Le sujet 2009 - Bac 1ère L - Français - Ecriture d'invention |
Avis du professeur :
Il s'agit de rédiger un dialogue entre deux personnages de Kean, qui montre une réflexion sur le statut du comédien, déstabilisé par l'emprise de ses rôles sur sa vie. Un sujet intéressant qui demande une lecture attentive du texte de Sartre, afin d'en comprendre les enjeux et mène à une réflexion sur le paradoxe du comédien. |
(16
points)
Salomon rejoint son maître chez lui. Il tente de
le persuader de ne pas renoncer à être acteur de
théâtre. Vous rédigerez leur conversation sous
forme de dialogue théâtral, incluant des didascalies. La
jalousie de Kean ne sera pas le thème essentiel de leur
échange.
Texte A : Jean Rotrou, Le véritable Saint Genest
Genest est un acteur païen. Il doit jouer un drame retraçant le martyre du chrétien Adrien, devant l'empereur romain Dioclétien, qui persécute les chrétiens. Genest va s'identifier au cours de cette scène à son personnage, Adrien.
GENEST, seul, repassant son rôle, et se promenant.
II
serait, Adrien, honteux d'être vaincu
Si
ton dieu veut ta mort, c'est déjà trop vécu
;
J'ai vu (Ciel, tu le sais,
par le nombre des âmes
Que
j'osai t'envoyer, par des chemins de flammes)
5 Dessus
les grils ardents, et dedans les taureaux(1),
Chanter
les condamnés, et trembler les bourreaux.
Il répète ces quatre vers.
J'ai
vu (Ciel, tu le sais, par le nombre des âmes
Que
j'osai t'envoyer, par des chemins de flammes)
Dessus
les grils ardents, et dedans les taureaux,
10 Chanter
les condamnés, et trembler les bourreaux.
Et puis ayant un peu rêvé, et ne regardant plus son rôle, il dit :
Dieux,
prenez contre moi ma défense et la vôtre
;
D'effet, comme de nom, je me
trouve être un autre ;
Je
feins moins Adrien, que je ne le deviens,
Et
prends avec son nom, des sentiments Chrétiens ;
15 Je
sais (pour l'éprouver) que par un long étude(2),
L'art
de nous transformer, nous passe en habitude ;
Mais
il semble qu'ici, des vérités sans
fard,
Passent(3),
et l'habitude, et la force de l'art,
Et
que Christ me propose une gloire éternelle,
20 Contre
qui ma défense est vaine et criminelle ;
J'ai
pour suspects vos noms de Dieux et d'immortels ;
Je
répugne aux respects qu'on rend à vos autels
;
Mon esprit à vos lois
secrètement rebelle,
En
conçoit un mépris qui fait mourir son zèle
;
25 Et comme de profane, enfin
sanctifié,
Semble se
déclarer, pour un crucifié ;
Mais
où va ma pensée, et par quel privilège
Presque
insensiblement, passé(4)-je au sacrilège,
Et
du pouvoir des Dieux, perds-je le souvenir ?
30 Il
s'agit d'imiter, et non de devenir.
(1)
Il arrivait qu'on martyrisât les chrétiens en les
faisant brûler dans des taureaux de bronze. Toutes ces
références renvoient à des pratiques de
supplices qui leur étaient infligés.
(2)étude : masculin au XVIIe siècle.
(3)Passent : surpassent.
(4)passé-je
: inversion de "je passe".
Texte B : Molière, L'impromptu de Versailles
Dans cette œuvre, Molière se met lui-même en scène, distribuant aux acteurs de sa troupe les rôles d'une petite pièce rapidement conçue, qui garde un caractère d'improvisation - d'où le titre d'"impromptu".
MOLIÈRE.- Pour vous, Mademoiselle...
MADEMOISELLE
DU PARC.- Mon Dieu, pour moi, je m'acquitterai fort mal de
mon
personnage, et je ne sais
pas pourquoi vous m'avez donné ce rôle de façonnière(1).
MOLIÈRE.-
Mon Dieu, Mademoiselle, voilà comme vous disiez lorsque l'on
vous
5 donna celui de La Critique de
l'Ecole des femmes ; cependant vous vous en êtes
acquittée
à merveille, et tout le monde est demeuré d'accord
qu'on ne peut pas mieux
faire
que vous avez fait, croyez-moi, celui-ci sera de même, et vous
le jouerez mieux
que vous ne
pensez.
