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Annales gratuites Bac 1ère ES : La fonction comique du costume

Le sujet  2004 - Bac 1ère ES - Français - Ecriture d'invention Imprimer le sujet
LE SUJET

La comédie de l'Avare a été écrite et représentée en 1668. Il est question, dans la scène proposée, de costumes à la mode et d'autres qui sont démodés.
Un comédien et son metteur en scène s'opposent sur le choix des costumes à faire porter aujourd'hui aux personnages ; faut-il, pour donner à la scène tout son comique, garder les habits suggérés par le texte de Molière ou leur préférer des vêtements plus modernes ?
Vous rédigerez leur dialogue.

A - Molière (1622-1673), l'Avare (1668), Acte II, sc.5.
[Harpagon, vieillard d'une avarice extrême, est veuf et veut épouser la jeune Mariane que son fils Cléante aime en secret. Pour réaliser ce mariage, Harpagon a recours à une entremetteuse, Frosine, qui le flatte pour en obtenir de l'argent.]

FROSINE. — Voilà de belles drogues(1) que des jeunes gens, pour les aimer ! Ce sont de beaux morveux, de beaux godelureaux(2) , pour donner envie de leur peau ! et je voudrais bien savoir quel ragoût(3) il y a à eux !
HARPAGON. — Pour moi, je n'y en comprends point, et je ne sais pas comment il y a des femmes qui les aiment tant.
FROSINE. — II faut être folle fieffée. Trouver la jeunesse aimable ! est-ce avoir le sens commun ? Sont-ce des hommes que de jeunes blondins ? et peut-on s'attacher à ces animaux-là ?
HARPAGON. — C'est ce que je dis tous les jours, avec leur ton de poule laitée et leurs trois petits brins de barbe relevés en barbe de chat, leurs perruques d'étoupe(4), leurs hauts-de-chausses(5) tout tombants et leurs estomacs débraillés.
FROSINE. — Eh ! cela est bien bâti auprès d'une personne comme vous ! Voilà un homme cela ! Il y a là de quoi satisfaire à la vue, et c'est ainsi qu'il faut être fait et vêtu pour donner de l'amour.
HARPAGON. — Tu me trouves bien ?
FROSINE. — Comment ! vous êtes à ravir, et votre figure est à peindre. Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Il ne se peut pas mieux. Que je vous voie marcher. Voilà un corps taillé, libre et dégagé comme il faut, et qui ne marque aucune incommodité.
HARPAGON. — Je n'en ai pas de grandes, Dieu merci : II n'y a que ma fluxion(6) qui me prend de temps en temps.
FROSINE. — Cela n'est rien. Votre fluxion ne vous sied point mal, et vous avez grâce à tousser.
HARPAGON. — Dis-moi un peu : Mariane ne m'a-t-elle point encore vu ? n'a-t-elle point pris garde à moi en passant ?
FROSINE. — Non. Mais nous nous sommes fort entretenues de vous. Je lui ai fait un portrait de votre personne, et je n'ai pas manqué de lui vanter votre mérite et l'avantage que ce lui serait d'avoir un mari comme vous.
HARPAGON. — Tu as bien fait, et je t'en remercie.
FROSINE. — J'aurais, Monsieur, une petite prière à vous faire. (il prend un air sévère.) J'ai un procès que je suis sur le point de perdre, faute d'un peu d'argent, et vous pourriez facilement me procurer le gain de ce procès si vous aviez quelque bonté pour moi. Vous ne sauriez croire le plaisir qu'elle aura de vous voir. (Il reprend un air gai.) Ah ! que vous lui plairez ! et que votre fraise(7) à l'antique fera sur son esprit un effet admirable ! Mais surtout elle sera charmée de votre haut-de-chausses, attaché au pourpoint(8) avec des aiguillettes(9). C'est pour la rendre folle de vous ; et un amant aiguilleté sera pour elle un ragoût merveilleux.
HARPAGON. — Certes, tu me ravis de me dire cela.

(1) drogues : remèdes désagréables.
(2) godelureaux : élégants prétentieux.
(3) ragoût : goût.
(4) étoupe : résidu tiré du chanvre ou du lin.
(5) hauts-de-chausses : pantalons.
(6) fluxion : bronchite chronique.
(7) fraise : collerette amidonnée et tuyautée qui se portait autour du cou, sous Henri IV.
(8) pourpoint : veste.
(9) aiguillettes : sorte de lacets.

LE CORRIGÉ

I - LA FICHE SIGNALETIQUE

Il s'agit d'un sujet d'invention vous demandant de réfléchir sur le choix des costumes à faire porter aujourd'hui aux personnages, dans une mise en scène contemporaine d'une pièce "classique".
Doit-on actualiser ou au contraire conserver les costumes "d'époque" ?
Vous deviez rédiger un dialogue argumentatif au cours duquel un comédien et son metteur en scène opposent les deux points de vue.

Vous aviez la possibilité d'attribuer le choix de la modernité et du respect des traditions à l'un ou à l'autre des interlocuteurs, le sujet ne le précisant pas.
En revanche, il fallait bien prendre en compte la précision suivante : "faut-il, pour donner à la scène tout son comique, garder les habits suggérés par le texte de Molière" ?

Donc, il fallait limiter votre propos au théâtre comique, en vous appuyant sur le texte de Molière (L'Avare, Acte II, scène 5). En effet, Frosine, flatteuse, décrit le costume d'Harpagon, qui "devrait" plaire à Mariane, alors qu'il est ridicule. Molière oppose, déjà, les choix vestimentaires "des vieux et des jeunes", illustrant l'intemporel "fossé des générations".

