Le sujet 2005 - Bac 1ère ES - Français - Questions |
Après avoir pris connaissance de l'ensemble des textes, vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points) :
Quelle est la conception de la poésie qui s'exprime dans chacun de ces textes ?
Texte A - Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674)
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Surtout qu'en vos écrits la langue révérée |
(1) : "barbarisme", "solécisme" : incorrections.
Texte B - Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856)
Réponse à un acte d'accusation
Hugo rejette ici les normes classiques qui imposent leurs interdits au théâtre et en poésie.
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Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ; |
(1) : Personnages de tragédies.
(2) : L'absence de la lettre "s" est volontaire.
(3) : Inquiétants.
(4) : Vaugelas : autour des Remarques sur la langue française ( 1647), il y codifie la langue selon l'usage de l'élite.
(5) : L'Académie Française, garante des règles ; "douairière" : vieille femme.
(6) : Figures de style.
(7) : Aristote, philosophe grec, avait codifié les genres et les styles.
(8) : Peuples considérés ici comme barbares.
Texte C - Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, dite "du voyant" (Charleville, 15 mai 1871)
Trouver une langue ;
-Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra ! II faut être
académicien, -plus mort qu'un fossile, -pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que
ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l'alphabet, qui pourraient
5 vite ruer dans la folie !-
Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la
pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d'inconnu s'éveillant en
son temps dans l'âme universelle : il donnerait plus -que la formule de sa pensée, que la
notation de sa marche au Progrès ! Enormité devenant norme absorbée par tous, il serait
10 vraiment un multiplicateur de progrès !
Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez. -Toujours pleins du Nombre et de
l'Harmonie, ces poèmes seront faits pour rester. -Au fond, ce serait encore un peu la Poésie
grecque.
L'art éternel aurait ses fonctions, comme les poètes sont citoyens. La poésie ne
15 rythmera plus l'action ; elle sera en avant.
Ces poètes seront ! Quand sera brisé l'infini servage de la femme, quand elle vivra
pour elle et par elle, l'homme -jusqu'ici abominable, -lui ayant donné son renvoi, elle sera
poète, elle aussi ! La femme trouvera de l'inconnu ! Ses mondes d'idées différeront-ils des
nôtres ? -Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les
20 prendrons, nous les comprendrons.
En attendant, demandons aux poètes du nouveau, -idées et formes.
I - L'ANALYSE DU SUJET
Chacun des textes proposés constitue un art poétique, c'est-à-dire un texte dans lequel l'auteur nous éclaire sur sa vision de la poésie. Car tout poète, en écrivant, met en œuvre une certaine conception de la poésie.
II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR
Les trois textes, assez difficiles d'accès (surtout celui de Rimbaud) demandaient une lecture approfondie, minutieuse, de façon à ne pas commettre de contresens.
L'intérêt de ce groupement est de donner un aperçu de trois conceptions de la poésie : celle du XVIIe siècle avec Boileau et le Classicisme, du XIXe siècle avec Hugo et le Romantisme, Rimbaud et l'Art nouveau.
Il était intéressant d'analyser l'évolution dans le choix des normes et des thèmes.
Le choix du texte de Boileau n'est pas étonnant, il est très célèbre et ne manque pas d'apparaître dans une étude sur la poésie.
III - UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET
A - PREMIER TEXTE : "L'ART POETIQUE" DE NICOLAS BOILEAU
L'ensemble des conseils donnés par Boileau aux poètes va dans le même sens : Il faut se méfier de l'inspiration et de l'esprit "car l'auteur le plus divin / Est toujours [...] un méchant écrivain", de l'abondance et de la vitesse, "ne pas se piquer d'une folle vitesse", pour privilégier, la correction de la langue, la rigueur de la composition et parvenir à "un seul tout de diverses parties". Cette exigence ne peut s'obtenir qu'au prix d'un travail méthodique, lent et conscient. Cela suppose que le poète applique son sens critique en permanence à son travail, et qu'il soit pour lui-même "un sévère critique".
B - DEUXIEME TEXTE : "LES CONTEMPLATIONS" DE VICTOR HUGO
Victor Hugo ne donne pas directement de conseils aux poètes. Il fait le récit d'une révolution poétique dont il est l'auteur. "Je fis souffler un vent révolutionnaire" affirme-t-il. Et ainsi il s'offre en exemple aux générations de poètes à venir, en les invitant par la question finale "Pourquoi pas ?" à oser à leur tour. Ce texte ne reflète pas toute sa conception de la poésie, et se contente d'aborder un point précis, la question du vocabulaire : "Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire".
Sa conception peut être schématisée en ces termes: les auteurs classiques, Racine et Corneille, par exemple, ont considéré qu'il existait des mots "nobles [...] ayant le decorum pour soi" et des mots vulgaires à bannir de la littérature, des "tas de gueux, drôles patibulaires". Victor Hugo déclare l'égalité de tous les mots : "je déclarai les mots égaux", dit-il. Puis il revendique, enfin, le droit d'appeler les choses par leur nom. "Je nommai le cochon par son nom."
C - TROISIEME TEXTE : "LA LETTRE" DU VOYANT D'ARTHUR RIMBAUD
Contrairement aux deux textes des auteurs précédents, il s'agit ici d'une lettre adressée à un ami, dans laquelle le poète défend de manière prophétique une nouvelle conception de la poésie.
Arthur Rimbaud annonce l'invention d'un "langage universel", débarrassé des dictionnaires. Cette nouvelle poésie met en avant la primauté de la sensation : "parfums, sons, couleurs", tout en étant "de la pensée".
Il s'agit donc d'une pensée directement et immédiatement saisissable par les sens, grâce à cette musique que devra être le poème, devenu "nombre et harmonie".
Enfin, Rimbaud annonce l'effet libérateur de la poésie qui abolit la différence entre les sexes, et à cette occasion il énumère les qualités poétiques nouvelles : "étranges, insondables, repoussantes, délicieuses".
Le renouveau voulu par Rimbaud ne concerne pas seulement la forme, comme Hugo le préconisait, en ne parlant que du vocabulaire, mais aussi bien la "forme" que les "idées".
IV - LES ERREURS A EVITER
Le registre de langue des trois textes est très soutenu. Le vocabulaire est riche, précis. Il fallait donc veiller à ne pas commettre de contresens et ainsi déformer le propos des poètes.
Il fallait bien voir que Rimbaud insistait davantage sur l'esthétique. En effet, Boileau et Hugo se limitent au vocabulaire.
Certaines métaphores pouvaient sembler obscures et le ton, souvent emphatique (notamment chez Hugo) pouvait dérouter.
Au-delà de ces particularités formelles, il fallait bien s'attacher à analyser la conception poétique de chaque auteur.