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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Claude Seignolle

Le sujet  2003 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

Les Cévennes, automne 1828. Le narrateur, un officier, est surpris par la nuit et l'orage. Une menace étrange fait s'enfuir sa jument, et lui-même se précipite vers le premier refuge venu...

C'était une auberge. J'entrai. Personne ne s'y trouvait. Seule l'odeur du temps pourrissait là, tenace et pernicieuse.
J'appelai et tapai du poing sur une table bancale qui faillit s'effondrer sous mes coups. L'aubergiste devait être au cellier ou dans une des chambres de l'étage. Mais, malgré mon tapage, on ne se montra pas. J'étais seul, tressaillant d'attente, devant un âtre vide inutilisé depuis bien longtemps, à en juger par les toiles d'araignées qui bouchaient la cheminée. Quant à la longue chandelle, allumée depuis peu, et soudée à une étagère, sa présence, au lieu de me rassurer, me remplit plus d'inquiétude que si je n'avais trouvé en cet endroit que la nuit et l'abandon.
Je cherchai un flacon d'eau-de-vie afin de me réconforter et chasser la crainte qui me retenait d'aller visiter les autres pièces de cette étrange auberge. Mais les bouteilles qui gisaient là, poussiéreuses, avaient depuis longtemps rendu l'âme. Toutes, de formes anciennes, étaient vides, les années assoiffées ayant effacé jusqu'aux traces des boissons qu'elles avaient contenues.
Tout était si singulier qu'attentif au moindre bruit, je me questionnai sur l'étrangeté des lieux. Du bois sec traînait. Je le rassemblai dans le foyer, sur un lit d'herbes sèches trouvées sans peine, et, frottant mon briquet épargné par la pluie, j'en tirai des flammes rassurantes.
Rencogné près de la cheminée, je me tendis à la chaleur, bien décidé à brûler le mobilier pour garder jusqu'à l'aube cette réconfortante compagnie. Les bouffées de résine me furent aussi revigorantes que des goulées d'alcool pur, mais, pensant à la perte de ma jument, je fus pris de tristesse, ne comptant plus que sur son instinct de bête pour qu'elle me revînt.
Tout à coup un insidieux frisson me traversa, semblable à celui ressenti dehors et qui m'avait chassé jusqu'ici. "On" se trouvait à nouveau là, tout proche !
Les murs avaient beau me protéger de trois côtés ; éclairé par le foyer craquant, j'étais visible et vulnérable. On pouvait m'atteindre de face, en tirant de loin, à plomb. Je me dressai, les muscles prêts à une nouvelle fuite.
Mais mon anxiété fit place à une vive angoisse qui m'oppressa jusqu'à m'étouffer. Maintenant "on" entourait l'auberge et, impitoyables dans leurs mystérieux desseins, d'invisibles regards, que je percevais, me fixaient par la fenêtre sans volets. "On" était attentif à ma personne et cela avec une telle violence que je suais, subitement terrifié.

Claude Seignolle, L'Auberge du Larzac, édition Phébus Libretto, 1967.

Questions

I - LA PRESENTATION DES LIEUX

1. Relevez, de la ligne 1 jusqu'à flammes rassurantes, au moins trois expressions qui caractérisent l'atmosphère de l'auberge. Quelle impression en retirez vous ?

2. Quelle est l'unique trace de vie présente dans l'auberge? Cette trace apporte-elle un réconfort au narrateur ? Pourquoi ?

3. Mais les bouteilles qui gisaient là, poussiéreuses, avaient depuis longtemps rendu l'âme. Quelle est la figure de style employée ici? Trouvez un autre exemple dans le même paragraphe. Quel effet cette figure de style produit-elle ?

II - LA PROGRESSION DU RECIT

1. Par quel connecteur temporel l'action s'enclenche-t-elle? Quel intérêt présentent les informations données par le narrateur jusqu'à ce moment du texte ?

2. Qui le pronom on, représente-t-il dans la phrase: On ne se montra pas. ? dans la phrase: "On" se trouvait à nouveau là, tout proche. ? Pourquoi ce mot est-il entre guillemets ?

3. Relevez dans le texte quatre noms appartenant au champ lexical de la peur. Ces mots sont-ils parfaitement synonymes? Quel effet l'auteur a-t-il voulu produire en les employant dans l'ordre où ils apparaissent ?

