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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Hervé Bazin

Le sujet  1998 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

Papa étendit une main solennelle et commença à débiter sa leçon :

"Mes enfants, nous vous avons réunis pour vous faire connaître nos décisions en ce qui concerne l'organisation et l'horaire de vos études. La période d'installation est terminée. Nous exigeons maintenant de l'ordre."

Il reprit son souffle, ce dont sa femme profita immédiatement pour lancer à l'adresse de nos silences un retentissant :

"Et tâchez de vous taire !

- Vous vous lèverez tous les matins à cinq heures, reprenait mon père. Vous ferez aussitôt votre lit, vous vous laverez, puis vous vous rendrez à la chapelle pour entendre la messe du père Trubel, que vous servirez à tour de rôle. Après votre action de grâces, vous irez apprendre vos leçons dans l'ex-chambre de ma sœur Gabrielle, transformée en salle d'étude, parce qu'elle est contiguë à celle du père, qui aura ainsi toutes facilités pour vous surveiller. A huit heures, vous déjeunerez...

- A ce propos, Mademoiselle, coupa madame mère, je précise que ces enfants ne prendront plus désormais de café au lait, mais de la soupe. C'est plus sain. Vous pourrez donner un peu de lait à Marcel, qui a de l'entérite (1).

- Après le petit déjeuner, une demi-heure de récréation...

- En silence ! coupa Mme Rezeau.

- Votre mère veut dire : sans trop faire de bruit, pour ne pas la réveiller, soupira M. Rezeau. Vous reprendrez le travail à neuf heures. Récitations, cours, devoirs, avec un quart d'heure d'entracte aux alentours de dix heures, cela vous amènera jusqu'au déjeuner. Au premier son de la cloche, vous allez vous laver les mains. Au second coup, vous entrez dans la salle à manger."

M. Rezeau se frisa longuement les moustaches d'un air satisfait. Il regardait fixement devant lui, dans la direction des chrysanthèmes, disposés en large bouillée (2) au milieu de la table. Sa main partit d'un coup sec. La mouche capturée, il l'examina longuement.

"Curieux ! fit-il. Je me demande comment cette Polyphena (3) peut avoir échoué ici. Enfin, elle est de bonne prise."

Aussitôt, il extirpa de la poche quatre (en bas, à droite) de son gilet le tube de verre dont le fond était garni de cyanure de potassium (4) et que nous commencions à bien connaître. Ma mère fronça les sourcils, mais ne dit rien. Elle respectait la science. Papa reprit tranquillement, tandis que périssait la Polyphena.

"Nous vous accordons, après le déjeuner, une heure de récréation, qui pourra être supprimée, par punition. Vous devez obligatoirement jouer dehors, sauf s'il pleut.

- Mais s'il fait froid ? hasarda Mademoiselle.

- Rien de meilleur pour les aguerrir, rétorqua madame mère. Je suis pour une éducation forte. Alphonsine est de mon avis, j'en suis sûre."

A tout hasard, la sourde et muette, reconnaissant son nom sur les lèvres de la patronne, fit un geste de dénégation.

"Vous voyez, elle ne veut pas non plus qu'on les élève dans une boîte à coton."

Papa s'impatientait.

"Nous n'en finirons jamais, Paule, si tout le monde m'interrompt. Je disais donc... Ah ! oui, je disais que, sur le coup de une heure et demie, vous reprendriez le collier. Goûter à quatre heures. Je laisse au père Trubel le soin d'organiser votre emploi du temps avant et après la tartine. A la cloche du souper, mêmes formalités au lavabo, je vous prie. Le soir, en mangeant, nous ne parlerons que l'anglais. Il ne sera répondu à aucune demande de pain ou de vin...

- D'eau, Jacques !

- Il ne sera répondu à aucune si elle n'est pas exprimée dans la langue de Disraeli (5), qui, du reste, était juif. Telle est la meilleure méthode pour contraindre les enfants à s'intéresser aux langues étrangères. De mon temps, l'abbé Faire, mon précepteur, avait imposé le latin. Je modernise le procédé. Aussitôt après les grâces, prière du soir, en commun, à la chapelle. Tout le monde doit être couché à neuf heures et demie, au plus tard. Voilà. Maintenant, je vous laisse. J'ai des mouches à piquer."

Mme Rezeau se tourna vers la gouvernante, tandis que son époux s'éloignait en traînant de la bottine.


Hervé BAZIN, Vipère au poing, 1948.

(1) inflammation de l'intestin qui entraîne des douleurs abdominales.
(2) brassée, grosse touffe.
(3) variété de mouche.
(4) produit chimique.
(5) homme politique anglais (1804-1881).



I - GRAMMAIRE


1) "Aussitôt, il extirpa de la poche... tandis que périssait la Polyphena"

a) Quels sont les temps verbaux utilisés dans ce passage ?

b) Justifiez leur emploi.

c) Quelle est la valeur particulière du temps employé dans l'expression "elle respectait la science" ?

