Dissertation

En quoi l’évocation d’un monde très éloigné du sien permet-elle de faire réfléchir le lecteur sur la réalité qui l’entoure ?

Vous développerez votre argumentation en vous appuyant sur les textes du corpus, les œuvres que vous avez étudiées en classe et celles que vous avez lues.

I. L’analyse et les difficultés du sujet

II. Les différents types de plan possible

Le plan choisi, et qui nous a semblé le plus simple, est de type analytique:

1) L’évocation d’un monde très éloigné du nôtre permet une stratégie de démarcation :le déplacement dans le temps et/ou l’espace d’un monde aux valeurs différentes de celui de l’auteur comme prise de distance.

2) La démarcation permet de révéler, en contrepoint, les caractéristiques de notre réalité : éloigner pour critiquer.

3) Et d’explorer des pistes en vue de possibles améliorations : éloigner pour proposer des alternatives ou le contraire de la société décrite.

Plusieurs plans étaient possibles. L’un d’eux aurait pu montrer comment on pouvait distinguer :

1) Le récit mythique (le mythe de l’âge d’or, l’Eden exerçait une fonction moralisatrice en mettant en garde les hommes contre la perte de valeurs et la dégradation d’une humanité éloignée de l’ordre de la nature).

2) Le récit critique qui reprend les grands mythes classiques pour critiquer, grâce au déplacement dans le temps et dans l’espace, la société moderne.

3) Le récit utopique et philosophique qui préfère se projeter plutôt vers le futur pour proposer une sorte d’idéal qui doit servir de modèle (Thomas More).

Dans tous les cas, le déplacement suppose la critique radicale de valeurs et l’apologie de leurs contraires.

III. Les pistes de reponses

La problématique pouvait reposer sur l’opposition entre l’éloignement proposé par la fiction et le rapprochement avec la réalité qu’il entraîne pourtant.

Autrement dit, comment une évocation marquée par l’éloignement avec notre monde (aussi bien géographique, temporel que politique…) permet-elle néanmoins un retour réflexif sur celui-ci ?

Première partie

L’utopie, dont l’étymologie (ou-topos= sans lieu) révèle le caractère fictif, introuvable, s’offre bien comme un lieu coupé de notre réalité. A ce titre, c’est fréquemment une île (« L’Eldorado », « Utopie »…) Chez Thomas More la ville est d’ailleurs inaccessible : en plus de ce caractère insulaire, la cité est défendue aussi bien par des éléments naturels (rivières) que par des ouvrages fortifiés (murailles).

Les personnages y sont conduits à la suite d’un voyage, dont la durée est comme la preuve de l’éloignement. C’est à la suite d’un périple très mouvementé que Candide parvient en Eldorado.

Pour renforcer la prise de distance d’avec notre monde, l’auteur utilise l’artifice de l’œil neuf : c’est par le regard d’un étranger à l’île que l’on perçoit fréquemment ces espaces, ce qui permet d’en faire ressortir l’étrangeté par les réactions de surprise ou d’admiration du nouvel arrivant.

L’éloignement géographique se double d’importantes différences politiques et sociales et l’utopie peut fonctionner comme un miroir inversé.

Ainsi, dans sa pièce L’Île des esclaves, Marivaux propose un renversement total de la hiérarchie sociale : les esclaves y deviennent les maîtres.

L’organisation d’Utopie est idéale : les rues sont symétriques, les jardins magnifiques et les habitants, vivent en parfaite entente. Loin du chaos décrit par le Persan lors de son passage à Paris dans Les Lettres persanes de Montesquieu, la description de More est sous le signe de l’harmonie totale.

Transition :

Par la démarcation, les évocations utopiques révèlent, en contrepoint, les caractéristiques de la réalité.

Deuxième partie

Par son contexte d’émergence, l’utopie est liée aux idéaux humanistes. A ce titre, elle exprime une réflexion et une remise en cause des sociétés contemporaines, sur lesquelles elle invitait à réfléchir en en proposant un modèle inversé.

Ainsi, l’utopie reprend le mythe de l’Age d’or ou du paradis biblique qu’est l’Eden, comme on le voit dans le texte de Fénelon, où l’île de Calypso est caractérisée par la douceur climatique et la profusion des richesses naturelles. Ce monde paradisiaque permet, en contrepoint, de souligner les failles de nos sociétés. Ainsi, le lecteur, plongé dans une réalité autre, ne peut que comparer ce nouvel espace avec le sien, et l’écart constaté éclaire les défaillances de nos sociétés.

Cette stratégie de l’écart est explicite dans l’essai de Rousseau Discours sur l’origine des inégalités qui oppose l’humanité heureuse et vertueuse des premiers temps à la société contemporaine, où la propriété a répandu ses maux : à l’éloignement dans le temps, correspond une dégradation, l’âge d’or ayant fait place à l’âge de fer. Le progrès dans le temps se fait synonyme de dégénérescence.

Ainsi, l’évasion plaisante que semblent offrir les utopies est indissociable d’une portée critique. Cette visée est flagrante sous la plume de Fénelon dans les aventures de Télémaque : dans sa description de l’île de Calypso, Adoam leur fait une description de l’île qui oppose la modération et la simplicité des habitants de l’île aux peuples corrompus et « amollis » par le luxe, générateur de discorde sociale (« jaloux les uns des autres »).

Transition :

Invitation à la remise en cause de la société contemporaine au lecteur, ces évocations peuvent tout autant critiquer que proposer, dénoncer que recommander.

Troisième partie

La réflexion proposée par de telles évocations ne se réduit pas à une simple critique mais peut esquisser des voies alternatives, proposer des remèdes aux maux de notre monde.

S’y apparentent les mises en garde que peuvent constituer les contre-utopies. En dépeignant un monde ou règne la programmation génétique, Aldous Huxley invite à la prudence : tout progrès scientifique ne rime pas avec progrès pour l’humanité et Le Meilleur des mondes est bien loin d’être idéal.

De même, à la fin de Candide, après le parcours chaotique du personnage éponyme, la petite métairie offre un modèle d’organisation fondé sur le travail et la complémentarité de chacun. La leçon du Turc, selon lequel « le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin », est appliquée par Candide et montre que voyager dans des contrées éloignées peut permettre de trouver des solutions aux maux humains. L’apologue illustre bien cette conjugaison de l’évasion, de la fiction, et du retour réflexif, argumentatif sur la réalité.

Conclusion

Les évocations de contrées lointaines fournissent certes un dépaysement à même de procurer au lecteur le plaisir de l’évasion. Mais cette évasion est également un très bon moyen d’éclairer, par contraste, le monde du lecteur. Précisément, il s’agit de s’en éloigner, pour procurer la distance critique nécessaire à une réflexion authentique sur notre réalité.

IV. Les fausses pistes

Le danger principal était de confondre le dépaysement recherché par ces auteurs dans le but de réfléchir avec l’exotisme des romantiques qui n’ont pas cette fonction politique. Il ne fallait donc pas se tromper sur le sens de réfléchir, très riche dans le sujet.