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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Pierre Peju

Le sujet  2005 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET


          Eva est une enfant de dix ans. Elle vient de déménager et fréquente depuis peu son école.
      Il est seize heures trente en ce jour pluvieux de novembre : c'est l'heure où les parents et les
      enfants ont la joie de se retrouver devant les grilles. La mère d'Eva, elle, arrive souvent en
      retard....

          Ce jour-là, Eva se sent de plus en plus mal entre les imperméables humides, les parapluies
      dégoulinants. Son coeur cogne douloureusement et elle plisse les yeux afin de découvrir, à
      l'autre bout de la rue, la seule présence qui lui importe. Non ! Rien que des silhouettes qui
      s'éloignent. Aucune dame qui pourrait être maman ne vient par ici. Le silence comme une
5    brume qui s'épaissit. La porte de l'école est close, et comme Eva n'a rien osé demander à la
      dame en blouse bleue, elle ne peut que s'abriter sous le porche. Nerveusement, elle se hausse
      sur la pointe des pieds et commence à remuer comme une bête affolée. Elle s'accroupit,
      grenouille triste, résignée, grenouille écarlate(1). Elle soupire, se redresse, se gratte la cheville.
      Elle sait qu'elle connaît très mal l'itinéraire entre l'école et l'appartement qui n'est pas très
10   proche. Un appartement où sa mère et elle n'habitent que depuis deux mois.
          Les yeux noirs d'Eva scrutent de plus en plus vite toutes les directions.
          Cette fois, elle a entendu sa propre voix prononcer "maman". Toute personne qui
      approche se révèle insupportablement étrangère. C'est elle là-bas ! Non ce n'est pas elle !
          Détresse sur ce trottoir hostile, avec cette fissure pleine d'eau dans l'asphalte et ce journal
15   trempé, froissé, au bord du caniveau. Sensation confuse de n'être plus rien, d'être invisible.
          Brutalement, la petite s'arrache au mur auquel elle était adossée et part en courant. Eva, si
      maigre, si peu résistante, court à travers la ville avec ce cartable bourré de livres qui lui frappe
      les reins. Les trottoirs sont glissants. Les feux des voitures font de grandes étoiles rouges dans
      ses yeux inondés de larmes. Tout est brouillé. Sans le vacarme de la ville, on pourrait entendre
20   la plainte qui coule de sa gorge tandis qu'elle traverse, sans ralentir, sans regarder à droite ni
      à gauche, une rue puis deux, puis trois ou quatre, au hasard.
          Eva court au-delà de ses forces, le souffle lui manque. Gorge brûlante, jambes
      douloureuses, et ce cartable si lourd qui la ralentit, qu'elle voudrait jeter par terre mais dont la
      perte l'affolerait davantage encore.
25        L'accident n'est toujours pas arrivé. Il s'en faudrait d'un rien pour qu'il ne se produise
      pas. Eva pourrait suivre miraculeusement le bon itinéraire, s'effondrer de fatigue sur le seuil
      d'une boutique jusqu'à ce qu'un passant lui demande : "Tu t'es perdue ?" Mais rien de tout
      cela n'arrive et la pluie froide achève de dissoudre les chances.
          Eva file sur sa petite trajectoire d'abandon, ignorant qu'au même instant sa mère, qui s'est
30   administré une forte dose d'oubli solitaire, une grande rasade(2) d'indifférence pure, fonce
      pourtant vers elle. Mais elle est encore bien trop loin pour arriver à temps à la sortie de
      l'école.

Pierre Peju, La petite Chartreuse, Gallimard, 2002

(1) : La fillette porte un anorak rouge.
(2) : rasade : quantité de boisson contenue dans un verre plein jusqu'au bord.

