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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Jean-Dominique Bauby

Le sujet  1998 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

(Totalement paralysé à la suite d'un accident cérébral, le narrateur évoque sa vie)


Sur les bancs du lycée parisien où j'ai usé mes premiers jeans, j'ai côtoyé un long garçon rougeaud nommé Olivier qu'une mythomanie galopante rendait d'un commerce sympathique. Avec lui, inutile d'aller au cinéma. On y était en permanence à la meilleure place, et le film ne manquait pas de moyens. Le lundi, il nous cueillait à froid avec des récits de week-end dignes des Mille et Une Nuits. S'il n'avait pas passé son dimanche avec Johnny Hallyday, c'est qu'il avait été à Londres pour voir le prochain James Bond, à moins qu'on ne lui ait prêté la nouvelle Honda. Les motos japonaises arrivaient alors en France et enflammaient les cours de récréation. Du matin au soir, notre camarade nous berçait de petits mensonges et de grosses rodomontades, sans crainte d'inventer toujours de nouvelles histoires même si elles contredisaient les précédentes. Orphelin à dix heures, fils unique au déjeuner, il pouvait se découvrir quatre sœurs dans l'après-midi dont une championne de patinage artistique. Quant à son père, un brave fonctionnaire dans la réalité, il devenait selon les jours l'inventeur de la bombe atomique, l'imprésario des Beatles ou le fils caché du général de Gaulle. Olivier ayant lui-même renoncé à mettre de l'ordre dans ses salades, nous n'allions pas lui en reprocher l'incohérence. Lorsqu'il nous servait une fable vraiment trop indigeste, nous émettions bien quelques réserves, mais il protestait de sa bonne foi avec des "J'te jure" si indignés qu'on devait vite s'incliner.


Au dernier pointage, Olivier n'est pas pilote de chasse, ni agent secret, ni conseiller d'un émir comme il en avait conçu le projet. Assez logiquement, il exerce dans la pub son inépuisable talent de doreur de pilule.


Je regrette un peu de l'avoir regardé de haut, car désormais j'envie Olivier et sa maîtrise dans l'art de se raconter des histoires. Je ne suis pas sûr de jamais acquérir une telle facilité même si je commence moi aussi à me créer de glorieux destins de substitution. A mes heures je suis coureur de Formule 1. Vous m'avez sûrement vu sur quelque circuit à Monza ou à Silverstone. La mystérieuse voiture blanche sans marque ni numéro, c'est moi. Allongé sur mon lit, je veux dire dans mon cockpit, j'enchaîne les courbes à pleine vitesse, et ma tête alourdie par le casque s'incline douloureusement sous l'effet de la gravitation. Je joue aussi les petits soldats dans une série télévisée sur les grandes batailles de l'Histoire. J'ai fait Alésia, Poitiers, Marignan, Austerlitz et le Chemin des Dames. Comme j'ai été blessé dans le débarquement en Normandie, je ne sais pas encore si j'irai faire un saut à Diên Biên Phu. Entre les mains de la kiné, je suis un outsider du Tour de France au soir d'une étape d'anthologie. Elle apaise mes muscles explosés par l'effort. Je me suis envolé dans le Tourmalet. J'entends toujours la clameur de la foule sur la route du sommet, et dans la descente le chuintement de l'air dans les rayons. J'ai repris un quart d'heure à tous les caïds du peloton. "J'te jure !"


J.-D. BAUBY, Le Scaphandre et le Papillon.



I - PORTRAIT D'UN AFFABULATEUR


1) Relevez dans le passage allant de "Sur les bancs du lycée parisien" à "qu'on devait vite s'incliner", les mots ou expressions qui désignent les histoires inventées par Olivier.

2) Relevez dans le passage allant de "Je regrette un peu" à "J'te jure !" l'expression qui éclaire le sens du mot "mythomanie".

3) Quel est le temps le plus utilisé dans le passage allant de "Sur les bancs du lycée parisien" à "qu'on devait vite s'incliner" ?
Quelle en est la valeur ?