III - L'EXPRESSION DE LA PEUR

1. Relevez dans le premier paragraphe un indice grammatical révélant l'implication du narrateur dans le récit, puis un deuxième indice, différent, dans le dernier paragraphe.
Quel effet cette présence constante du narrateur a-t-elle sur le lecteur ?

2. Impitoyables, invisibles.
Comment sont formés ces adjectifs? Quel est leur sens ?
Qu'en déduisez-vous sur la situation du narrateur ?

3. Quels sont les effets physiques de la peur sur le personnage ? Appuyez votre réponse sur des citations du texte.

4. A quel genre de nouvelle cet extrait appartient-il? Qu'est-ce qui vous permet de le dire ?

REECRITURE

"Tout à coup un insidieux frisson me traversa, semblable à celui ressenti dehors et qui m'avait chassé jusqu'ici. "On" se trouvait à nouveau là, tout proche !
Les murs avaient beau me protéger de trois côtés ; éclairé par le foyer craquant, j'étais visible et vulnérable. On pouvait m'atteindre de face, en tirant de loin, à plomb. Je me dressai, les muscles prêts à une nouvelle fuite."

Réécrivez ce passage en imaginant que le narrateur est accompagné d'un ami et en opérant les transformations nécessaires.

Attention : les fautes de copies seront sanctionnées.

LE CORRIGÉ

I - QUELLE ANALYSE POUR CE SUJET ?

Les questions devaient permettre aux candidats d'avancer peu à peu dans l'identification d'une nouvelle fantastique.
Techniquement aucune des questions ne posait véritablement problème. Il s'agit bien de repérer des éléments que les connaissances acquises au collège peuvent permettre de trouver.
Mais outre ces connaissances de base exigées, il s'agit tout de même d'être attentif, de bien lire le texte, de prendre le temps de répondre aux questions et de bien les rédiger, sans commettre d'erreurs d'inattention et en s'exprimant correctement.

II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Un sujet plutôt rassurant pour les élèves, sans difficulté, si ce n'est pour certains, celle du temps nécessaire pour répondre de manière correcte aux questions.

III - LES QUESTIONS (15 points)

A - LA PRESENTATION DES LIEUX (5 points)

1. (2 points)
-Les expressions qui caractérisent l'atmosphère de l'auberge (on vous en demandait au moins trois) :
"l'odeur du temps pourrissait, tenace et pernicieuse", une table bancale", âtre vide et inutilisé", "toiles d'araignées", "longue chandelle... soudée à une étagère", "cette étrange auberge", "bouteilles qui gisaient là, poussiéreuses", "tout était si singulier", "l'étrangeté des lieux".
L'impression produite est celle d'un lieu à l'abandon, sale, inquiétant, étrange, menaçant par le silence qui y règne.
En effet, on peut supposer une présence grâce à l'indice de "la chandelle allumée depuis peu".

2. (1,5 point)
L'unique trace de vie présente dans l'auberge est justement cette "chandelle allumée depuis peu et soudée à une étagère".
Cette lumière aurait pu être réconfortante mais elle ne l'est pas parce qu'elle contraste avec l'état de désolation général de cette auberge, dont la cheminée n'a pas servi depuis longtemps et dont les bouteilles sont toutes vides. Elle est aussi inquiétante, parce qu'il n'est pas possible d'identifier celui qui l'a allumée.
Quelqu'un est donc entré dans l'auberge et se trouve peut-être tout proche.
Cette trace n'apporte aucun réconfort au narrateur, bien au contraire : son inquiétude, son sentiment d'insécurité sont accentués : " sa présence, au lieu de me rassurer, me remplit plus d'inquiétude que si je n'avais trouvé en cet endroit que la nuit et l'abandon"

3. (1,5 point)
La figure de style employée ici est une image, ou plus précisément une personnification, procédé consistant à faire parler des animaux ou des choses ou à en parler comme s'il s'agissait de personnes.
Les bouteilles "ont rendu l'âme" comme on le dirait d'un mort.
Dans le même paragraphe, la personnification s'applique aux années: "les années assoiffées ayant effacé jusqu'aux traces des boissons qu'elles avaient contenues".

B - LA PROGRESSION DU RECIT (5 points)

1. (1,5 point)
L'action s'enclenche avec le connecteur temporel : "tout à coup".
Les informations données par le narrateur jusqu'à ce moment du texte présentent l'intérêt de créer un climat de malaise, d'inquiétude. Le narrateur sent un danger proche, une présence menaçante.
"Tout à coup", il a la certitude qu' "On se trouvait à nouveau là, tout proche !"
Le narrateur éprouve physiquement la peur : "un insidieux frisson me traversa".
La mise en suspens provoque la curiosité du lecteur :
Qui est ce mystérieux "On". Que va-t-il se produire ?