QUESTIONS (15 points)

I - Un monde hostile (4 points)

1.
a.
Qui les expressions "imperméables humides", "parapluies dégoulinants" (l. 1 et 2) et "silhouettes" (l. 3) désignent-elles ? (0,5 point)
b. Quelle impression produisent ces désignations ? (0,5 point)

2. "Sans le vacarme de la ville, on pourrait entendre la plainte qui coule de sa gorge" (l. 19-20).
a. Remplacez le groupe nominal prépositionnel par une subordonnée de même sens. (0,5 point)
b. Donnez la classe et la fonction grammaticales de cette subordonnée. (1 point)

3. l. 1-21.
a. Relevez les mots ou expressions qui caractérisent la porte de l'école, l'appartement, le trottoir et les trottoirs. (1 point)
b. Quel est l'effet produit ? (0,5 point)

II - Un être en danger (6 points)

1. "Le silence comme une brume qui s'épaissit" (l. 4 et 5)
a. Quelle est la figure de style ici utilisée ? (0,5 point)
b. Quels sont, parmi les cinq sens, ceux qui sont évoqués ici ? (0,5 point)
c. Expliquez le lien établi entre eux dans la figure que vous venez de nommer. (0,5 point)

2. l.11 à 15. Relevez deux adjectifs qui montrent qu' Eva est ignorée des gens qui l'entourent. (0,5 point)

3. "Aucune dame qui pourrait être maman ne vient par ici." (l. 4).
a. De qui cette phrase retranscrit-elle les pensées ? (0,5 point)
b. Relevez un autre emploi du discours indirect libre plus loin dans le texte. (0,5 point)

4.
a.
"grenouille triste", "grenouille écarlate" (l. 8), donnez la classe et la fonction grammaticales de ces groupes de mots. (1 point)
b. Vous expliquerez le sens de ces deux groupes de mots. (1 point)

5. "Gorge brûlante, jambes douloureuses, et ce cartable si lourd qui la ralentit, qu'elle voudrait jeter par terre mais dont la perte l'affolerait davantage encore." (l. 22 à 24).
a. Nommez la particularité grammaticale de cette phrase. (0,5 point)
b. Quel est l'effet produit ? (0,5 point)

III - Vers une fin annoncée ? (5 points)

1. Eva ressent physiquement la montée de l'angoisse. Citez trois expressions qui l'expriment de la l.18 à la l.24. (0,5 point)

2.
a.
Dans l'avant-dernier paragraphe, l. 25 à 28, justifiez l'emploi des conditionnels simples. (1 point)
b. Quel adverbe souligne la valeur de ces conditionnels ? (0,5 point)
c. Expliquez la formation de cet adverbe. (0,5 point)

3. En tenant compte des deux questions précédentes, d'après vous, l'accident va-t-il se produire ? Justifiez votre réponse. (1 point)

4. Qui le dernier pronom "elle" du texte représente-t-il ? (0,5 point)

5. Comment comprenez-vous l'expression "trajectoire d'abandon" ? (1 point)

REECRITURE (3 points)

"L'accident n'est toujours pas arrivé. Il s'en faudrait d'un rien pour qu'il ne se produise pas. Eva pourrait suivre miraculeusement le bon itinéraire, s'effondrer de fatigue sur le seuil d'une boutique jusqu'à ce qu'un passant lui demande : "Tu t'es perdue ?" Mais rien de tout cela n'arrive et la pluie froide achève de dissoudre les chances".

Vous réécrirez tout ce passage au passé en respectant la concordance des temps, et en remplaçant "se produire" par "avoir lieu" et "demander" par "dire".
 

LE CORRIGÉ


QUESTIONS (15 points)

I - Un monde hostile (4 points)

1.a. Qui les expressions "imperméables humides", "parapluies dégoulinants" (l. 1 et 2) et "silhouettes" (l. 3) désignent-elles ? (0,5 point)

Les expressions "imperméables humides", "parapluies dégoulinants" et "silhouettes" désignent les passants, les badauds, les parents des autres enfants qui ne voient pas Eva.

1.b. Quelle impression produisent ces désignations ? (0,5 point)

Ces désignations donnent l'impression d'une foule indifférente, indifférenciée.
Eva, elle non plus, ne voit pas les autres qui ne sont plus que des "silhouettes" et ne sont décrits qu'à travers leurs objets et leurs vêtements : "imperméables", "parapluies".
La pluie augmente l'impression de solitude et de détresse, évoque les larmes d'Eva : "humides", "dégoulinants".