2) "Vous voyez, elle ne veut pas non plus qu'on les élève dans une boîte à coton"

a) Quel personnage prononce cette phrase ?

b) Quels personnages représentent les pronoms soulignés ?

3) "A ce propos, Mademoiselle, coupa madame mère, je précise que ces enfants ne prendront plus désormais de café au lait, mais de la soupe. C'est plus sain. Vous pourrez donner un peu de lait à Marcel, qui a de l'entérite"
Réécrivez ce passage en introduisant à la place des points des liens de coordination et/ou de subordination.
Précisez chaque fois les nuances de sens introduites par ces liens logiques.


II - VOCABULAIRE


1) a) Relevez les verbes qui introduisent chacune des prises de parole de Mme Rezeau.

b) Que pouvez-vous en déduire sur la personnalité de cette femme ?

2) a) Quelle est la racine du verbe "aguerrir" ?

b) En vous aidant de cette racine et du contexte, expliquez le sens de ce verbe.

c) Réécrivez la phrase en remplaçant ce verbe par un verbe ou une expression synonyme.

3) "Sur le coup d'une heure et demie, vous reprendriez le collier"
Expliquez le sens de l'expression en gras.


III - COMPREHENSION


1) En vous aidant de votre réponse à la question 1 du vocabulaire, vous préciserez quelles différences apparaissent entre les caractères du mari et de sa femme.

2) En vous appuyant sur le texte, dites quelles sont, dans ce type d'éducation, les qualités que ce couple de parents exige de ses enfants ?

LE CORRIGÉ

I - GRAMMAIRE

1) a) Dans ce passage, les temps verbaux utilisés sont l'imparfait et le passé simple.

b) Le passé simple est utilisé comme temps de récit : il exprime des actions brèves et successives.
A l'inverse, l'imparfait exprime des actions qui durent.

c) Dans la phrase "elle respectait la science", l'imparfait exprime l'habitude.

2) a) C'est Mme Rezeau qui prononce la phrase : "Vous voyez, elle ne veut pas non plus qu'on les élève dans une boîte à coton".

b) "Vous" représente M. Rezeau. C'est à lui que Mme Rezeau s'adresse. "Elle" désigne Alphonsine, la gouvernante.
"Les" désigne les enfants.

3) A ce propos, Mademoiselle, coupa madame mère, je précise que ces enfants ne prendront plus désormais de café au lait, mais de la soupe parce que c'est plus sain, alors que vous pourrez donner un peu de lait à Marcel, qui a de l'entérite.

La première conjonction de subordination introduit une subordonnée circonstancielle de cause à valeur explicative, tandis que la deuxième conjonction de subordination introduit une subordonnée circonstancielle d'opposition.


II - VOCABULAIRE

1) a) Les verbes qui introduisent les prises de parole de Mme Rezeau sont :
"lancer" (ligne 5) ; "coupa" (ligne 14) ; "coupa" (ligne 18) ; "rétorqua" (ligne 35).

b) Les verbes qui introduisent les prises de parole de Mme Rezeau expriment l'autorité. On peut en déduire qu'elle a un caractère fort, autoritaire.
Cela laisse supposer une certaine sécheresse et dureté de caractère chez ce personnage maternel.

2) a) La racine du verbe aguerrir est guerre.

b) Aguerrir quelqu'un signifie le rendre fort, robuste, prêt à endurer la dureté de la guerre. Dans le contexte, cela signifie que Mme Rezeau veut préparer ses fils à affronter n'importe quel type de situation, en les rendant robustes.

c) Rien de meilleur pour les endurcir, rétorqua madame mère.

3) "Reprendre le collier" signifie retourner au travail. Il s'agit d'une expression imagée qui fait référence au bœuf qui tire la charrue.


III - COMPREHENSION


1) Le caractère de Mme Rezeau est opposé à celui de son mari. Elle est dure et autoritaire alors que lui est plus conciliant.
Il corrige la dureté des propos de sa femme : "votre mère veut dire : sans faire trop de bruit pour ne pas la réveiller, soupira M. Rezeau".
Celui-ci est plus intéressé par ses occupations scientifiques : piquer et répertorier des mouches, que par l'éducation de ses enfants.

2) Les qualités que ce couple de parents exige de ses enfants sont :

- D'être ordonnés (ligne 4) : "Nous exigeons maintenant de l'ordre".
- De l'obéissance et de l'écoute : "Tâchez de vous taire" (ligne 7).
- Du travail (ligne 20) : "Récitations, cours, devoirs..."
- De la propreté (ligne 44) : "A la cloche du souper, mêmes formalités au lavabo, je vous prie".
- De l'endurance physique et de la robustesse : (ligne 35) : "rien de meilleur pour les aguerrir. Je suis pour une éducation forte".
- Des capacités intellectuelles pour comprendre les langues étrangères : (ligne 48) : "Telle est la meilleure méthode pour contraindre les enfants à s'intéresser aux langues étrangères".

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