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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Philippe Labro

Le sujet  1999 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

(Dans son roman, Philippe Labro évoque les souvenirs de ses études dans une université américaine, à la fin des années cinquante.
Il est un des deux seuls étudiants étrangers et s'efforce avec enthousiasme de s'adapter à sa nouvelle vie. Mais l'hiver arrive, Noël se prépare et il est loin de la France)

C'était loin, loin la France. Les avions à réaction n'existaient pas, il eût fallu prendre le vol qui durait vingt heures, par les Constellations (1) qui font escale en Islande, ou alors le paquebot, mais les grands transatlantiques ne pratiquaient pas la traversée en hiver, et puis tout cela était cher, trop cher pour ma bourse et puis, et surtout, j'aurais interprété ce retour chez moi comme la démonstration que j'étais incapable de vivre seul à l'étranger, que j'avais échoué dans cette expédition unique que les "autres" n'avaient pas la chance de vivre. Ils me manquaient, "les autres", mais au même moment, je me sentais déjà détaché d'eux.

Ce serait donc le premier Noël loin de mes parents et mes frères. Jusqu'ici, ça n'avait pas semblé très important, mais maintenant que les guirlandes de gui étaient accrochées aux lustres des fraternités (2) et qu'on entendait seriner Jingle Bell et White Christmas (3) à tout instant par les radios dans les voitures, et que des sapins garnis de boules et de branches de houx se dressaient sur les pelouses des demeures professorales tout autour du campus (4), je sentais me pénétrer la signification de cette cérémonie, à la préparation de laquelle toute une nation consacrait tant de temps et d'argent. Et je m'en voyais exclu et cela avivait en moi comme une certaine mélancolie, cela me nouait la gorge. Sans doute eus-je un mot de trop à ce sujet, un soir, dans la chambre de Bob Kendall, qui se trouvait face à la mienne de l'autre côté du couloir. Il me regarda de ses yeux rieurs et me dit très naturellement :

- Je t'invite chez moi. Viens fêter Noël à la maison.

J'hésitai avant de répondre. Bob Kendall, un garçon riche, aux cheveux lustrés, avec qui j'avais eu jusqu'ici des relations intermittentes et banalement cordiales, insista :

- Si, si, viens ! J'appelle ma mère ce soir, elle ne fera aucune difficulté. On sera ravi de t'avoir parmi nous.

Et le lendemain matin, Bob me confirma avec la même simplicité, avec ce même sens de l'hospitalité immédiate que seuls possèdent les Américains, que j'étais l'invité de la maison Kendall pour quinze jours à Dallas, au Texas, où il était né. A Dallas ! C'était si magique, si là-bas, si mystérieux... J'en fus transporté de joie et de fierté. Et je pus dès lors, à l'instar (5) de tous mes camarades, cocher sur le calendrier que j'avais épinglé au mur les jours qui restaient jusqu'à mon départ pour cette aventure. Ça me donnait un objectif, j'avais un projet, un rendez-vous dans l'avenir.


Philippe LABRO, L'Etudiant étranger, Gallimard, 1986.



(1) Constellations : avions des années cinquante.
(2) dortoirs des étudiants plus âgés.
(3) Jingle Bell et White Christmas : chants traditionnels de Noël.
(4) ensemble de bâtiments universitaires.
(5) à l'instar de : comme.

 

I - UN DEBAT INTERIEUR

1) D'après ce texte, de quels moyens le narrateur aurait-il pu disposer, dans les années cinquante, pour rentrer en France ?

2) a) Dans le premier paragraphe, quel connecteur logique (ou mot de liaison) annonce les trois obstacles à un retour en France ?

b) Quels sont ces trois obstacles ?

c) Quels mots annoncent l'obstacle que le narrateur juge le plus important ?

3) a) Expliquez l'emploi de l'imparfait, de "étaient accrochées" à "cela me nouait la gorge".

b) Justifiez l'apparition du passé simple dans "Sans doute eus-je un mot".

 

II - LA SOLITUDE DU NARRATEUR


1) a) Qui sont "les autres" à la fin du premier paragraphe? Où sont-ils ?

b) Pourquoi le narrateur se sent-il différent des "autres" ?

2) "Et je m’en voyais exclu"

a) Quel groupe nominal "en" remplace-t-il ?

b) A quelle classe grammaticale "en" appartient-il ?

c) Quels préparatifs de Noël provoquent ce sentiment d'exclusion ?

 

III - L'HOSPITALITE AMERICAINE


1) a) Que signifie "des relations intermittentes" ?

b) Montrez en quoi cette expression explique que le narrateur hésite à accepter l'invitation de Bob Kendall.

