Le sujet 2008 - Bac 1ère STI - Français - Ecriture d'invention |
Avis du professeur :
Le sujet traite du regard pessimiste porté par les romanciers
sur la réalité. Il s'agit de remettre en question puis de défendre
cette vision sombre. |
Après avoir lu un roman, un lecteur adresse un courrier au romancier pour lui
reprocher la vision très pessimiste qu'il donne de la réalité. Quelques jours
plus tard, il reçoit la réponse du romancier qui défend sa position.
Rédigez successivement la lettre du lecteur et celle du romancier. Chacune
des deux lettres ne dépassera pas trente lignes. (14 points)
Texte A
Jeune homme idéalement beau, Lucien quitte la ville
d'Angoulême en compagnie de
sa protectrice, Madame de Bargeton, pour aller chercher à Paris la gloire
littéraire. Il
y perdra vite ses illusions, comme ici, lors de sa première sortie au théâtre.
1 [...] Le plaisir qu'éprouvait
Lucien, en voyant pour la première fois le spectacle
à Paris, compensa le déplaisir que lui causaient
ses confusions1. Cette soirée
fut remarquable par la répudiation2
secrète d'une grande quantité de ses idées
sur la vie de province. Le cercle s'élargissait,
la société prenait d'autres
5 proportions. Le voisinage de plusieurs jolies
Parisiennes si élégamment, si
fraîchement mises, lui fit remarquer la
vieillerie de la toilette de Mme de
Bargeton, quoiqu'elle fût passablement
ambitieuse : ni les étoffes, ni les
façons, ni les couleurs n'étaient de mode. La
coiffure qui le séduisait tant à
Angoulême lui parut d'un goût affreux comparée
aux délicates inventions par
10 lesquelles se recommandait chaque femme. — Va-t-elle rester
comme ça ? se
dit-il, sans savoir que la journée avait été
employée à préparer une
transformation. En province il n'y a ni choix ni
comparaison à faire : l'habitude
de voir les physionomies leur donne une beauté
conventionnelle. Transportée
à Paris, une femme qui passe pour jolie en
province, n'obtient pas la moindre
15 attention, car elle n'est belle que par l'application du
proverbe : Dans le
royaume des aveugles, les borgnes sont
rois. Les yeux de Lucien faisaient la
comparaison que Mme de Bargeton avait faite la
veille entre lui et Châtelet3.
De son côté, Mme de Bargeton se permettait
d'étranges réflexions sur son
amant. Malgré son étrange beauté, le pauvre poète
n'avait point de tournure4.
20 Sa redingote5 dont les manches étaient trop
courtes, ses méchants gants de
province, son gilet étriqué, le rendaient prodigieusement
ridicule auprès des
jeunes gens du balcon : Mme de Bargeton lui
trouvait un air piteux. [...]
Honoré de Balzac, Illusions perdues, 2e partie, 1836-1843.
1 Confusions : maladresses, embarras.
2 Répudiation : abandon.
3 Châtelet : le baron du Châtelet. Mme de Bargeton le préfèrera
à Lucien.
4 Tournure : allure, élégance.
5 Redingote : veste de soirée.
Texte B
A la suite d'un héritage, Bouvard et Pécuchet renoncent à
leur métier d'employé et à
leur vie urbaine pour aller s'installer en Normandie, où ils se lancent dans
l'agriculture. Mais, ils échouent lamentablement dans tout ce qu'ils
entreprennent.
1 Des jours
tristes commencèrent.
Ils n'étudiaient
plus, dans la peur de déceptions, les habitants de
Chavignolles s'écartaient d'eux, les journaux
tolérés n'apprenaient rien, et leur
solitude était profonde, leur désœuvrement
complet.
5 Quelquefois, ils
ouvraient un livre, et le refermaient ; à quoi bon ? En
d'autres jours, ils avaient l'idée de nettoyer le
jardin, au bout d'un quart
d'heure une fatigue les prenait ; ou de voir leur
ferme, ils en revenaient
écœurés ; ou de s'occuper de leur ménage,
Germaine poussait des
lamentations ; ils y renoncèrent. Bouvard voulut
dresser le catalogue du
10 muséum1, et déclara ces bibelots stupides.
Pécuchet emprunta la canardière2
de Langlois pour tirer des alouettes ; l'arme,
éclatant du premier coup, faillît le
tuer.