MADEMOISELLE
DU PARC.- Comment cela se pourrait-il faire, car il n'y a point
de
10 personne au monde qui soit moins façonnière
que moi.
MOLIÈRE.-
Cela est vrai, et c'est en quoi vous faites mieux voir que vous
êtes
excellente
comédienne, de bien représenter un personnage qui est
si contraire à votre
humeur(2),
tâchez donc de bien prendre tous le caractère de vos
rôles, et de vous
figurer
que vous êtes ce que vous représentez.
15 (A
du Croisy.) Vous faites le poète, vous, et vous devez
vous remplir de ce
personnage,
marquer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce(3)
du beau
monde, ce ton de voix
sentencieux, et cette exactitude de prononciation qui
appuie
sur toutes les
syllabes, et ne laisse échapper aucune lettre de la plus
sévère
orthographe.
20 (À
Brécourt.) Pour vous, vous faites un honnête homme
de cour, comme vous avez
déjà
fait dans La Critique de L'Ecole des femmes, c'est-à-dire
que vous devez prendre
un air
posé, un ton de voix naturel, et gesticuler le moins qu'il
vous sera possible.
(À
de la Grange.) Pour vous je n'ai rien à vous dire.
(À Mademoiselles Béjart.) Vous, vous représentez
une de ces femmes qui, pourvu
25 qu'elles ne
fassent point l'amour(4), croient que tout le reste leur
est permis, de ces
femmes qui
se retranchent toujours fièrement sur leur pruderie(5),
regardent un chacun
de haut en
bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que
possèdent les autres
ne
soient rien en comparaison d'un misérable honneur dont
personne ne se soucie,
ayez
toujours ce caractère devant les yeux, pour en bien faire les
grimaces(6).
30 (À
Mademoiselle de Brie.) Pour vous, vous faites une de ces femmes
qui pensent
être les
plus vertueuses personnes du monde, pourvu qu'elles sauvent
les
apparences, de ces femmes
qui croient que le péché n'est que dans le scandale,
qui
veulent conduire doucement
les affaires qu'elles ont sur le pied d'attachement
honnête,
et appellent amis ce que les autres nomment galants(7),
entrez bien dans ce
35 caractère.
(À Mademoiselle Molière.) Vous, vous faites le
même personnage que dans La
Critique,
et je n'ai rien à vous dire non plus qu'à Mademoiselle
du Parc.
(À
Mademoiselle du Croisy.) Pour vous, vous représentez une
de ces personnes qui
prêtent
doucement des charités(8) à tout le monde,
de ces femmes qui donnent
40 toujours le petit
coup de langue en passant, et seraient bien fâchées
d'avoir souffert
qu'on eût
dit du bien du prochain ; je crois que vous ne vous acquitterez pas
mal de
ce rôle.
(À Mademoiselle Hervé.) Et pour vous, vous êtes
la soubrette de la précieuse, qui
se
mêle de temps dans la conversation, et attrape comme elle peut
tous les termes
45 de sa maîtresse ; je
vous dis tous vos caractères, afin que vous vous les
imprimiez
fortement dans
l'esprit. Commençons maintenant à répéter,
et voyons comme cela
ira. Ah !
voici justement un fâcheux, il ne nous fallait plus que cela.
(1)personne façonnière : qui fait des manières,
qui manque de simplicité.
(2)humeur:
caractère naturel.
(3)commerce : la
fréquentation.
(4) "faire l'amour"
: pour les femmes, se laisser courtiser.
(5) pruderie :
manifestation outrée de pudeur, à l'égard de
tout ce qui touche aux sentiments, à l'amour, à la
sexualité.
(6)"pour
en bien faire les grimaces" : pour bien jouer ce
caractère.
(7)galants : ceux qui
cherchent à plaire aux femmes et leur font la cour.
(8)charités : bienfaits inspirés par l'amour du
prochain.
Texte C : Jean Anouilh, La Répétition ou L'Amour puni
Les personnages répètent une représentation privée de La Double Inconstance, de Marivaux dont les répliques sont inscrites entre guillemets. Le Comte fait office de metteur en scène.