2) De quelles qualités le jeune Américain fait-il preuve dans son invitation ?
Justifiez votre réponse en étudiant la façon dont cette invitation a été formulée (mode du verbe "venir", temps utilisés et vocabulaire), de "Je t'invite" à "la maison" et de "Si, si ? viens !" à "parmi nous".

3) "A Dallas ! C'était si magique, si là-bas, si mystérieux..."

a) "C'était si magique, si là-bas , si mystérieux..."
A quelle classe grammaticale appartient le mot souligné ?
Remplacez ce mot par un adjectif qualitatif qui aurait le même sens.

b) Précisez quels procédés grammaticaux et stylistiques sont utilisés dans ces deux phrases (observez la ponctuation, les types de phrases, etc.).
Dites quel sentiment est ainsi mis en valeur.

4) Quelle transformation cette invitation a-t-elle opérée dans l'état d'esprit du narrateur (de "Et le lendemain matin" jusqu’à la fin).

LE CORRIGÉ

I - UN DEBAT INTERIEUR

1) Le narrateur ne disposait dans les années cinquante que de deux moyens, très lents et surtout onéreux : un vol qui durait vingt heures ou un paquebot, mais qui ne naviguait pas en hiver.

2) a) Le connecteur logique qui annonce les trois obstacles à un retour possible en France est "mais".

b) Ces trois obstacles sont :

- la lenteur de l'avion et du paquebot
- le coût trop élevé du voyage
- le constat d'échec que constituerait le retour.

c) Le narrateur juge le dernier obstacle comme le plus important, ce qui est annoncé par "et puis, et surtout".

3) a) L'imparfait a une valeur durative descriptive.

b) Le passé simple marque un aspect ponctuel.

 

II - LA SOLITUDE DU NARRATEUR

1) a) "Les autres" sont ceux qui sont restés en France, famille et amis, qui n'ont peut-être pas eu le courage de partir et qui "l'attendent au tournant".

b) Le narrateur se sent différent des "autres" :

- Parce qu'il est loin de chez lui dans un pays étranger.
- Parce qu'il est conscient de vivre une aventure unique que les "autres" n'ont pas eu la chance de connaître.
- Parce qu'il se sent exclu au moment des fêtes de Noël dans une culture qui n'est pas tout à fait la sienne.

2) a) "En" remplace plutôt le groupe nominal "à la préparation", mais aussi "la cérémonie" ou même "la nation".

b) "En" appartient à la classe grammaticale des pronoms adverbiaux.

c) Les préparatifs de Noël qui provoquent ce sentiment d'exclusion sont les décorations dans les rues, les guirlandes de gui, les chants de Noël à la radio, les sapins décorés sur les pelouses.

 

III - L'HOSPITALITE AMERICAINE

1) a) "Des relations intermittentes" signifie discontinues, irrégulières.

b) Le narrateur n'a pas beaucoup d'intimité avec Bob Kendall ; ils se voient peu, de façon épisodique.
Le narrateur se sent donc gêné d'accepter l'invitation pour les fêtes de Noël chez un camarade qui n'est pas vraiment un intime.

2) Dans son invitation, le jeune Américain fait preuve de simplicité et d'un grand sens de l'hospitalité, ainsi que d'une certaine fermeté persuasive.
Il utilise l'impératif "viens", intimant en quelque sorte au narrateur l'ordre d'accepter son invitation.
On peut noter aussi la répétition du "si" d'insistance, l'assurance dans "aucune difficulté" et la certitude dans l'emploi du futur "on sera ravi".

3) a) "Là-bas" appartient à la classe grammaticale des adverbes de lieu. Un adjectif qui aurait le même sens : "éloigné, écarté, étranger, lointain, exotique, dépaysant, différent..."

b) Dans ces deux phrases, la première est nominale (sans verbe) et exclamative.
Les points de suspension à la fin de la seconde renforcent l'impression de mystère et de magie et laissent libre cours à l'imagination du lecteur.
Le présentatif "c'était" renforce l'expression de l'enthousiasme.
La répétition du "si" insiste encore sur cet enthousiasme.

Le sentiment mis en valeur est donc l'enthousiasme, la joie, la fierté, l'excitation de la curiosité, le bonheur de connaître un pays qui n'appartenait qu'au domaine des rêves et de la magie.

4) Transformation opérée dans l'état d'esprit du narrateur : il ne se sent plus isolé, exclu.

Non seulement il est invité par une famille américaine, comme un intime, à participer aux fêtes de Noël, mais de plus il part au Texas, région mythique.
Il a enfin un but, il sait où il va alors qu'au début du texte il se présentait comme isolé et souffrant de cette solitude : "Ça me donnait un objectif, j'avais un projet, un rendez-vous dans l'avenir".

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