Le sujet 2008 - Bac 1ère ES - Français - Ecriture d'invention |
Avis du professeur :
Le sujet d'invention prend appui sur un exemple, celui
du texte de Proust. Il s'agit de relater la rencontre d'une femme autrefois
aimée qui donne lieu à un portrait. |
Le narrateur du Temps retrouvé croise une femme qu'il a aimée dans sa
jeunesse et pour laquelle il conserve une vive affection. Il perçoit, sous ses
traits vieillissants, les traces de sa beauté d'autrefois.
En vous inspirant de l'extrait proposé (texte D), vous imaginerez la
description qu'il pourrait en faire. (16 points)
TEXTE D - Marcel Proust, Le Temps retrouvé
Le Temps Retrouvé est le dernier tome d'À la recherche du temps perdu, vaste fresque dans laquelle l'auteur transpose l'expérience de sa vie. Retiré du monde depuis plusieurs années, le narrateur se rend à une soirée mondaine lors de laquelle il croise d'anciennes connaissances "métamorphosées" par la vieillesse.
Le vieux duc de Guermantes ne
sortait plus, car il passait ses journées et ses soirées avec
elle1. Mais aujourd'hui, il vint un
instant pour la voir, malgré l'ennui de rencontrer sa femme.
Je ne l'avais pas aperçu et je ne l'eusse sans
doute pas reconnu, si on ne me l'avait clairement
désigné. Il n'était plus qu'une ruine, mais
superbe, et moins encore qu'une ruine, cette belle
5 chose romantique que peut être un rocher dans la
tempête. Fouettée de toutes parts par les
vagues de souffrance, de colère de souffrir,
d'avancée montante de la mort qui la
circonvenaient2, sa figure, effritée
comme un bloc, gardait le style, la cambrure que j'avais
toujours admirés ; elle était rongée comme une de
ces belles têtes antiques3 trop abîmées
mais dont nous sommes trop heureux d'orner un
cabinet de travail. Elle paraissait seulement
10 appartenir à une époque plus ancienne qu'autrefois, non
seulement à cause de ce qu'elle avait
pris de rude et de rompu dans sa matière jadis
plus brillante, mais parce qu'à l'expression de
finesse et d'enjouement avait succédé une
involontaire, une inconsciente expression, bâtie par
la maladie, de lutte contre la mort, de
résistance, de difficulté à vivre. Les artères ayant perdu
toute souplesse avaient donné au visage jadis
épanoui une dureté sculpturale. Et sans que le
15 duc s'en doutât, il découvrait des aspects de nuque, de
joue, de front, où l'être, comme obligé
de se raccrocher avec acharnement à chaque
minute, semblait bousculé dans une tragique
rafale, pendant que les mèches blanches de sa
magnifique chevelure moins épaisse venaient
souffleter de leur écume le promontoire envahi du
visage. Et comme ces reflets étranges,
uniques, que seule l'approche de la tempête où
tout va sombrer donne aux roches qui avaient
20 été jusque-là d'une autre couleur, je compris que le gris
plombé des joues raides et usées,
le gris presque blanc et moutonnant des mèches
soulevées, la faible lumière encore départie aux
yeux qui voyaient à peine, étaient des teintes
non pas irréelles, trop réelles au contraire, mais
fantastiques, et empruntées à la palette, à
l'éclairage, inimitable dans ses noirceurs effrayantes
et prophétiques, de la vieillesse, de la
proximité de la mort.
1 II s'agit d'Odette, sa maîtresse.
2 circonvenir : agir sur quelqu'un avec ruse, pour parvenir à ses
fins.
3 têtes antiques : sculptures de la tête.
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET
Sujet |
Contraintes |
Le narrateur du Temps retrouvé... |
► Dites "je". Ce "je" doit être celui du texte de Proust, publié en 1927. |
croise une femme qu'il a aimée dans sa jeunesse... |
► Cette circonstance temporelle devra être évoquée dans le passage. Cela suppose un écart minimal d'une vingtaine d'années. |
et pour laquelle il conserve une vive affection... |
► L'expression des sentiments doit faire la part de ce qui reste de cet amour ancien : de l'affection. |
Il perçoit, sous ses traits vieillissants, les traces de sa beauté d'autrefois... |
► Là encore, le portrait devra comprendre l'évocation du passé, de ce qui n'a pas changé et que le narrateur retrouve. |
En vous inspirant de l'extrait proposé (texte D),.. |
► Il ne s'agit pas d'écrire comme Proust, mais de s'inspirer de certains points de son écriture. |
vous imaginerez la description qu'il pourrait en faire... |
► Ce portrait ne doit pas être seulement un portrait en action, mais contenir des éléments de description. Le conditionnel du verbe pouvoir, vous met sur la voie du pastiche, de l'imitation sans vous l'imposer. |
Caractéristiques générales du texte attendu :
● Genre littéraire : Roman
● Type de texte : Narration contenant une description, éventuellement un
dialogue inséré dans le récit.