HORTENSIA
"Que voulez-vous, ces gens-là pensent à leur façon
et souhaiteraient que le prince fût content."
LE
COMTE
Bien, Hortensia !
LUCILE
"Mais ce prince, que ne prend-il une fille qui se rende à
lui de bonne volonté ?
5 Quelle
fantaisie d'en vouloir une qui ne veut pas de lui. Quel goût
trouve-t-il à
cela ?"
LA
COMTESSE, au Comte que Lucile a regardé en
jouant.
Signalez-lui que
le prince n'est pas en scène, Tigre(1). C'est
Hortensia qu'il faut
regarder.
LUCILE
"Car c'est un abus que tout ce qu'il fait : tous ces concerts,
ces comédies, ces
10 grands repas qui
ressemblent à des noces, ces bijoux qu'il m'envoie. Tout cela
lui
coûte un argent
infini. C'est un abîme, il se ruine. Demandez-moi ce qu'il y
gagne.
Quand il me donnerait
toute la boutique d'un mercier, cela ne me ferait pas tant
de
plaisir qu'un petit
peloton(2) qu'Arlequin m'a donné."
HORTENSIA
"Je n'en doute pas. Voilà ce que c'est l'amour. J'ai aimé
de même. Et je me
15 reconnais au peloton."
(Au Comte.)
Est-elle
sincère en disant cela ? Je sens que je parle faux. A-t-elle
aimé vraiment ?
A-t-elle
un jour préféré un petit peloton de laine à
tous les bijoux du prince ?
LE
COMTE
Et vous, ma chère
Hortensia ?
HORTENSIA
Tigre,
il ne s'agit pas de moi. Si c'est un jeu que vous jouez, il n'est pas
drôle ! Vous
20 venez de dire que nous
n'étions pas nous...
LE
COMTE
Pardon. Quand j'ai
distribué la pièce, j'ai très bien su ce que je
faisais. Vous l'avez
parfaitement
dite votre réplique.
HORTENSIA
Je
l'ai donnée "sincère".
LE
COMTE
Et comme vous n'avez
jamais préféré le moindre peloton de laine à
votre plaisir, en
25 la donnant "sincère"
vous avez eu l'air abominablement faux(3). C'était
parfait. C'est
ce que je
voulais. Continuez.
(1)Tigre : la Comtesse appelle le Comte ainsi.
(2)peloton : petite pelote de fil roulé.
(3)
Donc, selon le Comte, en conformité avec le personnage que
joue Hortensia.
Texte D : Jean-Paul Sartre, Kean
Dans sa première
version, cette œuvre était sous-titrée « Désordre
et génie ».
A Londres, Kean, acteur célèbre,
joue Othello, de Shakespeare. Othello, jaloux,
tue sa femme, Desdémone, en l'étouffant avec un
oreiller. Or, dans la salle, se trouve Eléna, la femme du
comte, ambassadeur du Danemark, et Kean en est amoureux. Mais il la
croit convoitée par le prince de Galles, assis à côté
d'elle. Soudain, Kean, depuis la scène, s'adresse à
eux.
KEAN.
[...] (Tourné vers Eléna). Vous, Madame,
pourquoi ne joueriez-vous pas
Desdémone
? Je vous étranglerais si gentiment ? (Elevant l'oreiller
au-dessus de sa
tête.)
Mesdames, Messieurs, l'arme du crime. Regardez ce que j'en fais. (Il
le jette
devant l'avant-scène,
juste aux pieds d'Eléna.) A la plus belle. Cet oreiller,
c'est mon
5 cœur ; mon cœur de lâche
tout blanc : pour qu'elle pose dessus ses petits pieds.
(A
Anna.) Va chercher Cassio, ton amant : il pourra désormais
te cajoler sous mes
yeux(1).
(Se frappant la poitrine.) Cet homme n'est pas dangereux.
C'est à tort qu'on
prenait
Othello pour un grand cocu royal. Je suis un co...co... un...
co...co...mique.
(Rires. Au
prince de Galles.) Eh bien, Monseigneur, je vous l'avais prédit
: pour une
10 fois qu'il me prend une vraie colère,
c'est l'emboîtage(2).