II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Le sujet n'est pas très difficile : il s'apparente au "dialogue argumentatif" que vous traitiez en troisième. Faire dialoguer deux interlocuteurs, chacun défendant une thèse opposée pour développer un argumentaire sur la question posée ici, la fonction comique du costume et l'intérêt, la nécessité, ou pas, de le réactualiser.
Cependant, un risque de contresens, si vous n'avez pas limité au théâtre comique et si vous ne vous êtes pas appuyé(e) sur le texte de Molière. Il ne s'agissait pas d'évoquer tout le théâtre comique à toutes les époques, mais de rester précisément sur le débat entre un comédien et son metteur en scène, contemporains, sur la représentation de L'Avare, écrite et jouée en 1668.

III - UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

Vous pouviez répartir comme vous le vouliez les deux thèses. L'un ou l'autre des interlocuteurs, indifféremment, pouvait défendre la modernité ou le respect des traditions.
On pouvait penser cependant que la thèse de la modernité serait soutenue par le metteur en scène, avant-gardiste, et celle de la tradition par le comédien, plus "conservateur".
Les interlocuteurs s'opposent, certes, mais leur propos doit rester courtois, sur un registre de langue courant, voire soutenu, et en aucun cas familier.

Le correcteur n'attend pas "un pugilat verbal" mais un débat d'idées sur les choix à opérer en matière de mise en scène, en se limitant au costume, facteur de comique, dans la pièce de Molière.
Puisque vous disposiez du texte, il était bienvenu d'illustrer votre propos par des citations : "perruques d'étoupe", "hauts de chausses tout tombants", "pourpoint avec des aiguillettes."
Vous pouviez, par exemple, dans la perspective d'une mise en scène "réactualisée" proposer des équivalents contemporains. Remplacer les "perruques d'étoupe" par des casquettes, pour les jeunes gens, "les hauts de chausses tout tombants" par des jeans, qui tombent sur les baskets.

Pour "le pourpoint avec des aiguillettes" d'Harpagon, un costume trois pièces ridicule (à rayures, avec une chemise à carreaux et une cravate multicolore à losanges, pourquoi pas des boutons de manchette).

ARGUMENTS EN FAVEUR DU RESPECT DES TRADITIONS :

- Conserver scrupuleusement les indications fournies par les didascalies,
- Maintenir les comédiens dans des costumes "d'époque" en accord avec la société du XVIIe siècle,
- Eviter les anachronismes,
- Ne pas vouloir "faire moderne" à tout prix,
- Ce qui faisait rire au XVIIe siècle (notamment le costume) doit encore faire rire au XXIe siècle,
- Ne pas "trahir" le texte, ancré, fixé dans son époque,
- Penserait-on à modifier le costume d'Arlequin pour le "moderniser" ?

ARGUMENTS EN FAVEUR DE LA REACTUALISATION :

-Depuis le XVIIe siècle, les codes ont changé. Rit-on de la même façon et des mêmes choses aujourd'hui ?
-Pour maintenir le comique et continuer de provoquer les rires du public, il faut trouver des référents correspondant à la réalité de la société contemporaine,
- Personne ne sait ce qu'est une "perruque d'étoupe". Donc, le comique ne "passera" pas,
- Harpagon, personnage ridicule, doit être représenté comme tel, selon le code du costume, de l'apparence physique, déterminant dans notre société,
- La différence, l'opposition vieux-jeunes doit être mise en valeur par le choix des différents costumes,
- Les personnages doivent être immédiatement reconnaissables : âge, statut social...
-Il est nécessaire de "dépoussiérer" les classiques si l'on veut que le public contemporain continue d'aller voir ces pièces.

A l'issue du dialogue, votre lecteur devrait obtenir une réponse "provisoire" à la question posée : en quoi le costume peut-il contribuer au comique ou le créer ?
Le décalage entre vêtements démodés (Harpagon) et vêtements "à la mode (les jeunes gens de la pièce) est déjà évoqué dans la scène qu'on vous a soumise.
Votre propos devait élargir sur la nécessité ou pas de "moderniser", notamment par le costume, des pièces "classiques".
Votre "avis" n'est pas demandé explicitement. L'essentiel est d'avoir bien confronté les deux thèses, par l'intermédiaire des deux interlocuteurs.
Selon votre culture personnelle, les spectacles auxquels vous avez assisté, vous pouviez illustrer votre propos d'exemples de mises en scène que vous avez appréciées ou pas, parce que trop "modernes" ou trop "classiques".
En effet, le débat est sans cesse renouvelé, toujours d'actualité (de même que pour les mises en scène d'opéras) entre "Anciens" et "Modernes".
Enfin, on pouvait évoquer les différents types de comique (situation, caractère, langage, effet de répétition) pour préciser que le costume n'est pas l'unique "vecteur" de comique.

IV - LES ERREURS A EVITER

- Vous ne deviez traiter du comique que par le costume et ne pas élargir au comique en général (même s'il était utile, en conclusion, par exemple, de faire référence aux différents types de comique).
- Il fallait faire nettement apparaître, et dans la scène de L'Avare, et dans le débat entre tradition et modernité, l'importance de "l'apparence", mise en valeur par le costume.
-Le dialogue ne devait pas être "vide" : il fallait au moins une information, un argument par réplique. Il devait offrir une cohérence logique, dans un jeu de réparties bien équilibrées, afin de bien exposer, de façon égale, les deux thèses en opposition.
- Le dialogue devait être courtois. Les interlocuteurs défendent leur thèse mais ne doivent ni s'insulter, ni se lancer dans un combat verbal, agressif.
-Le niveau de langue devait être courant, sans familiarité, sans propos insultants. Même s'ils ne sont pas d'accord, le comédien et le metteur en scène demeurent posés.

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