2. "Sans le vacarme de la ville, on pourrait entendre la plainte qui coule de sa gorge" (l. 19-20).
2.a. Remplacez le groupe nominal prépositionnel par une subordonnée de même sens. (0,5 point)

Le groupe nominal prépositionnel "sans le vacarme de la ville" peut être remplacé par la subordonnée : " S'il n'y avait pas le vacarme de la ville".

2.b. Donnez la classe et la fonction grammaticales de cette subordonnée. (1 point)

Cette subordonnée est une conjonctive circonstancielle de condition. Elle est complément circonstanciel de condition du verbe de la principale : "pourrait".

3. l. 1-21.
3.a. Relevez les mots ou expressions qui caractérisent la porte de l'école, l'appartement, le trottoir et les trottoirs. (1 point)

Mots et expressions qui caractérisent la porte de l'école:
"close".

Mots et expressions qui caractérisent l'appartement :
"pas très proche", "elles n'habitent que depuis deux mois".

Mots et expressions qui caractérisent le trottoir et les trottoirs :
"l'autre bout de la rue", "trottoir hostile", "fissure pleine d'eau dans l'asphalte"; "les trottoirs sont glissants".

3.b. Quel est l'effet produit ? (0,5 point)

L'effet produit par l'emploi de ces termes est l'insistance sur la solitude de la petite fille, perdue, "abandonnée, oubliée" "au milieu de la ville hostile et dangereuse".

 

II - Un être en danger (6 points)

1. "Le silence comme une brume qui s'épaissit" (l. 4 et 5)
1.a. Quelle est la figure de style ici utilisée ? (0,5 point)

"Le silence comme une brume qui s'épaissit" est une comparaison.

1.b. Quels sont, parmi les cinq sens, ceux qui sont évoqués ici ? (0,5 point)

L'ouïe et la vue sont les deux sens évoqués ici.

1.c. Expliquez le lien établi entre eux dans la figure que vous venez de nommer. (0,5 point)

Le silence (du domaine de l'ouïe) est comparé à une "brume" (du domaine de la vue). En somme, le silence s'efface et se transforme en brume, vision vague et trouble. Cette comparaison appuie donc l'impression de "flou" que ressent Eva.

2. l.11 à 15. Relevez deux adjectifs qui montrent qu' Eva est ignorée des gens qui l'entourent. (0,5 point)

"Etrangère" et "invisible" sont deux adjectifs qui montrent qu'Eva est ignorée des gens qui l'entourent.

3. "Aucune dame qui pourrait être maman ne vient par ici." (l. 4).
3.a. De qui cette phrase retranscrit-elle les pensées ? (0,5 point)

"Aucune dame qui pourrait être maman ne vient par ici" retranscrit les pensées d'Eva.

3.b. Relevez un autre emploi du discours indirect libre plus loin dans le texte. (0,5 point)

Un autre emploi du discours indirect libre : "C'est elle là-bas.! Non, ce n'est pas elle !"

4.a. "grenouille triste", "grenouille écarlate" (l. 8), donnez la classe et la fonction grammaticales de ces groupes de mots. (1 point)

"grenouille triste" et "grenouille écarlate" sont des groupes nominaux mis en apposition au pronom personnel "elle".

4.b. Vous expliquerez le sens de ces deux groupes de mots. (1 point)

Eva est "une grenouille triste" car elle s'est accroupie sur le trottoir, souffre de solitude et se croit oubliée, abandonnée.

C'est "une grenouille écarlate" parce qu'elle porte un anorak rouge. De plus, on évoque souvent les grenouilles pour décrire un temps pluvieux.

