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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Romain Gary

Le sujet  1999 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

(Dans ce roman autobiographique, le narrateur se revoit, à l'âge de neuf ans à peine, alors qu'il vient de tomber éperdument amoureux, pour la première fois de sa vie, d'une voisine âgée de huit ans)

Absolument résolu à la séduire immédiatement et pour toujours, de façon qu'il n'y eût plus jamais de place pour un autre homme dans sa vie, je fis comme ma mère me l'avait dit et, m'appuyant négligemment contre les bûches, je levai les yeux vers la lumière pour la subjuguer. Mais Valentine n'était pas femme à se laisser impressionner. Je restai là, les yeux levés vers le soleil, jusqu'à ce que mon visage ruisselât de larmes, mais la cruelle, pendant tout ce temps-là, continua à jouer avec sa balle, sans paraître le moins du monde intéressée.

Les yeux me sortaient de la tête, tout devenait feu et flamme autour de moi, mais Valentine ne m'accordait même pas un regard. Complètement décontenancé par cette indifférence, alors que tant de belles dames, dans le salon de ma mère, s'étaient dûment extasiées devant mes yeux bleus, à demi aveugle et ayant ainsi, du premier coup, épuisé, pour ainsi dire, mes munitions, j'essuyai mes larmes et, capitulant sans conditions, je lui tendis les trois pommes vertes que je venais de voler dans le verger.

Elle les accepta et m'annonça, comme en passant :

- Janek a mangé pour moi toute sa collection de timbres-poste.

C'est ainsi que mon martyre commença. Au cours des jours qui suivirent, je mangeai pour Valentine plusieurs poignées de vers de terre, un grand nombre de papillons, un kilo de cerises avec les noyaux, une souris, et, pour finir, je peux dire qu'à neuf ans, c'est-à-dire bien plus jeune que Casanova (1), je pris place parmi les plus grands amants de tous les temps, en accomplissant une prouesse amoureuse que personne, à ma connaissance, n'est jamais venu égaler. Je mangeai pour ma bien-aimée un soulier en caoutchouc.

Romain GARY, La Promesse de l'aube, Gallimard, 1960.


(1) séducteur italien réputé pour ses conquêtes, sorte de Don Juan.

 

I - GRAMMAIRE

1) De "Complètement" à "verger"
Relevez les quatre groupes adjectifs ou participes qui caractérisent le narrateur.
Quelle remarque pouvez-vous faire sur l'ordre dans lequel ils sont présentés ?
Quelle image donnent-ils du narrateur ?

2) De "Absolument résolu" à "impressionner"
Relevez et identifiez les deux façons différentes d'exprimer le but. Que révèlent-elles sur la personnalité du narrateur ?

3) Justifiez l'emploi du présent "je peux dire..." dans le dernier paragraphe.

 

II - VOCABULAIRE

1) Comment est formé le mot "décontenancé" ? Nommez les différents éléments qui le composent et, en partant d'eux, expliquez le sens du mot.

2) Soit l'expression "ayant... épuisé... mes munitions" : expliquez son sens dans le texte.
Comment s'appelle cette figure de style ?

3) Comment comprenez-vous la formule "comme en passant" ?
Que veut-elle montrer ?

 

III - COMPREHENSION

1) Dans un paragraphe structuré, justifiez l'emploi du mot "martyre".

2) Le narrateur vous semble-t-il ridicule ?
Rédigez votre réponse en vous appuyant sur le texte.

3) Sur quel ton le narrateur évoque-t-il cette scène ?
Rédigez votre réponse en citant quelques expressions du texte.

LE CORRIGÉ

I - GRAMMAIRE

1) Les quatre groupes adjectifs ou participes qui caractérisent le narrateur sont :

"complètement décontenancé, à demi aveugle, ayant épuisé, capitulant".

L'ordre dans lequel ils sont présentés montre la réaction progressive du narrateur : confondu par l'attitude de Valentine, faussement indifférente ; son incapacité à réagir, l'insuffisance de sa repartie ; sa défaite exprimée par le don dérisoire des "trois pommes vertes".
Cela donne l'image d'un narrateur vulnérable vis-à-vis de Valentine qui, par son indifférence jouée, l'amène très facilement à la capitulation, soit à l'aveu de son amour.
Il dit d'ailleurs un peu plus haut dans le texte que : "Valentine n'était pas femme à se laisser impressionner", ce qui est amusant concernant une enfant de neuf ans.

2) Le but est exprimé par une proposition subordonnée conjonctive finale : "de façon qu'il n'y eût plus jamais de place pour un autre homme dans sa vie". Il est aussi exprimé par un infinitif complément circonstanciel de but : "pour la subjuguer".
Cela montre le caractère exclusif du narrateur, qui veut éliminer tout homme de la vie de Valentine. Sa position est conquérante et il se croit d'avance vainqueur. Il est trop sûr de lui.
Il voudrait instaurer une relation dominant-dominée mais il va vite déchanter.

3) "Je peux dire" est un présent d'énonciation qui transcrit la pensée de l'auteur adulte au moment où il rédige ce texte autobiographique.

 

II - VOCABULAIRE

1) "Décontenancé" comporte un radical, "contenance", et un préfixe privatif, "dé-".
Le sens de l'adjectif est donc : celui qui a perdu contenance, perplexe, désemparé.

2) "Ayant épuisé mes munitions" montre que Romain Gary a utilisé toutes ses ressources (séduction, larmes, silence...) pour susciter l'attention de Valentine, qui reste indifférente.
Appartenant au champ lexical de la guerre, cette expression montre l'attitude offensive de Romain à l'égard de la fillette, comme dans un combat.
Il s'agit d'une métaphore.

3) "Comme en passant" évoque l'indifférence de Valentine, qui semble ne porter aucun intérêt véritable à Romain ni à l'information qu'elle va lui donner.
Elle fait comme si "ce n'était pas son problème", jouant les coquettes et excitant sa jalousie.

 

III - COMPREHENSION

1) L'emploi du mot "martyre" se justifie par l'énumération des supplices que Romain va endurer :

"Il va manger plusieurs poignées de vers de terre, des papillons, des cerises avec les noyaux, une souris, un soulier en caoutchouc".

Tel un chevalier de l'amour courtois, Romain s'impose des épreuves pour prouver sa flamme à sa belle.

2) Le narrateur n'est pas vraiment ridicule. Il est amoureux et cela le mène à des comportements peu raisonnables.
Il est aliéné par ce premier amour dans lequel il s'oublie et perd un peu de sa personnalité.
Tout cela est sans doute la conséquence de son impatience et de son manque d'expérience :

"la séduire immédiatement, la subjuguer, tout devenait feu et flamme autour de moi, mes larmes, bien plus jeune que Casanova, prouesse amoureuse".

3) Le narrateur évoque cette scène sur un ton satirique.
Il se moque un peu de lui-même et des débutants en amour, décrivant les excès auxquels peut mener une passion naissante.
Il ironise sur l'aveuglement et les actions déraisonnables que peut engendrer l'amour, ou ce qu'il croyait être l'Amour éternel, alors qu'il "lutte" contre une jeune coquette.

"immédiatement et pour toujours, je fis comme ma mère me l'avait dit, négligemment, pas femme à se laisser impressionner, la cruelle, capitulant sans conditions, martyre, prouesse amoureuse".

Tout le récit est teinté d'une tendresse nostalgique à l'évocation de ces moments pleins de candeur.

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