Donc ils vivaient
dans cet ennui de la campagne, si lourd quand le ciel
blanc écrase de sa monotonie un cœur sans espoir.
On écoute le pas d'un
15 homme en sabots qui longe le mur, ou les gouttes de la pluie
tomber du toit
par terre. De temps à autre, une feuille morte
vient frôler la vitre, puis tournoie,
s'en va. Des glas3 indistincts sont
apportés par le vent. Au fond de l'étable,
une vache mugit.
Ils bâillaient l'un
devant l'autre, consultaient le calendrier, regardaient la
20 pendule, attendaient les repas ; et l'horizon était toujours
le même : des
champs en face, à droite l'église, à gauche un
rideau de peupliers ; leurs
cimes se balançaient dans la brume,
perpétuellement, d'un air lamentable.
Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, Chapitre VII, 1881.
1 Muséum : musée.
2 Canardière : long fusil pour tirer les canards.
3 Glas : cloche que l'on fait sonner pour la mort ou les obsèques de
quelqu'un.
Texte C
Jeanne, jeune fille noble,
sort du couvent à l'âge de dix-sept ans. Elle épouse
l'homme de son coeur. Mais, il se révèle brutal et avare. Il trompe très vite
sa jeune
épouse. Jeanne va de déception en déception et d'épreuve en épreuve. Elle ne
trouvera réconfort et espoir qu'à la toute fin du roman, en acceptant de
prendre soin
de sa petite fille, laissée par ses parents. Le passage proposé constitue
justement la
dernière page du roman.
1 Le
soleil baissait vers l'horizon, inondant de clarté les plaines verdoyantes,
tachées de place en place par l'or des colzas en
fleur, et par le sang des
coquelicots. Une quiétude1 infinie
planait sur la terre tranquille où germaient
les sèves. La carriole allait grand train, le
paysan claquant de la langue pour
5 exciter son cheval.
Et Jeanne regardait
droit devant elle en l'air, dans le ciel que coupait,
comme des fusées, le vol cintré2 des
hirondelles. Et soudain une tiédeur
douce, une chaleur de vie traversant ses robes,
gagna ses jambes, pénétra sa
chair ; c'était la chaleur du petit être qui
dormait sur ses genoux.
10 Alors une émotion infinie
l'envahit. Elle découvrit brusquement la figure de
l'enfant qu'elle n'avait pas encore vue : la
fille de son fils. Et comme la frêle
créature, frappée par la lumière vive, ouvrait
ses yeux bleus en remuant la
bouche, Jeanne se mit à l'embrasser furieusement,
la soulevant dans ses
bras, la criblant de baisers.
15 Mais Rosalie3,
contente et bourrue, l'arrêta. "Voyons, voyons, madame
Jeanne, finissez : vous allez la faire
crier."
Puis elle ajouta,
répondant sans doute à sa propre pensée : "La vie,
voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais
qu'on croit."
Guy de Maupassant, Une Vie, Chapitre XIV, 1883.
1 Quiétude : calme.
2 Cintré : en forme de courbe.
3 Rosalie : servante de Jeanne.
Texte D
Ecrivain parisien, Durtal entreprend d'écrire un livre sur
Gilles de Rais, compagnon
d'arme de Jeanne d'Arc. Au cours de ses recherches, il rencontre Madame
Chantelouve avec qui il a une aventure.
1 Ils
montaient, cahotés dans un fiacre1, la rue de Vaugirard. Mme
Chantelouve s'était rencoignée et ne soufflait
mot. Durtal la regardait lorsque,
passant devant un réverbère, une courte lueur
courait puis s'éteignait sur sa
voilette2. Elle lui semblait agitée et
nerveuse sous des dehors muets. Il lui prit
5 la main qu'elle ne retira pas, mais il la sentait
glacée sous son gant et ses
cheveux blonds lui parurent, ce soir-là, en
révolte et moins fins que d'habitude
et secs. Nous approchons, ma chère amie ? — Mais,
d'une voix angoissée et
basse, elle lui dit : — Non, ne parlez pas. — Et,
très ennuyé de ce tête-à-tête
taciturne3, presque hostile, il se
remit à examiner la route par les carreaux de
10 la voiture.
