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Annales gratuites Bac 1ère STI : Texte de Ionesco

Le sujet  2002 - Bac 1ère STI - Français - Commentaire littéraire Imprimer le sujet
LE SUJET

Vous commenterez l'extrait de La Leçon d'Eugène Ionesco à partir du parcours de lecture suivant :

a) Expliquez en quoi le professeur est un personnage ridicule.
b) Montrez que cette scène n'est pas seulement comique mais qu'elle comporte aussi un aspect inquiétant.

 

 

Ionesco, La Leçon, 1951, éd. Gallimard.

Dans La Leçon (1951). Eugène Ionesco met en scène un professeur qui tente d'enseigner son savoir à une jeune élève. Très patient et doux au début, il perd peu à peu son calme.

LE PROFESSEUR - Toute langue, Mademoiselle, sachez-le, souvenez-vous-en jusqu'à l'heure de votre mort...
L'ELEVE - Oh ! Oui, Monsieur, jusqu'à l'heure de ma mort... Oui, Monsieur...
LE PROFESSEUR - ...et ceci est encore un principe fondamental, toute langue n'est en somme qu'un langage, ce qui implique nécessairement qu'elle se compose de sons, ou...
L'ELEVE - Phonèmes...
LE PROFESSEUR - J'allais vous le dire. N'étalez donc pas votre savoir. Ecoutez, plutôt.
L'ELEVE - Bien, Monsieur. Oui, Monsieur.
LE PROFESSEUR - Les sons, Mademoiselle, doivent être saisis au vol par les ailes pour qu'ils ne tombent pas dans les oreilles des sourds. Par conséquent, lorsque vous vous décidez d'articuler, il est recommandé, dans la mesure du possible, de lever très haut le cou et le menton, de vous élever sur la pointe des pieds, tenez, ainsi, vous voyez...
L'ELEVE - Oui, Monsieur.
LE PROFESSEUR - Taisez-vous. Restez assise, n'interrompez pas... Et d'émettre les sons très haut et de toute la force de vos poumons associée à celle de vos cordes vocales. Comme ceci : regardez : "Papillon", "Euréka", "Trafalgar", "papi, papa". De cette façon, les sons remplis d'un air chaud plus léger que l'air environnant voltigeront, voltigeront sans plus risquer de tomber dans les oreilles des sourds qui sont les véritables gouffres, les tombeaux des sonorités. Si vous émettez plusieurs sons à une vitesse accélérée, ceux-ci s'agripperont les uns aux autres automatiquement, constituant ainsi des syllabes, des mots, à la rigueur des phrases, c'est-à-dire des groupements plus ou moins importants, des assemblages purement irrationnels de sons, dénués de tout sens, mais justement pour cela capables de se maintenir sans danger à une altitude élevée dans les airs. Seuls, tombent les mots chargés de signification, alourdis par leur sens, qui finissent toujours par succomber, s'écrouler...
L'ELEVE - ... dans les oreilles des sourds.
LE PROFESSEUR - C'est ça, mais n'interrompez pas... et dans la pire confusion...Ou par crever comme des ballons. Ainsi donc, Mademoiselle...(L'Elève a soudain l'air de souffrir). Qu'avez-vous donc ?
L'ELEVE - J'ai mal aux dents, Monsieur.
LE PROFESSEUR - Ça n'a pas d'importance. Nous n'allons pas nous arrêter pour si peu de choses. Continuons...
L'ELEVE, qui aura l'air de souffrir de plus en plus. - Oui, Monsieur.
LE PROFESSEUR - J'attire au passage votre attention sur les consonnes qui changent de nature en liaisons. Les f deviennent en ce cas des v, les d des t, les g des k et vice versa, comme dans les exemples que je vous signale : "trois heures, les enfants, le coq au vin, l'âge nouveau, voici la nuit".
L'ELEVE - J'ai mal aux dents.
LE PROFESSEUR - Continuons.
L'ELEVE - Oui.

