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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Daniel Picouly

Le sujet  1998 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

(Nous sommes le 22 septembre 1958 dans un minuscule pavillon de banlieue où vit une famille de treize enfants. L'un d'eux, âgé de onze ans, s'est levé plus tôt que de coutume)


Dans cette maison, il ne faut surtout pas se lever avant l'heure.

- Tu sais bien que, le matin, la cuisine est trop petite !

Curieuse, cette géométrie de la mère qui fait varier les surfaces en fonction des heures. Les mètres carrés du matin sont plus petits que ceux du soir. Il doit exister des génies invisibles qui réduisent la taille des maisons comme les têtes d'explorateurs. La nôtre a dû bouillir trop longtemps. C'est la plus petite de la rue. On dirait un vilain scalp accroché à une ceinture de pavillons en meulière (1).

Etrange. Ce matin, le père est en avance. Est-ce qu'il m'a entendu crier tout à l'heure ? Les hommes, ça n'entend jamais rien... Il est là, dans la cuisine, torse nu, penché au-dessus de la pierre à évier, la tête sous le robinet, une serviette sur les épaules. Il fait ses ablutions (2) et se frictionne le visage comme pour s'arracher la peau. Il projette de l'eau jusqu'à la plaque brûlante de la cuisinière qui fait des petits "tchi" de chat dérangé. Il a fini de se raser. Le miroir est encore accroché à la poignée de la fenêtre.

Soudain, la m'am me voit regarder le père. Elle se fige sur le pas de la porte de la cuisine, comme si elle avait déjà compris ce qui allait se passer. Le p'pa se redresse et fait glisser la serviette de ses épaules. Une énorme cicatrice court dans son dos, tout le long de son omoplate droite. Un trait large et luisant sur sa peau brune. La m'am m'aurait sans doute écarté de cette cicatrice, mais mon père s'est retourné. Une liane. Il m'a découvert tout nu et pétrifié. Le regard encore barré par cette marque sur sa peau. Alors, il m'a pris des yeux, comme pour me faire traverser un torrent en équilibre, sur une grosse branche. Je ne crains rien quand il me regarde comme ça.

Il m'a pris des yeux et a souri. Le sourire du p'pa, c'est comme un soleil (3) à la barre fixe. On craint pour lui tant qu'il tourne, mais on ne veut pas qu'il s'arrête, de peur qu'il ne se brise à la sortie. De son pouce, il me montre la cicatrice dans son dos.

- Tu vois : c'est une griffe de tigre !

Une griffe de tigre ! J'en étais sûr. Mon père a combattu à mains nues les tigres de Java ! Je n'ai pas le temps de lui demander combien il en a tué, si son cri est comme on le dit paralysant, si c'est vrai qu'il attaque à la gorge, si ses dents en collier protègent de la morsure de cobra, si... Déjà la m'am, un instant surprise, a retrouvé une dizaine de bras pour me saisir, m'enlever, m'enfiler dans une chemise de nuit trop grande et me glisser quelque part dans un lit.


Daniel PICOULY, Le Champ de personne, Flammarion, 1995, p. 30-31.

(1) variété de pierre calcaire incrustée de silex qu'on utilisait dans les constructions de banlieue parisienne.
(2) il se lave.
(3) en gymnastique, tour complet à bout de bras autour d'un axe horizontal, la barre fixe.



I - LA NARRATION

1) Le narrateur

a) Qui est le narrateur ?

b) Relevez les indices grammaticaux, de "Dans cette maison..." à "...poignée de la fenêtre", qui montrent sa présence dans la narration.

2) "la mère", "le père", "la m'am", "le p'pa"

a) Quelle différence y a-t-il entre ces appellations ?

b) Quel effet produit le passage d'un terme à l'autre ?

3) "Ce matin, le père est en avance. Est-ce qu'il m'a entendu crier tout à l'heure ?"

a) Quels sont les deux temps de l'indicatif utilisés dans ces phrases ?

b) Pourquoi le narrateur est-il passé de l'un à l'autre ?

c) Pourquoi le narrateur préfère-t-il le plus souvent le présent à un temps du passé, dans ce texte ?


