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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Michel Tournier

Le sujet  1999 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

(Dans ce livre, quarante photographies ont été à l'origine d'autant de textes. Celui qui est présenté ici est intégral)


Les fiancés de la plage


C'était à Villiers-sur-Mer, mais Plozévet, Mimizan ou Le Lavandou auraient aussi bien fait l'affaire. Je m'étais posé, curieux et solitaire, à proximité d'un de ces groupes tribaux qui rassemblent sur le sable grands-parents, parents, enfants, cousins, amis et amis des amis. Je songeais que les plages estivales sont la dernière chance de la famille au sens large du mot, au sens de la maison, maisonnée, alors que partout ailleurs la famille est réduite à sa plus simple expression : papa-maman-enfant. L'automobile - et ses dimensions - y est certainement pour quelque chose...

Le fait est que c'est en vacances - sur les plages singulièrement - que la plupart des futurs couples se forment. Des jeunes gens et des jeunes filles habitant la même ville - voire le même quartier - se croisent, se côtoient onze mois sans se remarquer. Sans doute n'ont-ils pas la "tête à ça". Pour qu'ils "se regardent", comme on dit aux champs, il leur faut la plage, qui apparaît dès lors comme un vaste champ de foire aux fiancés.

Cependant que je me faisais ces réflexions, à quelques mètres de moi le palabre (1) allait bon train. Au centre du groupe, la maman, plus toute jeune, un peu corpulente déjà, serrait en silence sur ses genoux le plus jeune, six ans peut-être. Mais autour d'eux les adolescents parlaient avec animation d'un concours de beauté avec élections d'une "miss" locale organisé le soir même au casino. On lance des prénoms de demoiselles ayant des chances de vaincre. Les filles se défient, intimidées et envieuses, affichant un détachement apparent pour ce genre de manifestations.

Soudain, un ange passe, et on entend la voix du petit garçon :

- Mais toi, maman, pourquoi tu ne te présentes pas au concours de beauté ?

Stupeur d'un instant. Puis hurlements de rire des adolescents. Ce gosse, quel idiot ! Non mais, tu vois ça, maman au concours de beauté !

Mais, au milieu de tout ce bruit, il y en a deux qui ne disent rien. Le petit garçon qui ouvre de grands yeux et qui regarde passionnément sa mère. Il ne comprend rien, mais vraiment rien du tout à ce déchaînement de gaieté grossière. Il a beau écarquiller les yeux, ce qu'il voit indiscutablement, c'est la plus belle des femmes.

Et la maman, plus toute jeune, un peu corpulente déjà, qui regarde son petit garçon. Non, qui se regarde avec émerveillement dans les yeux de son petit garçon.

Les fiancés de la plage...

Michel TOURNIER, Des clés et des serrures.

(1) discussion sans fin et sans objet particulier.

 

I - REGARD SUR UNE PLAGE


1) Que laisse sous-entendre le titre ?
Citez trois expressions du texte qui confirment cette hypothèse.

2) Relevez la proposition subordonnée qui marque la transition entre les deux parties du texte.
Donnez un titre à chacune d'elle.

3) Indiquez les deux valeurs du présent dans le deuxième et le troisième paragraphe.
Citez un exemple de chacun d'eux.

4) Quels adjectifs qualificatifs le narrateur utilise-t-il pour se définir ?
A quel nom rattachez-vous l'adjectif "tribaux" (singulier : tribal) ?
Relevez les mots qui développent cet adjectif dans le premier paragraphe.

5) "C'était à Villiers-sur-mer, mais Plozévet, Mimizan ou Le Lavandou auraient aussi bien fait l'affaire"

Pourquoi la localisation est-elle indifférente ?
En quoi le choix des déterminants dans le premier paragraphe renforce-t-il cette impression d'indifférence ?

6) Relevez les compléments circonstanciels de lieu dans le troisième paragraphe.
Comment les différents personnages sont-ils situés dans l'espace ?
Que favorise la position du narrateur ?

 

II - LES UNS ET LES AUTRES


1) Qui énonce "ce gosse, quel idiot !" ?
Comment appelle-t-on cette façon de rapporter les paroles ?
Quelle autre façon de rapporter les paroles trouve-t-on dans le texte ? Citez ces paroles.
Pourquoi l'auteur a-t-il choisi cette deuxième façon ?

2) Quelles sont les deux expressions qui qualifient la réaction des adolescents de "Soudain" à "beauté !" ?

Quelle expression caractérise la réaction de la mère et de l'enfant ?

3) Quel champ lexical est omniprésent dans les deux derniers paragraphes ?
Relevez-le et justifiez sa présence.

4) Comment l'enfant considère-t-il sa mère ? Citez une expression du texte qui illustre votre réponse.

5) Transformez l'expression "Il a beau écarquiller les yeux" en une proposition subordonnée et réécrivez la phrase.

6) Relisez votre réponse à la question I, 1. Quelle signification la dernière phrase prend-elle maintenant ?
Sachant que ce texte intégral s'achève à "plage...", quelle invitation l'auteur lance-t-il au lecteur en utilisant les points de suspension ?