(Les
sifflets redoublent : "A bas Kean ! A bas l'acteur !" Il
fait un pas vers le public
et le
regarde. Les sifflets cessent.) Tous, alors ? Tous contre moi ?
Quel honneur !
Mais pourquoi ?
Mesdames, Messieurs, si vous me permettez une question.
Qu'est-
ce que je vous ai fait ? Je
vous connais tous mais c'est la première fois que je
vous
15 vois ces gueules d'assassins. Est-ce que ce
sont vos vrais visages ? Vous veniez
ici
chaque soir et vous jetiez des bouquets sur la scène en criant
bravo. J'avais
fini par croire que
vous m'aimiez... Mais dites donc, mais dites donc : qui
applaudissiez-vous ? Hein ? Othello
? Impossible : c'est un fou sanguinaire. Il faut
donc
que ce soit Kean. "Notre grand Kean, notre cher Kean, notre Kean
national"
20 Eh bien le voilà, votre Kean !
(Il tire un mouchoir de sa poche et se frotte le visage.
Des
traces livides apparaissent.) Oui, voilà l'homme.
Regardez-le. Vous
n'applaudissez
pas ? (Sifflets.) C'est curieux, tout de même : vous
n'aimez que ce
qui est faux.
LORD MEWILL, de sa loge. - Cabotin !
25 KEAN.
- Qui parle ? Eh ! Mais c'est Mewill(3) ! (Il
s'approche de la loge.) J'ai flanché
tout
à l'heure parce que les princes m'intimident, mais je te
préviens que les
punaises ne
m'intimident pas. Si tu ne fermes pas ta grande gueule, je te prends
entre deux ongles et je te fais
craquer. Comme ça. (Il fait le geste. Le public se
tait.)
Messieurs dames, bonsoir.
Roméo, Lear et Macbeth(4) se rappellent à
votre bon
30 souvenir : moi je vais les rejoindre et je
leur dirai bien des choses de votre part.
Je
retourne dans l'Imaginaire où m'attendent mes superbes
colères. Cette nuit,
Mesdames,
Messieurs, je serai Othello, chez moi, à bureaux fermés(5),
et je tuerai
pour de bon.
Evidemment, si vous m'aviez aimé... Mais il ne faut pas trop
demander,
n'est-ce pas ? A propos,
j'ai eu tort, tout à l'heure, de vous parier de Kean. Kean
est
35 mort en bas âge. (Rires.)
Taisez-vous donc, assassins, c'est vous qui l'avez tué
!
C'est vous qui avez pris un enfant
pour en faire un monstre(6) ! (Silence effrayé
du
public.) Voilà !
C'est parfait : du calme, un silence de mort. Pourquoi
siffleriez-vous : il
n'y a personne
en scène. Personne. Ou peut-être un acteur en train de
jouer Kean
dans le rôle
d'Othello. Tenez, je vais vous faire un aveu : je n'existe pas
vraiment, je
40 fais semblant. Pour vous plaire,
Messieurs, Mesdames, pour vous plaire. Et je... (Il
hésite
et puis, avec un geste "A quoi bon !".)... c'est tout.
Il
s'en va, à pas lents, dans le silence ; sur scène tous
les personnages sont figés de
stupeur.
Salomon(7) sort de son trou, fait un geste
désolé au public et crie en coulisse :
SALOMON. - Rideau ! voyons ! Rideau !
UN MACHINISTE. - J'étais allé chercher le médecin de service.
SALOMON.
- Baisse le rideau, je te dis... (Il s'avance vers le public.)
Mesdames et
45 Messieurs... la représentation ne
peut continuer. Le soleil de l'Angleterre s'est
éclipsé
: le célèbre, l'illustre, le sublime Kean vient d'être
atteint d'un accès de folie.
Bruit
dans le public. Le comte réveillé en sursaut se frotte
les yeux.
LE COMTE. - C'est fini ? Eh bien, Monseigneur, comment trouvez-vous Kean ?
LE
PRINCE, du ton que l'on prend pour féliciter un acteur de
son jeu. - II a été tout
simplement
admirable.
Rideau
(1)
Anna joue Desdémone. Cassio est, dans la pièce de
Shakespeare, celui qu'Othello pense être son amant ; de
même, Kean suspecte le prince et Eléna.