LE CORRIGÉ

I - LA FICHE SIGNALETIQUE

- Le texte est un dialogue théâtral entre un professeur et son élève. Le théâtre était un objet d'étude au programme. Les candidats disposent donc des outils indispensables à une lecture méthodique des textes théâtraux. Il sera bon de les utiliser pour éviter la paraphrase : être ainsi capable de voir comment se déroule la scène sous les yeux du spectateur, étudier le rôle des didascalies, etc.

- Les deux questions d'étude sont formulées de façon claire et précise. Il s'agira de bien les analyser pour éviter un contresens de lecture.

- On attend du candidat quelques mots d'introduction, soit pour chacune des questions, soit pour l'ensemble du travail de commentaire (c'est la solution que nous avons choisie). Nous avons proposé une introduction très complète, mais ce n'est qu'une proposition : le candidat pouvait introduire le texte sans connaître ni Ionesco ni le théâtre de l'absurde.

II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

- Le texte d'Eugène Ionesco, publié en 1951, est écrit dans une langue simple et actuelle. Il met par ailleurs en scène une situation bien connue des candidats puisqu'il s'agit d'une confrontation entre un professeur et son élève...

- Le caractère absurde des dialogues peut cependant les surprendre. Il importera donc que le candidat soit capable de se représenter la scène, notamment les mimiques éventuelles des deux personnages, pour mieux en mesurer toute la portée comique.

III - LES QUESTIONS

Introduction :

Eugène Ionesco, écrivain d'origine roumaine mais de langue française, s'inscrit dans le mouvement du théâtre de l'absurde né après la deuxième guerre mondiale. Au lendemain de cette tragédie, la confiance en l'homme est résolument ébranlée. Ainsi, les nouveaux dramaturges, à travers des situations souvent comiques et ridicules, vont poser des questions plus sérieuses sur l'absurdité du monde. Le passage extrait de La Leçon correspond bien à ce double programme : le personnage du professeur, par son ridicule, crée un effet comique (question 1). Mais la scène n'en contient pas moins un aspect inquiétant (question 2)

A - QUESTION 1 :
Expliquez en quoi le professeur est un personnage ridicule.

1) Une caricature de personnage autoritaire

Le personnage se montre très autoritaire à l'égard de son élève. Il l'appelle "Mademoiselle" comme pour maintenir une distance. Il utilise souvent l'impératif : "sachez-le", "n'étalez donc pas votre savoir", "taisez-vous", "restez assise". Il se montre même agressif à plusieurs reprises : "n'interrompez pas". Cette autorité rend le professeur insensible aux remarques de son élève. Lorsqu'elle lui signale qu'elle a "mal aux dents", il lui répond : "ça n'a pas d'importance".
Le professeur, au lieu d'écouter son élève, la fait taire et se montre même méchant avec elle.

L'autorité prend ici des proportions exagérées : elle devient par conséquent caricaturale. Ionesco critique ainsi la prise de pouvoir d'un individu sur un autre. Tous les moyens sont bons pour affirmer sa domination. Le professeur utilise par exemple des arguments totalement déplacés : "souvenez-vous en jusqu'à l'heure de votre mort" sonne de façon terrible et drôle à la fois ! On pense à une prière ou à une menace, mais pas du tout à une phrase prononcée par un professeur.

2) Une caricature de savant

Ionesco se moque aussi de sa pédanterie (c'est-à-dire qu'il fait étalage de ce qu'il sait). Le professeur semble faire un discours très savant sur la langue. Ses phrases sont longues. Il utilise un rythme qui rappelle celui des grands orateurs.

Mais en réalité le contenu de son discours est complètement vide. Dès le début il prononce une tautologie (= une évidence) : "toute langue n'est en somme qu'un langage" est une phrase creuse. Par ailleurs, il utilise des expressions compliquées pour dire des choses très simples : "les sons (...) doivent être saisis au vol" signifie tout simplement écouter.