La rue s'étendait,
interminable, déjà déserte, si mal pavée que les essieux
du fiacre criaient, à chaque pas ; elle était à
peine éclairée par des becs de
gaz qui se distançaient de plus en plus, à mesure
qu'elle s'allongeait vers les
remparts. Quelle singulière équipée ! se
disait-il, inquiété par la physionomie4
15 froide, rentrée de cette femme.
Enfin, le
véhicule tourna brusquement dans une rue noire, fit un coude et
s'arrêta.
Kark-Joris Huysmans, Là-Bas, Chapitre XIX, 1884.
1 Cahotés dans un fiacre : secoués dans une
voiture à cheval. (le fiacre sert de taxi au XIXe siècle.)
2 Voilette : petit voile de tulle accroché au chapeau d'une
femme et pouvant se rabattre sur le visage.
3 Taciturne : silencieux et renfrogné.
4 Physionomie : le visage et plus largement l'apparence.
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET
Sujet |
Contraintes |
Après avoir lu un roman... |
► Choisir un roman, extrait ou pas du corpus. Il sera le point de départ du devoir. |
...un lecteur adresse un courrier au romancier pour lui reprocher la vision très pessimiste qu'il donne de la réalité. Quelques jours plus tard, il reçoit la réponse du romancier qui défend sa position. |
► Le thème de la correspondance sera la vision pessimiste du monde donnée par ce romancier. Le lecteur la condamne ; le romancier la défend. Ils argumentent pour soutenir leurs idées. |
Rédigez successivement la lettre du lecteur et celle du romancier. |
► Le devoir devra comporter deux lettres distinctes dont la seconde répond à la première. |
Chacune des deux lettres ne dépassera pas trente lignes. |
► Chaque lettre présente une forme concise. |
Caractéristiques générales du texte attendu :
Genre littéraire : épistolaire (lettres).
Type de texte : argumentatif.
Enonciation : première personne du singulier.
Niveau de langue : Il n'est pas précisé explicitement
par le libellé du sujet. La lettre du lecteur peut être d'un registre courant
ou bien plus soutenu. La lettre de l'écrivain présentera peut-être un aspect
plus littéraire. Elle sera en tout cas d'un registre soutenu.
Tonalité : polémique,
puisqu'il s'agit d'une querelle littéraire
II - Plan general du devoir
Le devoir présente deux lettres
successives dans un ordre clairement défini par le sujet :
● la lettre du lecteur au romancier ;
● la lettre du romancier au lecteur.
III - La Lettre du lecteur
Aucun plan précis ne s'impose mais le propos doit être construit. Plutôt qu'un plan au sens strict du terme, nous proposons ici des éléments de nature à traiter le sujet qui peuvent s'entremêler ou non au fil de la lettre.
● Un temps de mise en place de la situation d'énonciation : qui écrit ? à qui ?
=> La situation d'énonciation devra être clairement établie au début de la lettre (lieu, date, formule de politesse liminaire, présentation de l'auteur de la lettre et mention précise du romancier choisi pour être le destinataire de la lettre) et maintenue tout au long du texte (apostrophes du destinataire de la lettre, allusions à son oeuvre, à ses réactions supposées...) jusqu'à la fin (formule conclusive et signature de l'auteur).
=> Rappelons qu'une tonalité polémique ne signifie pas nécessairement un ton agressif et encore moins des insultes... Elle implique en revanche une certaine vivacité du propos, un caractère sinon passionné, du moins convaincu, et qui cherche à convaincre : exclamations, questions oratoires, impératifs, interjections...
● Un temps de présentation du propos.
L'auteur de la lettre précise le titre du roman qu'il vient de lire (qui pouvait être l'un des romans du corpus ou un roman bien connu du candidat) et explique rapidement en quoi il présente une vision très pessimiste du monde.
● Un temps d'argumentation : le lecteur condamne la vision pessimiste du monde véhiculée par le roman.
C'est le coeur du devoir. Le lecteur doit ici présenter quelques arguments distincts de nature à soutenir sa thèse. En voici des exemples :
=> Il peut alléguer que ce n'est pas le rôle de la littérature : la lecture est un loisir qui permet au lecteur d'échapper aux difficultés de la vie quotidienne. Notre lecteur préfèrera des romans légers, romans d'aventure, comiques, merveilleux, par exemple.
