler. Que cet enfant soit moi, je n'en puis douter sans douter de tout. Néanmoins, pour triompher en partie du sentiment d'irréalité que me donne cette identification, je suis forcée, tout comme je le serais pour un personnage historique que j'aurais tenté de recréer, de m'accrocher à des bribes de souvenirs reçus de seconde ou de dixième main, à des informations tirées de bouts de lettres ou de feuillets de calepins qu'on a négligé de jeter au panier, et que notre avidité de savoir pressure au-delà de ce qu'ils peuvent donner, ou d'aller compulser dans des mairies ou chez des notaires des pièces authentiques dont le jargon administratif et légal élimine tout contenu humain.

(4) Pieux : pleins de tendresse et de respect quasi religieux

Texte D : Cavanna, Les Ritals, 1974.
C'est un gosse qui parle. Il a entre six et seize ans, ça dépend des fois. Pas moins de six, pas plus de seize. Des fois il parle au présent, et des fois au passé. Des fois il commence au présent et il finit au passé, et des fois l'inverse. C'est comme ça la mémoire, ça va ça vient. Ça rend pas la chose compliquée à lire, pas du tout, mais j'ai pensé qu'il valait mieux vous dire avant.
C'est rien que du vrai. Je veux dire, il n'y a rien d'inventé. Ce gosse, c'est moi quand j'étais gosse, avec mes exacts sentiments de ce temps-là. Enfin je crois. Disons que c'est le gosse de ce temps-là revécu par ce qu'il est aujourd'hui, et qui ressent tellement fort l'instant qu'il revit qu'il ne peut pas imaginer l'avoir vécu autrement.

LE CORRIGÉ

I - LA FICHE SIGNALETIQUE

Type de sujet : invention
Genre requis : autobiographie et plus spécifiquement journal intime.
Contraintes spécifiques : 2 extraits du journal intime. L'un expliquant le pourquoi du projet et l'autre évoquant un moment de vie.

II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Il faut bien connaître les caractéristiques du récit autobiographique ainsi que la particularité du journal intime. Ce sujet présente une difficulté majeure quant à la notion du "choix d'écriture". Nous considèrerons que le choix d'écriture sera la position que l'auteur adoptera face aux caractéristiques reconnues de l'autobiographie.

III - UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

Le sujet d'invention passe avant tout par une analyse pertinente et approfondie de tous les termes du sujet qui permet ainsi de définir les contraintes de rédaction.

Votre autobiographie
On se situe bien là dans le domaine que Lejeune définit comme étant "un récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle et en particulier sur l'histoire de sa personnalité". Ici, c'est de vous dont il s'agit ("votre"). Mais comme cela est précisé dans l'intitulé du sujet vous ne devez pas mentionner votre nom pour des raisons d'anonymat évidentes.

Projet
Cela indique que le travail que vous avez décidé d'entreprendre n'est encore qu'à l'état d'ébauche. Vous allez nous faire vivre le début de la création.

Journal intime
Le journal intime appartient au genre autobiographique. Cependant il s'en distingue en ce sens que, normalement, il n'est pas destiné à être lu par quelqu'un d'autre que soi-même. Cela implique une grande liberté de ton, une grande sincérité de propos. Le journal intime par définition parle de ce que l'auteur a de plus profond au fond de lui-même, ce qu'il ne peut dire à personne, ce qu'il décide de cacher soit parce que c'est une grande douleur, soit parce que c'est un projet particulier qu'il ne veut pas ébruiter pour des raisons qui lui sont propres et qu'il conviendra de définir précisément. Pourquoi décidez-vous de "parler" à votre journal intime plutôt qu'à votre meilleur(e) ami(e) ? Il serait bon que le correcteur puisse trouver trace des raisons de ce choix à un moment donné.
Le journal intime a des marques caractéristiques.
On doit pouvoir retrouver une ou des dates qui correspondent aux moments de l'écriture.
Le plus souvent, l'auteur s'adresse à son journal comme si c'était un être vivant. On retrouvera donc une énonciation caractéristique de ce type de dialogue fictif : un "je" parle à un "tu".

Deux passages
vous rédigerez deux textes distincts, tant par la forme, comme nous le verrons par la suite, que par le contenu. Ces deux passages ne seront pas liés dans l'écriture. Ils devront malgré tout être construits et rédigés de manière à ce que le lecteur comprenne les enjeux véritables de l'écriture autobiographique.