Il construit également des phrases pompeuses et incohérentes : les "oreilles des sourds qui sont les véritables gouffres, les tombeaux des sonorités". Le professeur se gave ainsi de mots, sans souci de se faire comprendre. Ses mots deviennent, comme il le dit lui-même, des "assemblages purement irrationnels de sons" : c'est-à-dire quelque chose sans signification, autant dire du bruit.

3) Un imbécile

En fait, le professeur ne parle de rien d'autre que ce qui fait notre vie de tous les jours : savoir "articuler" et écouter. Or, quelle image donne-t-il de ces actes simples ? Celle d'un "vol" des mots vers "une altitude élevée dans les airs" : la métaphore filée tout au long de sa tirade est totalement farfelue. Il utilise de plus un vocabulaire physique, chimique grotesque dans cette situation : "les sons remplis d'un air chaud plus léger que l'air environnant voltigeront".

Mais il atteint le summum du ridicule lorsqu'il cherche à mimer l'acte qui consiste à... parler. Prenant à témoin son élève, "vous voyez", "comme ceci, regardez", il lui montre comment faire. Or que fait-il ? Il lève "très haut le cou et le menton", s'élève "sur la pointe des pieds, émet "des sons très haut et de toute la force de (ses) poumons". Bref, il ressemble à une poule ou à un dindon. Etant donné qu'il prononce en même temps les mots "Papillon", "Euréka", "Trafalgar", on mesure tout le ridicule de la situation. La dernière expression criée, "papi papa" évoque d'ailleurs plutôt le "pipi caca" des enfants.

Ainsi, le personnage est à la fin de la scène parfaitement ridicule. A travers lui, Ionesco se moque des gens qui croyant détenir un savoir, se montrent supérieurs mais sont en réalité de sombres imbéciles.

B - QUESTION 2 :
Montrez que la scène n'est pas seulement comique mais qu'elle comporte aussi un aspect inquiétant.

Nous avons vu avec le personnage du professeur que la scène était comique. Mais elle comporte aussi un aspect inquiétant.

1) La cruauté

Le personnage de l'élève n'a pas droit à la parole dans ce passage. Le professeur se montre avec elle de plus en plus cruel. Ainsi, la didascalie signale que "l'élève a soudain l'air de souffrir", puis que "l'élève aura l'air de souffrir de plus en plus". Mais le professeur juge "peu de chose" cette souffrance soudaine puisqu'il répond : "continuons". La situation, on le devine, peut dégénérer. D'ailleurs, le professeur finira par assassiner son élève avant d'attendre... la suivante. Dans ce contexte, la première réplique, "jusqu'à l'heure de votre mort" prend un sens particulièrement inquiétant.

2) La folie

L'autre élément inquiétant du passage est la folie qui s'empare du personnage. Cohérent au début, il finit par perdre le sens de la réalité. Il mime des actes idiots, et tient des propos sans signification. Ionesco montre ainsi que la situation la plus banale peut à tout moment basculer dans le délire.

3) L'impossibilité à communiquer

L'aspect le plus inquiétant est l'impossibilité à communiquer. Le professeur, parlant de la communication, est en effet incapable de communiquer. Ses paroles tombent "dans la pire confusion" : "trois heures, les enfants, le coq au vin, l'âge nouveau, voici la nuit". Ou bien elles finissent "par crever comme des ballons".

Une telle vision dépasse largement le rapport entre un élève et son professeur. Ionesco nous donne à voir un monde où les êtres ne peuvent pas se comprendre, c'est-à-dire un monde absurde. Rien de bon ne peut se construire sur une telle absurdité.

Ainsi, la scène tient à la fois de la comédie et de la tragédie. Le personnage principal nous fait rire, mais il nous inquiète. Ionesco nous pousse alors à réfléchir sur notre propre capacité à écouter et à nous faire comprendre.

IV - LES ERREURS A EVITER

- Il fallait se représenter la scène pour bien la comprendre : imaginer la terreur de l'élève et la bêtise du professeur.
- Il fallait aussi être méthodique : s'appuyer sur des exemples précis et construire une réponse structurée.

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