5. "Gorge brûlante, jambes douloureuses, et ce cartable si lourd qui la ralentit, qu'elle voudrait jeter par terre mais dont la perte l'affolerait davantage encore." (l. 22 à 24).
5.a. Nommez la particularité grammaticale de cette phrase. (0,5 point)

Dans la phrase : " Gorge brûlante, jambes douloureuses, et ce cartable si lourd qui la ralentit, qu'elle voudrait jeter par terre mais dont la perte l'affolerait davantage encore." présente la particularité grammaticale de ne pas contenir de proposition principale (ellipse du verbe) et trois subordonnées relatives, complément de l'antécédent "cartable".

5.b. Quel est l'effet produit ? (0,5 point)

L'effet produit ainsi est un effet d'insistance sur le cartable et son poids démesuré. La phrase est "lourde" comme cet objet qui l'encombre dans sa course.

 

III - Vers une fin annoncée ( 5 points)

1. Eva ressent physiquement la montée de l'angoisse. Citez trois expressions qui l'expriment de la l.18 à la l.24. (0,5 point)

Voici des expressions qui décrivent la montée de l'angoisse, ressentie physiquement :
"ses yeux inondés de larmes", "Tout est brouillé", "la plainte qui coule de sa gorge", "au-delà de ses forces", "le souffle lui manque", "Gorge brûlante, jambes douloureuses".

2.a. Dans l'avant-dernier paragraphe, l. 25 à 28, justifiez l'emploi des conditionnels simples. (1 point)

L'auteur emploie des conditionnels (faudrait, pourrait) car il décrit dans ce paragraphe le danger que court Eva. C'est un danger potentiel mais qui n'aboutira pas à un accident.

2.b. Quel adverbe souligne la valeur de ces conditionnels ? (0,5 point)

L'adverbe "miraculeusement" souligne la valeur de ces conditionnels.

2.c. Expliquez la formation de cet adverbe. (0,5 point)

Formation de cet adverbe : radical de l'adjectif au féminin singulier "miraculeuse" plus suffixe adverbial "-ment".

3. En tenant compte des deux questions précédentes, d'après vous, l'accident va-t-il se produire ? Justifiez votre réponse. (1 point)

"Aucune dame qui pourrait être maman ne vient par ici." (l. 4).
L'accident va sans doute se produire.
L'auteur dit : " l'accident n'est toujours pas arrivé. Il s'en faudrait d'un rien pour qu'il ne se produise pas", "Eva pourrait suivre miraculeusement le bon itinéraire", "mais rien de tout cela n'arrive", "dissoudre les chances", "Mais elle est encore bien trop loin pour arriver à temps à la sortie de l'école".

4. Qui le dernier pronom "elle" du texte représente-t-il ? (0,5 point)

Le dernier pronom "elle" représente la mère d'Eva.

5. Comment comprenez-vous l'expression "trajectoire d'abandon" ? (1 point)

Par l'expression "trajectoire d'abandon", l'auteur illustre le fait que dans son trajet désordonné pour regagner l'appartement, Eva se perd, s'éloigne de sa mère qui s'approche de l'école. Se croyant abandonnée, oubliée par sa mère, elle se projette dans l'aventure et se met en danger.

REECRITURE (3 points)

"L'accident n'est toujours pas arrivé. Il s'en faudrait d'un rien pour qu'il ne se produise pas. Eva pourrait suivre miraculeusement le bon itinéraire, s'effondrer de fatigue sur le seuil d'une boutique jusqu'à ce qu'un passant lui demande: "Tu t'es perdue?". Mais rien de tout cela n'arrive et la pluie froide achève de dissoudre les chances".

Vous réécrirez tout ce passage au passé en respectant la concordance des temps, et en remplaçant "se produire" par "avoir lieu" et "demander" par "dire".

"L'accident n'était toujours pas arrivé. Il s'en aurait fallu d'un rien pour qu'il n'eût pas lieu. Eva aurait pu suivre miraculeusement le bon itinéraire, s'effondrer de fatigue sur le seuil d'une boutique jusqu'à ce qu'un passant lui dît : "Tu t'es perdue ?" Mais rien de tout cela n'arrivait et la pluie froide achevait de dissoudre les chances"
 

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