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Annales gratuites Bac Pro Secteur Industriel : Paradoxe de l'amour

Le sujet  2003 - Bac Pro Secteur Industriel - Français - Compétence de lecture Imprimer le sujet
LE SUJET

I - LA FICHE SIGNALETIQUE

Type de sujet : deux questions de compétence de lecture
Genre requis : la poésie
Contraintes spécifiques : La première question visait à vérifier que vous savez repérer la situation d'énonciation : quel contenu pour quel destinataire ? Avec la seconde question, il vous était demandé une analyse plus approfondie du registre du texte : le lyrisme.

II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Le sujet proposé ne devait pas déconcerter les candidats dans la mesure où la poésie n'était pas "sortie" depuis bien des années.
En outre, la seconde question de compétence de lecture porte sur un registre essentiel de l'écriture poétique : le lyrisme.
Enfin, s'il n'était pas indispensable de connaître l'auteur, qui reste une figure marginale de la littérature contemporaine et de la modernité, on rappellera ici qu'il a mené une vie aventureuse remplie de voyages de par le monde. (Bourlinguer est le titre d'un de ses autres textes et, ici, Feuilles de route connote également le voyage.)
Ces voyages furent aussi une recherche de soi et des autres, et nourrirent son œuvre poétique, romanesque et journalistique.

III - UN TRAITEMENT POSSIBLE

1.   "Quand tu aimes il faut partir". Le poète manifeste dans le texte deux aspirations en apparence contradictoires.

Le verbe "aimer" connote en effet l'attachement à un être unique, une stabilité affective, une constance dans l'expression des sentiments.
Or l'injonction qu'exprime le premier vers "Il faut" est celle de partir.
Le départ s'accompagne d'une rupture avec l'être aimé. L'univers affectif familier est abandonné ("Quitte ta femme quitte ton enfant").
Cette rupture est affective, mais également morale et sociale : elle implique de faire fi des obligations et responsabilités de tous ordres.
Cette définition de l'amour se double d'une autre contradiction dans la mesure où les deux dernières strophes évoquent un "Je", le poète, confronté à un "Tu" qui n'est plus anonyme ni universel, mais qui est la femme aimée et dont la contemplation remplace désormais tous les spectacles du monde évoqués précédemment : le poème se referme sur une sorte de "Carpe Diem", invitation à jouir de l'amour qu'elle lui procure car il est le résumé de tout ce qu'il peut rechercher.
Le poète s'adresse, tout au long des vingt-quatre premiers vers, de façon indifférenciée, à un lecteur masculin ("Quitte ta femme") comme à une lectrice féminine ("Quitte ton amant"). Le destinataire du poème a une valeur proprement universelle.

2.   "En quoi ce poème est-t-il un chant d'amour à la vie ?"

Cette question invite à réfléchir sur la tonalité lyrique et on pouvait l'analyser en examinant d'une part les thèmes abordés, d'autre part les procédés d'écriture.

a.   Les thèmes
Nous avons déjà noté ceux de l'amour et du départ vers un ailleurs riche de connotations : cet ailleurs est un monde de la diversité, de l'exotisme ("plein de nègres et de négresses").
C'est aussi le monde de la modernité occidentale ("Ce fiacre cet homme cette femme") qui se caractérise par l'activité commerciale ("Les beaux magasins (...) les belles marchandises").
Dans la strophe 3 ce sont les paysages de la nature qui sont célébrés, les éléments fondamentaux (eau, air, terre), et les différents règnes (minéral, végétal, animal, humain).
L'Homme est chanté aux strophes 4 et 5 dans ses activités d'échanges et dans ses besoins naturels : le travail ("Vendre, acheter, revendre") et le jeu ("Chanter, courir, siffler").

b.   Les procédés d'écriture
Le lyrisme s'exprime à l'aide de procédés dont voici les plus importants :

  • Des prises à parti du destinataire par le biais d'impératifs et de verbes impersonnels marquant l'obligation : "Il faut", "Quitte", "Ne larmoie pas", "Respire", "Regarde".
  • Des anaphores : par exemple le verbe "quitter" dans la première strophe.
  • Des effets de refrain par la reprise du même schéma syntaxique aux vers 1, 17 et 21 : "Quand tu aimes il faut...".
  • Même phénomène à la strophe 7 "Je prends mon bain et te regarde".
  • L'utilisation d'adjectifs mélioratifs (qui visent à embellir) "les beaux magasins", "les belles marchandises".
  • L'énumération de verbes à l'infinitif aux vers 17 à 20.
  • Le chiasme du vers 7 qui traduit la diversité et la clôture.
  • Les effets d'allitérations, d'assonances et de rythme liés aux multiples reprises de termes ("nègres / négresses", "ami / amie", "ce / cet / cette, etc."), et aux développements sémantiques ("vendre / revendre...").
  • Un champ lexical du sentiment (voir dernier vers).
  • IV - LES FAUSSES PISTES

    Il convenait de voir que dans les deux dernières strophes le poète s'adressait à la femme aimée et non plus, de façon indéterminée, à l'humanité entière.

    LE CORRIGÉ

    Tu es plus belle que le ciel et la mer

    Quand tu aimes il faut partir
    Quitte ta femme quitte ton enfant
    Quitte ton ami quitte ton amie
    Quitte ton amante quitte ton amant
    Quand tu aimes il faut partir

    Le monde est plein de nègres et de négresses*
    Des femmes des hommes des hommes des femmes
    Regarde les beaux magasins
    Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
    Et toutes les belles marchandises

    Il y a l'air il y a le vent
    Les montagnes l'eau le ciel la terre
    Les enfants les animaux
    Les plantes et le charbon de terre

    Apprends à vendre à acheter à revendre
    Donne prends donne prends

    Quand tu aimes il faut savoir
    Chanter courir manger boire
    Siffler
    Et apprendre à travailler

    Quand tu aimes il faut partir
    Ne larmoie pas en souriant
    Ne te niche pas entre deux seins
    Respire marche pars va-t'en

    Je prends mon bain et je regarde
    Je vois la bouche que je connais
    La main la jambe l'œil
    Je prends mon bain et je regarde

    Le monde entier est toujours là
    La vie pleine de choses surprenantes
    Je sors de la pharmacie
    Je descends juste de la bascule
    Je pèse mes 80 kilos
    Je t'aime

    Blaise Cendrars, Feuilles de route, 1924

    * nègres, négresses : Blaise Cendrars utilise le mot alors en usage ; ces termes n'ont rien de péjoratif ou de méprisant.

     

    1.   "Quand tu aimes il faut partir". Le poète manifeste dans le texte deux aspirations en apparence contradictoires. Lesquelles ? A qui s'adresse-t-il dans les vingt-quatre premiers vers ?
    (4 points)

    2.   En quoi ce poème est-il un chant d'amour à la vie  ? Vous appuierez votre réponse sur un relevé des thèmes abordés et sur une étude précise des procédés d'écriture.
    (6 points)

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