(2)emboîtage : action de siffler un acteur, une pièce.
(3)Mewill : un aristocrate, convoitant Anna, la partenaire de
Kean, humilié par ca dernier, mais qui, au nom de son rang,
avait refusé de se battre avec un acteur.
(4) Ce
sont des personnages du théâtre de Shakespeare au destin
fatal : Roméo, grand amoureux ; le roi Lear d'une part,
et Macbeth, souverain usurpateur, d'autre part, sont tous deux en
proie à la violence de leurs tourments.
(5)à
bureaux fermés : donc, sans public.
(6)
Enfant, Kean était un saltimbanque des rues.
(7)
Salomon est à la fois le valet, le confident, et le souffleur
de Kean.
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES
DU SUJET
Sujet |
Contraintes |
Salomon rejoint son maître chez lui. |
► Deux personnages : Kean, le grand acteur, et Salomon, le valet, confident et souffleur de Kean. L'action se passe chez Kean. |
Il tente de le persuader |
► On demande un texte argumentatif. |
de ne pas renoncer à être acteur de théâtre. |
Le dialogue est à rattacher de manière très précise à la scène finale de la pièce, en y faisant référence : Kean s'est plaint d'avoir disparu au profit de son rôle et de son statut d'acteur. |
Vous rédigerez leur conversation sous forme de dialogue théâtral, incluant des didascalies. |
►La forme est imposée : celle d'un texte de théâtre, comme si en un sens la pièce continuait. |
La jalousie de Kean ne sera pas le thème essentiel de leur échange. |
Mais le dialogue a pour thème essentiel le théâtre, et non la situation amoureuse. |
Caractéristiques
générales du texte attendu :
Genre
littéraire : Théâtre
Type
de texte : Dialogues
et didascalies
Enonciation
: Chacun
des personnages parle à la première personne et
s’adresse à l’autre, le valet en disant « vous »,
le maître en disant « tu ».
Niveau
de langue : Le maître peut avoir un
registre plus soutenu que le valet, mais un registre courant
suffira.
Tonalité
: Polémique,
chacun essayant de persuader l'autre.
II - LES DIFFERENTS TYPES DE PLANS POSSIBLES
Il faut imaginer ici les différentes étapes du dialogue, donc le plan sera déterminé par le mouvement d'ensemble de l'argumentation : nous imaginons que Kean commence par revenir sur les raisons de son refus d'être acteur, en s'opposant fermement à Salomon. Puis Salomon conteste point par point les arguments de Kean, en montrant ce que ce métier a de fascinant. Enfin, on peut imaginer que Kean accepte de remonter sur les planches, puisque c'est là que sa vie prend son sens.
On pourrait commencer par les arguments de Salomon pour que Kean remonte sur les planches, puis leur réfutation par Kean, montrant la vanité de ce statut, et en quelque sorte la défaite du théâtre, mais terminer sur le dépit semble peu probant et sans doute peu conforme aux attentes du sujet.
Le plan que nous proposons se résume ainsi, en trois mouvements :
1. Le regard
critique de Kean sur le statut d'acteur.
2. Les arguments
persuasifs de Salomon.
3. Kean revient sur sa décision,
en définissant ce qui fonde sa passion pour le théâtre,
et en imaginant un nouveau projet.
III - LES PISTES DE REPONSES
Le plan choisi, et qui nous a semblé le plus simple, épouse la logique de l'argumentation : il consiste à voir progressivement Kean revenir sur sa décision :
1. Le dépit
de Kean et sa lucidité face à ses succès
illusoires.
2. Salomon le persuade progressivement de la
beauté de son métier.
3. Kean réaffirme
sa passion et se lance de nouveaux défis.
Nous vous proposons plutôt qu’un catalogue d’idées, un exemple de traitement possible du sujet parmi d’autres.
PREMIERE PARTIE
Un intérieur élégant, où plusieurs objets font référence au métier de comédien : un masque, des livres, un costume de comédien et un oreiller posés sur une table, devant un miroir. Kean tourne le dos à Salomon au début de la scène, ne regardant que le reflet de son confident dans le miroir.
Salomon : Kean, je crois que le dépit amoureux ne doit pas t'aveugler, la jalousie est mauvaise conseillère. Tu ne peux renoncer à l'essentiel de ta vie sur un coup de tête, une déception passagère.