● Enonciation : le narrateur s'exprime à la première personne :
"Je", il parle de cette femme à la troisième "elle".
● Niveau de langue : soutenu de préférence et exempt de néologismes, nous sommes
au début du siècle.
● Tonalité : comme
vous voulez : pathétique, ironique, emphatique, pourvu que vous ne tombiez
pas dans une description plate qui ne ferait pas sentir l'émotion de ces
retrouvailles.
II - LES DIFFERENTS TYPES DE PLANS POSSIBLES
La difficulté principale résidera dans la manière dont on aura mêlé la description de la femme rencontrée avec ce qu'elle a pu être dans sa jeunesse. De nombreux plans étaient possibles et ce qui vous est proposé ici n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.
Premier plan possible
1) Le choc de la rencontre (circonstances, émotion).
2) Retour sur le passé (analepse).
3) Description.
Deuxième plan
1) Evocation de la situation de la rencontre, telle qu'elle
figure dans la deuxième partie du chapeau (circonstances, émotion).
2) Evocation de la femme de manière générale puis plus précise, avec éléments
de retour sur le passé).
Réflexion sous forme de conclusion sur le temps qui passe et les traces de
cette ancienne relation.
C’est ce plan que nous proposons avec cet exemple.
III - LES PISTES DE REPONSES
PREMIERE PARTIE
Quand je pénétrai dans le salon de la Comtesse de M., le premier regard que je croisai me jeta dans un trouble étrange que ne dissipa pas la voix de mon hôtesse quand elle prononça le nom de son amie. Je ne m'attendais pas à rencontrer Sophie, dont le souvenir encore douloureux m'avait laissé de longs mois dans un état de désespoir qui ne prit fin qu'avec mon séjour sur la côte normande. Je croyais avoir remisé au fond de ma mémoire le souvenir de ses yeux rieurs, de la joie de vivre qui émanait de ce sourire paradoxalement emprunt de mélancolie. La Comtesse en me présentant ne sembla pas susciter chez elle la moindre surprise. Sophie semblait savoir que je serais là et elle était probablement venue à ma rencontre en attendant le majordome annoncer mon entrée.
Transition
Son regard intense m'obligea à baisser les yeux, je bredouillai deux mots d'une politesse convenue et m'éloignai sous le prétexte de saluer un vieil ami qui s'avançait vers moi.
DEUXIEME PARTIE
Un peu à l'écart, je pus la contempler à loisir. Elle était rayonnante malgré les années. Sa silhouette, qui trahissait à peine les épreuves de la maternité s'était un peu épaissie. Quelques rides marquaient le coin de ses yeux et de ses lèvres. Ses cheveux toujours aussi brillants ne tombaient plus en natte épaisse sur son dos. Sa voix surtout, l'énergie qui en émanait résonnait en moi, comme si son timbre frais m'avait accompagné toutes ces années. Je la revis soudain le jour du bal de ses vingt ans, tourbillonnant dans une robe de popeline blanche.... Les paroles du Duc de Guermantes, qui m'entretenaient de ses longues soirées passées auprès d'Odette, se perdaient dans le brouhaha des conversations que je n'entendais plus. Je me sentis à mille lieues de ce salon du boulevard Saint-Germain.
CONCLUSION
Je sus alors précisément pourquoi je l'avais aimée, pourquoi je l'avais perdue.... Le temps avait fait son oeuvre et la présence du vieux Duc me rappelait avec insistance que comme lui nous vieillirions. Nous serions-nous reconnus quelques années plus tard ? Que restait-il..?
IV - LES FAUSSES PISTES
Il fallait bien faire attention à reprendre des éléments qui rappellent la situation sociale et l'époque des personnages et donc à éviter tout anachronisme qui romprait avec le texte d'appui.
Il fallait surtout ne pas oublier de mêler à la description les sensations éprouvées par le narrateur.