LE CORRIGÉ

I - REGARD SUR UNE PLAGE


1) Le titre laisse sous-entendre que le texte sera de type narratif : on va nous raconter une belle histoire comportant de l'amour ("fiancés") et de la poésie ("la plage", la mer...).
Les expressions "plages estivales", "sur le sable", "futurs couples", "foire aux fiancés" confirment l'hypothèse initiale.

2) La proposition subordonnée "cependant que je me faisais ces réflexions" marque la transition entre les deux parties du texte.
On peut intituler la première : "Familles en vacances au bord de la mer". Quant à la seconde partie, on pourrait lui donner pour titre : "La plus belle, c'est maman !"

3) Le présent dans les deuxième et troisième paragraphes a deux valeurs différentes.
Il exprime une vérité d'ordre général dans les exemples du paragraphe deux : "c'est en vacances que les couples se forment", "il leur faut la plage", etc.
Au paragraphe trois, le présent est l'équivalent d'un passé simple : on parle de présent de narration ("on lance", "les filles se défient").

4) Le narrateur se définit en employant les adjectifs "curieux" et "solitaire".
L'adjectif "tribaux" est à rattacher au nom "tribu" ; on trouve dans le premier paragraphe les mots "groupes", "famille au sens large", toute l'énumération qui précède "grands-parents, parents, enfants, cousins, amis et amis des amis", et enfin le terme "dimensions". Tous ces termes évoquent l'idée de tribu.

5) La localisation n'a aucune importance car Michel Tournier veut montrer quelque chose qui a valeur universelle, à l'échelle de la France en tout cas !
L'impression d'indifférence est renforcée par l'emploi des déterminants à valeur généralisante que sont les articles définis ("la famille", "l'automobile") du premier paragraphe.
Le déterminant "un de ces" (l'article indéfini signifiant "un quelconque" groupe, "n'importe lequel", est suivi de l'adjectif démonstratif "ces" qui renvoie à une réalité bien connue du narrateur et de son lecteur) confirme cette impression d'indifférence.

6) Les compléments circonstanciels de lieu du troisième paragraphe sont :

- "à quelques mètres de moi"
- "au centre du groupe"
- "sur ses genoux"
- "autour d'eux"
- "au casino"

Les personnages des adolescents forment un cercle autour de la mère et de l'enfant, devenus personnages centraux sur lesquels se focalise l'attention.
La position à l'écart du narrateur le transforme en voyeur et favorise son observation : il n'est pas impliqué dans ce qui se dit ou se passe, il note les faits et tirera les conclusions.

 

II - LES UNS ET LES AUTRES


1) Ce sont les réactions des adolescents que l'on entend ("ce gosse, quel idiot !"). Les propos sont ici rapportés au style indirect libre.
Un peu plus haut dans le texte, le jeune garçon s'adresse directement à sa mère en s'exclamant : "Mais toi, maman, pourquoi tu ne te présentes pas au concours de beauté ?"
Le discours direct permet de conserver la spontanéité de l'enfant : sa question sonne comme un véritable cri du cœur.

2) La réaction des adolescents est qualifiée par les phrases nominales "Stupeur d'un instant", puis "hurlements de rire des adolescents".
Quant à la mère et à l'enfant, leur réaction est identique : aux hurlements, ils opposent leur silence ("il y en a deux qui ne disent rien").

3) Le champ lexical omniprésent à la fin du texte est celui du regard : "il ouvre de grands yeux" ; "regarder" (par trois fois) ; "écarquiller les yeux" ; "il voit".
Ce champ rend compte de l'extrême proximité des deux personnages : ils échangent des regards muets, ils échangent par le regard; envers et contre tout, leur amour trouve à s'exprimer.

4) Pour l'enfant, sa mère est un être unique, merveilleux, la fée des contes : il ne la voit certes pas de façon objective ("ce qu'il voit indiscutablement, c'est la plus belle des femmes").

5) L'expression "il a beau écarquiller les yeux", une fois transformée en une proposition subordonnée, devient : "Bien qu'il (quoiqu'il) écarquille les yeux, ce qu'il voit indiscutablement, c'est la plus belle des femmes".
(Attention : ne pas utiliser ici "malgré que"!)

6) La dernière phrase opère un déplacement par rapport à l'histoire que le titre laissait entrevoir : les protagonistes, les fiancés ne sont pas des jeunes gens mais, à l'intérieur d'une même famille, une mère et son enfant.
Dans la mesure où le texte est ici achevé et entier, on constate qu'il présente une structure cyclique (les derniers mots sont la reprise très exacte du titre).
Et pourtant cette dernière phrase surprend le lecteur : il s'agit d'une chute (ou pointe) finale qui amène le lecteur à réfléchir (c'est bien le sens des points de suspension), à relire le texte et à méditer sur le caractère intemporel et universel de la relation qui unit une mère à son fils, et dont les figures de la Vierge Marie et de l'Enfant Jésus ne sont que les archétypes.

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