Kean (amer) : Laissons de côté le dépit amoureux, Elena a su me rassurer depuis la dernière représentation d'Othello, mais j'ai besoin de prendre mes distances avec le monde de la scène : je me suis enfermé depuis des années dans une forme de folie très particulière, qui consiste à entrer dans mes rôles en me dépouillant de moi-même.
Salomon : Mais c'est là le propre de ce métier.
Kean : Mais l'impression, qui est utile sur scène, a envahi maintenant ma vie. C'est ce que j'ai crié au public hier, mon désespoir, ma rage, d'avoir été dépossédé, tué en quelque sorte par le public, qui dans son amour pour moi, n'a jamais aimé que les différents rôles que j'ai joués. Mes personnages ont expulsé de moi toute identité : Kean est devenu Othello, et c'est le mari jaloux de Desdémone qui a étouffé Kean. (Il saisit l'oreiller qui est sur sa table). Tous les personnages morts sur scène, comme Dom Juan, ou dans la coulisse, comme Hippolyte, m'ont entraîné avec eux dans leur chute. C'est ma main que la statue de pierre a saisi, moi qui ai voulu être le « séducteur du genre humain », qui ai considéré que je devais me donner, non à toutes les belles, mais à tous les publics.
DEUXIEME PARTIE
Salomon, glacé par ce qu'il vient d'entendre, prend l'oreiller des mains de son ami : Kean, regarde-moi maintenant, tu n'es pas que reflet et je suis bien réel : sens ma main qui saisit ton épaule. Ce désordre qui règne dans ta pensée, est la marque de ton génie. C'est parce que tu as su ressentir et montrer sur scène toutes les émotions que les hommes dans leur diversité peuvent vivre, qu'ils t'ont aimé et applaudi. Contrairement à ce que tu as dit hier, c'est bien toi qu'ils ont admiré et aimé, toi sous tes formes, ce qui en toi fait vivre la passion d'Othello.
Kean : Mais Othello a assassiné Kean.
Salomon : Cette illusion que tu as vécue, tu as voulu la détruire sur scène, en te démaquillant, en montrant les traces livides sous le maquillage du Maure : c'était un trait de génie, tu as ainsi mis en lumière l'illusion théâtrale. Mais le public veut vivre cette illusion, veut être entraîné dans l'espace et le temps imaginaires que lui apportent Shakespeare, Molière ou Racine. Il peut être séduit par le principe du théâtre dans le théâtre, dans L'Illusion comique de Corneille ou L'Impromptu de Versailles de Molière, mais il ne veut pas que les frontières entre réel et imaginaire soient simplement estompées, que la douce illusion d'être transporté ailleurs ne s'interrompe pas.
TROISIEME PARTIE
Kean : Salomon, tu as commencé à me rassurer, je suis prêt à te suivre dans ton raisonnement, même si je crains une rechute. Ne vais-je pas avoir peur à chaque représentation de voir un homme regarder mon Elena ? Lui jetterai-je encore l'oreiller que voici, de manière aussi ridicule. Vais-je, en jouant Arnolphe, me sentir envahi par l'esprit de ce grotesque barbon, amoureux de la jeunesse qui lui échappe, qu'il veut étouffer faute de pouvoir la saisir ?
Salomon : N'oublie jamais que tu feras alors apparaître, sous les yeux du spectateur, une émotion toujours feinte, mais d'autant plus saisissante que tu l’auras puisée en toi, mais surtout dans un texte auquel tu donnes vie. Ce don de soi, s'il te tue quelques heures, donne vie à une œuvre, qui renaît grâce à toi.
Conclusion
Kean : Alors, si je me dois aux grandes œuvres, tentons de les faire exister, cherchons dans notre visage des projets de personnage. Il se tourne à nouveau vers le miroir, et se regarde en grimaçant, puis rit.
IV - LES FAUSSES PISTES
Il ne faut pas dériver vers un dialogue portant sur les sentiments amoureux : c'est un dialogue sur le théâtre essentiellement.
Il faut éviter
de multiplier les répliques trop courtes, de morceler
l'argumentation : le mouvement d'ensemble doit apparaître
nettement.