A - PREMIER PASSAGE

Pourquoi vous vous lancez dans ce projet
Vous devez indiquer vos motivations profondes, celles qui vous ont conduit à prendre la décision d'écrire un récit autobiographique : la mort d'un proche, un accident particulier, une prise de conscience soudaine, un fait politique important...
Rédiger son autobiographie n'est pas un acte anodin. Il s'agit de revenir sur son passé, de faire ressurgir des moments enfouis d'un passé oublié, de laisser une trace écrite de votre passage sur terre. Votre déclencheur doit donc être très important.

Vos choix d'écriture
Vous devez avoir en mémoire les caractéristiques de l'autobiographie et vous positionner par rapport à elles, en particulier sur les trois points suivants (cf. définition de Lejeune citée précédemment).
- Il s'agit d'un récit rétrospectif de sa propre vie. Le personnage principal, l'auteur et le narrateur sont une même et unique personne. Cependant, certains récits autobiographiques peuvent se décliner à la troisième personne du singulier comme le fait Marguerite Yourcenar dans le premier paragraphe de l'extrait de Souvenir pieux (texte C) sans que cela retire rien à leur authenticité.
- Vous devez aussi vous positionner par rapport au pacte autobiographique. Ce pacte se passe avec votre lecteur. Vous lui indiquez alors votre engagement à dire "le vrai", c'est-à-dire à être le plus authentique possible. C'est ce que fait Cavanna dans le texte D.
Il est bien évident que ce souci d'authenticité a des limites liées à la mémoire (ainsi que le rappelle Marguerite Yourcenar dans le texte C) et liées aussi à l'image que chaque auteur veut laisser de lui-même à la postérité. L'auteur peut, ainsi que le rappelle Rousseau dans Les Confessions, faire des choix, conscients ou inconscients, enjoliver tel ou tel détail. En clair, il reconstruit sa vie. Une autobiographie ne peut pas être totalement neutre.
- Les choix stylistiques. Vous pouvez aussi, à la manière d'Annie Ernaux, justifier votre style. Soit vous souhaitez que votre récit soit pittoresque, amusant, soit vous voulez en faire un témoignage le plus objectif possible en chassant tout ce qui relève du domaine de l'affectif et du pathétique (ce que Annie Ernaux appelle l'écriture plate).

B - DEUXIEME PASSAGE

Mettre en œuvre
Autant précédemment vous étiez dans le domaine de la réflexion et de l'analyse de votre travail d'écriture, autant dans ce passage-là vous êtes directement dans le cœur de l'action : vous écrivez votre autobiographie.

Vos choix d'écriture
C'est le moment de mettre en application ce que nous venons de définir. Qui écrit ? Qui est le narrateur ? A quelle personne grammaticale vous exprimez-vous ? Quelle est la part d'authenticité que vous allez déployer ? Quel style allez-vous adopter ?
Souvent le choix du style implique le choix d'un registre. Souhaitez-vous faire rire votre lecteur ? Dans ce cas-là, vous devez mettre en place tous les procédés liés au comique : comique de répétition, comique de situation, comique de mots (jeux de mots et calembours comme Queneau dans le texte A).
Si vous souhaitez apitoyer votre lecteur, vous mettrez en place les procédés stylistiques liés au pathétique ou au lyrique. Les interjections, les métonymies, le champ lexical de la douleur, l'interpellation directe du lecteur etc.

Commencer votre autobiographie
Vous en êtes au début de votre projet. Cela implique nécessairement que vous vous positionnez sur la tranche de vie que vous souhaitez raconter. Vous pouvez décider que le deuxième passage que vous allez écrire dans votre journal intime est le brouillon du premier souvenir que vous avez envie d'évoquer dans la chronologie de votre récit.

Evoquer un moment de votre vie
Souvent l'enfance est une période privilégiée de l'autobiographie (tous les textes proposés dans le corpus y font référence). Effectivement c'est là que se forme l'adulte que l'auteur est devenu au moment où il écrit. C'est là que se posent les souvenirs les plus affectifs souvent liés aux parents, à la famille. Il est fréquent que le père, la mère, les frères et sœurs fassent partie des personnages les plus importants de l'autobiographie. Les souvenirs scolaires sont très présents aussi pendant cette période. Ils font aussi souvent partie de ce que les auteurs souhaitent évoquer.
Se pose aussi le problème des temps verbaux. Vous racontez un récit rétrospectivement. C'est-à-dire que vous pouvez jouer avec deux temps : celui de l'écriture (le moment où vous écrivez votre autobiographie) et celui de la narration (le moment où vous mettez en scène les souvenirs que vous avez choisi d'évoquer).

IV - LES ERREURS A EVITER

Il ne fallait pas confondre récit autobiographique et journal intime.

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