Le sujet 2008 - Bac ES - Sciences Economiques et Sociales - Questions |
Avis du professeur :
On vous demande de réfléchir sur un aspect central de la
théorie keynésienne : le rôle de la demande effective dans la croissance
et l'emploi. Le thème est largement abordé dans l'enseignement de spécialité. |
THÈME DU PROGRAMME : Sous-emploi et demande chez Keynes
DOCUMENT
Ce n'est donc pas la désutilité marginale du travail*,
exprimée en salaires réels, qui détermine le volume de l'emploi, sauf dans la
mesure où l'offre de main-d'œuvre disposée à travailler en échange d'un certain
salaire réel fixe un maximum que l'emploi ne saurait dépasser. Ce sont la
propension à consommer et le montant de l'investissement nouveau qui
déterminent conjointement le volume de l'emploi et c'est le volume de l'emploi
qui détermine de façon unique le niveau des salaires réels, non l'inverse.
Si la propension à consommer et le montant de l'investissement nouveau
engendrent une demande effective insuffisante, le volume effectif de l'emploi
sera inférieur à l'offre de travail qui existe en puissance au salaire réel en
vigueur et le salaire réel d'équilibre sera supérieur à la désutilité marginale
du volume d'équilibre d'emploi.
Cette analyse nous explique le paradoxe de la pauvreté au sein de l'abondance.
Le seul fait qu'il existe une insuffisance de la demande effective peut arrêter
et arrête souvent l'augmentation de l'emploi avant qu'il ait atteint son
maximum. L'insuffisance de la demande effective met un frein au progrès de la
production alors que la productivité marginale du travail est encore supérieure
à sa désutilité.
En outre, plus la communauté est riche, plus la marge tend à s'élargir entre sa
production potentielle et sa production réelle ; et plus par conséquent
les défauts du système économique sont apparents et choquants. Car une
communauté pauvre a tendance à consommer la part de beaucoup la plus importante
de sa production et un très faible montant d'investissement suffit à y assurer
le plein-emploi. Une communauté riche, au contraire, est obligée de découvrir
des occasions d'investissement beaucoup plus nombreuses, pour pouvoir concilier
la propension à épargner de ses membres les plus riches avec l'emploi de ses
membres les plus pauvres.
Si dans une communauté qui est riche en puissance l'incitation à investir est
faible, l'insuffisance de la demande effective l'obligera à réduire sa
production jusqu'à ce que, en dépit de sa richesse potentielle, elle soit
devenue assez pauvre pour que l'excès de sa production sur sa consommation
tombe au niveau qui correspond à sa faible incitation à investir.
Source : J.M. KEYNES, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, Payot, 1979, [1ère édition 1936].
* la désutilité marginale du travail correspond à l'arbitrage que l'on fait entre le temps de travail et le temps de loisir : soit on choisit de travailler plus pour gagner plus, mais au détriment du temps consacré au loisir, soit on privilégie le temps de loisir en travaillant moins et en gagnant moins.
QUESTIONS
1. À l'aide de vos connaissances et du document, vous montrerez quel rôle joue la demande effective dans l'analyse keynésienne. (9 points)
2. Expliquez la phrase soulignée. (6 points)
3. Peut-on qualifier de keynésienne une mesure prise
pour favoriser l'emploi consistant à alléger les charges des entreprises et à
défiscaliser les heures supplémentaires ? (5 points)
I – ELEMENTS DE REPONSE AUX QUESTIONS
Question 1
On dit souvent de Keynes qu'il est un économiste de la "demande", pour l'opposer aux économistes de l'"offre". En effet, en 1936, Keynes est l'un des premiers économistes libéraux —non marxiste— à insister sur le rôle essentiel de la demande. Il précise que la demande effective est composée de la demande en biens de consommation des ménages ajoutée à la demande en biens d'investissements des entreprises et de l'Etat. En période de croissance ralentie, le chômage se développe car la masse des revenus distribuée est insuffisante pour stimuler la demande effective.
Face à des débouchés qui se réduisent, les entreprises ralentissent leur activité, leurs investissements et les recrutements. Le chômage qui en résulte aggrave et accentue le phénomène. D'après Keynes, il est indispensable de relancer la demande effective (hausse des salaires, des prestations sociales, des dépenses publiques et aide à l'investissement...) pour créer à nouveau une incitation à produire, susciter des nouveaux investissements et créer des emplois. L'Etat doit jouer un rôle déterminant dans ce processus, sans remettre en question les principes de l'économie de marché.
Question 2
Dans cette phrase, Keynes s'oppose à l'idée néo-classique selon laquelle le niveau de l'emploi est déterminé par l'offre et la demande du travail, qui dépendent du niveau des salaires. Keynes veut démontrer que le salaire n'est pas seulement un coût, mais aussi un revenu, susceptible de nourrir la demande de consommation des ménages. Keynes précise qu'une partie du revenu sert à l'épargne. La part du revenu consommée est appelée "propension à consommer". Le montant de cette propension détermine donc le volume de la demande, les investissements qui seront nécessaires pour y répondre et à terme, le niveau de l'emploi. Keynes renverse ainsi la proposition néo-classique en écrivant que: "C'est le niveau de l'emploi qui détermine le niveau des salaires réels, et non l'inverse".
Question 3
Depuis de nombreuses années, les politiques de l'emploi passent - entre autres - par des allégements de charges sociales pour les entreprises qui embauchent. Ces mesures visent en fait à réduire le coût de travail pour les employeurs. On souhaite ainsi inciter les entreprises à recruter, conformément aux principes énoncés dans la théorie néo-classique du marché du travail, bien éloignés de la pensée de Keynes.
La défiscalisation des heures supplémentaires, proposée par le gouvernement actuel en 2007, a pour objectif de stimuler l'offre de travail. On espère que les salariés seront d'autant plus incités à travailler que la pression fiscale diminue. Là encore, il s'agit d'une mesure favorisant l'offre de travail, plus proche des principes néo-classiques que de la théorie keynésienne. On pourra cependant objecter que les économies d'impôts réalisées peuvent alimenter pour une part la consommation des ménages. Ce n'est sans doute pas là l'objectif essentiel de cette mesure.