II - LA DECOUVERTE


1) L'enfant découvre quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir
Relevez, dans le passage allant de "Soudain" à "marque sur sa peau", des détails, dans le comportement de la mère et de l'enfant, qui le montrent.

2) a) Quelle découverte fait l'enfant ?

b) Relevez la phrase nominale qui la décrit.

3) Dans la phrase "La m'am... retourné"

a) Quel connecteur logique relie les deux propositions de la phrase ?

b) Remplacez-le par "si", sans modifier le sens de la phrase.
Effectuez les changements nécessaires dans la deuxième proposition.

c) Pourquoi le narrateur a-t-il utilisé le conditionnel dans la première proposition ?

4) "Le regard encore barré par cette marque sur sa peau"
Au cinéma, de quelle manière pourrait-on rendre cette impression ?

5) a) Relevez deux comparaisons dans le passage allant de "Alors, il m'a pris" à "cicatrice dans son dos".

b) Que nous apprennent-elles sur les sentiments du fils à l'égard du père ?


III - LA REALITE QUOTIDIENNE ET LE MONDE IMAGINAIRE


1) Relevez, dans le passage allant de "Etrange" à "poignée de la fenêtre", les éléments qui précisent le milieu social de la famille.

2) Expliquez la phrase "Les mètres carrés du matin sont plus petits que ceux du soir".

3) "Les têtes d'explorateurs" et "un vilain scalp" sont des termes qui appartiennent au même champ lexical. Relevez, dans le passage allant de "Une griffe de tigre" à "dans un lit", tous les autres mots et expressions de ce champ lexical, que vous préciserez.

4) Ecrivez les quatre questions que l'enfant n'a pas eu le temps de poser à son père, comme s'il s'adressait à lui.

5) a) "Le père", "mon père" : donnez la classe grammaticale des deux déterminants.

b) Quelle évolution dans les sentiments de l'enfant vis-à-vis de son père ce changement de déterminant traduit-il ?

c) Quel est le type de phrase employé à deux reprises dans le passage "Une griffe de tigre... Java !" ?

d) Quel effet produit l'utilisation de ce type de phrase ?


IV - CONCLUSION

En quoi la découverte de la cicatrice modifie-t-elle le regard que l'enfant porte sur son père ?

LE CORRIGÉ

I - LA NARRATION


1) Le narrateur

a) Le narrateur est un enfant de onze ans.

b) Dans le passage allant de "Dans cette maison" à "à la poignée de la fenêtre", plusieurs indices grammaticaux soulignent la présence du narrateur :

- Des pronoms personnels : tu ("tu sais bien"), m' ("il m'a entendu").

- Des articles (dont on peut dire qu'ils ont une valeur possessive) :

* la (mère) dans le passage : "curieuse, cette géométrie de la mère"
* le (père) dans le passage : "ce matin le père est en avance".

- Un pronom possessif : la nôtre, dans le passage "la nôtre a dû bouillir trop longtemps".

- Un adjectif démonstratif : cette, au début du texte, "Dans cette maison".

- Un verbe à la tournure impersonnelle qui est une manière de rapporter des paroles énoncées par les parents du narrateur, principalement la mère semble-t-il : "il ne faut surtout pas" (début du texte).

2) "la mère", "le père", "la m'am", "le p'pa"

a) Les deux premières appellations sont des termes génériques ; c'est une façon habituelle de nommer les parents dans certains milieux ou régions.
Les deux suivantes appartiennent au langage parlé. Elles sont affectueuses et familières.

b) Le passage d'un terme à l'autre souligne l'aspect affectif et émotionnel de la scène qui va être rapportée.
Les parents ne sont plus regardés selon leur fonction sociale, mais comme des êtres plus proches, plus "charnels", et c'est justement de "cicatrice dans la chair" du père dont il va être question.