4) Pourquoi les lycéens apprécient-ils Olivier ?
Citez le texte à l'appui de votre réponse.


II - LE NARRATEUR


1) Quels sont les trois destins imaginés par le narrateur ?

2) Dans le passage allant de "Je regrette un peu" à "J'te jure !", relevez les formes verbales au passé composé. Quelle est la valeur de ce temps ?

3) Dans le passage allant de "Je regrette un peu" à "J'te jure !", relevez le champ lexical de la souffrance.
Justifiez sa présence.


III - IMAGINATION ET REALITE


1) Quel est le temps le plus utilisé dans le passage allant de "Au dernier pointage" à "J'te jure !" ?
Quelle en est la valeur ?

2) Quel métier exerce Olivier devenu adulte ?
Quels rapports ce métier a-t-il avec ses talents d'enfant ?

3) Qui parle à chaque fois dans l'expression "J'te jure" ? A quels destinataires ?
Qu'en déduisez-vous sur l'état d'esprit du narrateur devenu adulte ?

LE CORRIGÉ

I - PORTRAIT D'UN AFFABULATEUR


1) "Mythomanie, inutile d'aller au cinéma, le film ne manquait pas de moyens, récits dignes des Mille et Une Nuits, petits mensonges et grosses rodomontades, nouvelles histoires, fable vraiment trop indigeste".

2) Il s'agit de l'expression "l'art de se raconter des histoires".

3) Le temps le plus utilisé dans le premier paragraphe est l'imparfait.
Il décrit une action dans sa durée, des événements qui se répètent : les mensonges très fréquents d'Olivier, presque comme un rite, au cours des années de lycée que l'auteur évoque.

4) Les lycéens apprécient Olivier parce qu'il apporte une part de rêve dans leur quotidien un peu triste. Sans le croire toujours, ils s'évadent dans le monde imaginaire de leur camarade.
"Commerce sympathique, inutile d'aller au cinéma, en permanence à la meilleure place, le film ne manquait pas de moyens, dignes des Mille et Une Nuits, on devait vite s'incliner".


II - LE NARRATEUR


1) Il imagine tour à tour être coureur de Formule I, puis soldat au cours d'un grand conflit, blessé, enfin un outsider du Tour de France.

2) "Avoir regardé, avez vu, j'ai été blessé, je me suis envolé, j'ai repris"
Le passé composé a un aspect accompli, il montre une action passée et achevée, dont l'effet se prolonge sur le présent, par rapport auquel il exprime l'antériorité.

3) "Alourdie, s'incline douloureusement, blessé, entre les mains de la kiné, muscles explosés par l'effort"
Le narrateur, peut-être moins doué qu'Olivier dans l'art du mensonge, s'invente des destins "douloureux" comme pour se punir ou se donner le beau rôle, celui de la victime, ce qui renforce l'attrait du mensonge.


III - IMAGINATION ET REALITE


1) Le temps le plus utilisé est le présent, décrivant une action qui se déroule au moment où l'on parle.
L'action est plus vivante dans le présent du narrateur.
En effet, celui-ci a effectué un retour en arrière sur ses années de lycée et nous parle, au présent, de son lit d'hôpital.

2) Olivier travaille dans la publicité.
Son art de "doreur de pilule" prend toute son efficacité dans ce métier, qui consiste en grande partie à vanter des qualités qui n'existent pas toujours.
Mentir pour vendre et surtout être toujours, ou assez souvent, crédible.

3) Dans le passage "il protestait de sa bonne foi avec des J'te jure", c'est Olivier.
Dans le passage "j'ai repris un quart d'heure à tous les caïds du peloton. J'te jure'", c'est le narrateur lui-même.
Olivier a pour destinataires ses camarades incrédules.
Le narrateur ses lecteurs, ou ses anciens camarades qu'il évoque avec nostalgie.

L'état d'esprit du narrateur devenu adulte, malgré la gravité de la situation dans laquelle il se trouve, n'a rien perdu de la fantaisie de l'enfance et de la joie de vivre.

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