2. (1,5 point)
Le "on" d' "on ne se montra pas" représente les habitants que le narrateur pensait trouver dans l'auberge. Donc, une présence éventuellement réconfortante, des gens qui pourraient lui offrir l'hospitalité, le réconforter au moment où il a perdu sa jument, se retrouve dans la nuit et dans l'orage.
Le "on" d' "On se trouvait à nouveau là, tout proche" évoque un ou plusieurs individus qui menacent, qui représentent un danger, puisqu'ils ne veulent pas être vus. Autrement, ils se seraient manifestés dès l'arrivée du narrateur.
Il est mis entre guillemets comme pour donner une identité à cet inconnu ou ces inconnus menaçants.
C'est une façon pour le narrateur de personnifier, de donner un "nom" au danger qui rode.

3. (2 points)
Voici quatre noms appartenant au champ lexical de la peur :
"inquiétude, crainte, anxiété, angoisse"
Ces mots ne sont pas parfaitement synonymes.
Ils indiquent les différents degrés de peur ressentie par le narrateur. C'est une gradation, puisque l'on passe de l'inquiétude, simple appréhension, à l'angoisse, proche de la peur panique.
L'auteur a voulu produire un effet de suspens, en intensifiant la peur du narrateur et provoquant la curiosité grandissante du lecteur.

C - L'EXPRESSION DE LA PEUR (5 POINTS) :

1. (1 point)
Le premier indice grammatical est le pronom personnel sujet "je". Le narrateur est dans un premier temps actif.
Le deuxième indice grammatical est le pronom personnel complément "me" ou "m'" : "qui m'oppressa" ; "me fixaient". Contrairement au début du texte, le narrateur est cette fois envisagé comme passif, comme subissant "d'invisibles regards".
L'impression est d'autant plus inquiétante que l'origine des regards est attribuée à un "on" dont le narrateur sans la présence obsédante, sans pouvoir l'identifier.

2. (1,5 point)
Les adjectifs "impitoyables" et "invisibles" sont tous deux formés à l'aide du préfixe privatif (ou négatif) "in- " :
"Impitoyable" : qui signifie "qui n'est pas capable de ressentir de la pitié".
"invisible" : qui signifie "qui n'est pas capable d'être vu".
On peut en déduire que le narrateur se sent visiblement pris au piège, il ne peut pas voir qui va l'attaquer, et sent que celui ou ceux qui vont l'attaquer ne lui laisseront aucune chance.

3. (1 point)
Les effets physiques de la peur sur le narrateur sont clairement évoqués, et font l'objet d'une gradation :
a) Les tremblements d'abord sous l'effet de l'espoir, puis sous l'effet de la peur : "tressaillant d'attente" ; "un insidieux frisson me traversa" ;
b) La tension du corps prêt à fuir : "je me dressai, les muscles prêts..." ;
c) La sensation d'étouffement sous l'effet de l'angoisse : "une vive angoisse qui m'oppressa jusqu'à m'étouffer" ;
d) La transpiration : "je suais, subitement terrifié".

4. (1,5 point)
Ce genre de nouvelles appartient visiblement au genre fantastique. Ce dernier est caractérisé par le surgissement dans un cadre réaliste, d'un événement étrange qui étonne le narrateur ("la chandelle", et la sensation d'une présence). Cet étonnement amène le narrateur à se questionner, et faute d'explication logique, il est en proie à une peur qui croît à mesure que l'attente progresse.
L'étrange et la peur, dans un lieu sinistre sont donc des lieux communs de la nouvelle fantastique et préludent à l'événement "irréel" attendu. Cette attente peut être comblée ou déçue.

REECRITURE (4 points)

Voici le passage réécrit avec les transformations nécessaires si l'on imagine que le narrateur est accompagné d'un ami (passage à la première personne du pluriel).

"Tout à coup un insidieux frisson nous traversa, semblable à celui ressenti dehors et qui nous avait chassés jusqu'ici. "On" se trouvait à nouveau là, tout proche !
Les murs avaient beau nous protéger de trois côtés; éclairés par le foyer craquant, nous étions visibles et vulnérables. On pouvait nous atteindre de face, en tirant de loin, à plomb. Nous nous dressâmes, les muscles prêts à une nouvelle fuite."

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