3) "Ce matin le père est en avance. Est-ce qu'il m'a entendu crier tout à l'heure ?"

a) Les temps de l'indicatif : le présent : "est", et le passé composé : "a entendu".

b) Le récit fait par l'enfant est au présent (présent de narration).
Pour expliquer l'avance du père, il évoque un événement antérieur à la scène rapportée et utilise donc le passé composé.

c) L'emploi du présent rend cette scène plus vivante ; elle s'est fortement inscrite dans l'esprit du narrateur.


II - LA DECOUVERTE


1) L'enfant découvre quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir

- La mère "se fige sur le pas de la porte" ; elle anticipe le fait que l'enfant va découvrir la blessure de son père.
- Habituellement, "la m'am m'aurait sans doute écarté" : elle voulait jusqu'alors préserver l'enfant de cette vision.
- L'enfant est "pétrifié" : dans le passage "Il m'a découvert tout nu et pétrifié".
- Son regard est "barré par cette marque sur sa peau" comme si le regard de l'enfant recevait la blessure.
- Il a besoin de s'accrocher au regard de son père pour retrouver son équilibre : dans le passage allant de "comme pour me faire traverser un torrent en équilibre" à "quand il me regarde comme ça".

2) a) Il découvre une cicatrice sur le dos de son père.

b) Phrase nominale qui la décrit : "un trait large et luisant sur sa peau brune".

3) Dans le passage "la m'am... retourné"

a) Connecteur logique : il s'agit de "mais".

b) Transformation de la phrase : la m’am m’aurait sans doute écarté de cette cicatrice si mon père ne s’était retourné.

c) Il s'agit ici d'une supposition de l'enfant, qui justifie donc l'emploi du conditionnel.

4) "Le regard encore barré par cette marque sur sa peau"
Au cinéma, on pourrait rendre cette impression par une surimpression : gros plan sur le regard où se voit la marque de la cicatrice.

5) a) Deux comparaisons dans le passage allant de "Alors, il m'a pris" à "cicatrice dans son dos" :
- "comme pour me faire traverser un torrent"
- "comme un soleil à la barre fixe"

b) L'enfant a une totale confiance en son père et a pour lui une admiration extrême.


III - LA REALITE QUOTIDIENNE ET LE MONDE IMAGINAIRE


1) Dans le passage allant de "Etrange" à "poignée de la fenêtre", les éléments qui précisent le milieu social de la famille :
On se lave dans la cuisine, dans l'évier ; un miroir est accroché à la poignée de la fenêtre pour que le père puisse se raser.
C'est un milieu populaire.

2) "Les mètres carrés du matin sont plus petits que ceux du soir"
Quand il faut se laver et prendre le petit déjeuner, la pièce se révèle bien petite.

3) "Les têtes d'explorateurs" (début du texte) et "un vilain scalp" sont des termes qui appartiennent au même champ lexical :

- "une griffe de tigre"
- "combattu à mains nues les tigres de Java"
- "il en a tué"
- "son cri est paralysant"
- "il attaque à la gorge"
- "ses dents en collier protègent de la morsure de cobra"

Il s'agit du champ lexical de l'aventure ou de l'exploration.

4) Quatre questions que l'enfant n'a pas eu le temps de poser à son père comme s'il s'adressait à lui :

- "Dis-moi, combien en as-tu tué de tigres ?"
- "Est-ce que son cri est paralysant ?"
- "Est-il vrai qu'il attaque à la gorge ?"
- "Ses dents en collier protègent-elles de la morsure de cobra ?"

Vous pouviez ou non varier les formes de l'interrogation directe.

5) a) "Le père" (début du texte), "mon père" (fin du texte).
- le : article défini, masculin singulier
- mon : adjectif possessif, masculin singulier

b) L'enfant éprouve un élan de fierté, de tendresse.
Celui qui était le père (figure respectée, un peu distante) devient mon père, celui que j'aime et devant lequel je suis admiratif.

c) "Une griffe de tigre ! ... les tigres de Java !" : sont des phrases exclamatives.

d) Ces phrases rendent le récit plus vivant, elles accentuent la surprise de l'enfant.


IV - CONCLUSION


L'enfant regarde son père comme un héros. Cette vision rend le père plus humain.
L'amour de l'enfant trouve une raison supplémentaire de s'épanouir.

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