=> Il peut affirmer que cette vision pessimiste est manichéenne, caricaturale : la vie est plus nuancée et moins sombre que dans les romans qui semblent accumuler épreuves et désillusions.
=> Il peut s'agacer que les protagonistes des romans semblent parfois cultiver une certaine inaptitude au bonheur, s'y complaire.
=> Il peut déplorer que la vision de l'homme véhiculée par ce roman soit si sombre, si triste : désillusion, désespérance, méchanceté, trahison... La littérature ne devrait-elle pas mettre à jour ce que l'homme a de plus beau en lui ?
● Un temps d'affirmation de ses convictions.
=> Convictions morales : il a foi en l'homme, il a un goût pour le bonheur et une grande capacité à voir les bons cotés de l'existence.
=> Convictions littéraires : la littérature qu'il aime est celle qui montre les grandeurs de l'homme et le bonheur de vivre, la capacité à surmonter les épreuves, à en sortir grandi.
● Un temps de conclusion.
De manière cordiale ou sèche, il prend congé du romancier.
IV - La Lettre du romancier
A nouveau, aucun plan précis ne s'impose mais le propos doit être construit et répondre de manière explicite à la lettre du lecteur. Les mêmes éléments devront donc être abordés pour être nuancés sinon réfutés.
● Un temps de mise en place de la situation d'énonciation : qui écrit ? à qui ? à quel propos ?
La situation d'énonciation
devra explicitement répondre à la lettre précédente.
Le romancier s'adresse au lecteur qui lui a écrit en
reprenant certains éléments de la précédente lettre. A nouveau,
rappelons que ce marquage de la situation d'énonciation ne doit pas se
cantonner au début et à la fin de la lettre. Tout au long de celle-ci, le
romancier devra faire des allusions à son destinataire, à ce qu'il connaît de
lui, à ses réactions supposées, etc.
La tonalité de la lettre sera en cohérence avec
la première, plus ou moins polémique selon le ton adopté par lecteur.
Rapidement, le romancier recentre le débat sur son roman et sa vision de la
réalité.
● Un temps d'argumentation : le romancier défend la vision pessimiste du monde véhiculée par son roman.
A nouveau, c'est le coeur du devoir. A son tour, le romancier doit ici présenter quelques arguments distincts de nature à soutenir sa thèse. En voici des exemples :
=> Il peut répondre que c'est, précisément, selon lui, le rôle de la littérature : elle doit aider le lecteur à ouvrir les yeux sur le monde, sur les difficultés de la vie, et non en présenter une image édulcorée et faussement rassurante.
=> Il peut rappeler que "les gens heureux n'ayant pas d'histoire", la littérature s'attache naturellement davantage à décrire les malheurs et les épreuves rencontrés par les héros, les périodes sombres de l'Histoire, les moments de crise d'une vie.
=> Il peut affirmer que la littérature a une fonction sociale : elle doit dépeindre le monde pour tirer des sonnettes d'alarme et attirer l'attention sur certaines situations graves (la misère, la condition ouvrière, le statut des femmes...) en vue de contribuer à les faire évoluer.
=> Il peut penser que le malheur présente un aspect universel propice à en faire le sujet d'un roman : la mort, la maladie, la désillusion, la noirceur humaine sont des thèmes qui ne cesseront de fasciner les lecteurs et de provoquer son identification.
● Un temps d'affirmation de ses convictions.
Tout en déplorant de ne pas être compris par ce lecteur, il ne peut que réaffirmer sa conviction que la vision pessimiste du monde véhiculée par son roman est légitime et même qu'elle est le propre de toute grande littérature.
● Un temps de conclusion.
Il prend congé du lecteur en l'exhortant peut-être à lire
une autre de ses oeuvres ou, au contraire, à changer d'auteur en l'orientant
vers des lectures plus légères. Son ton sera alors cynique ou amusé.
Ou bien, il manifeste simplement à la fin de la lettre, son plaisir d'avoir
suscité des réactions si passionnées.
V - LES FAUSSES PISTES
Il ne
fallait surtout pas :
=> Se laisser aller, sous prétexte de polémique, à trop de relâchement dans l'expression.
=> Produire un texte tout ou partie narratif : votre devoir ne doit
être constitué que des deux lettres.
=> Sortir du genre romanesque :
l'argumentation et les exemples ne peuvent porter que sur le roman.