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Annales gratuites Bac 1ère L : Lettre ouverte sur l'autobiographie

Le sujet  2007 - Bac 1ère L - Français - Ecriture d'invention Imprimer le sujet
Avis du professeur :

Il s'agit d'évoquer une autre conception de l'autobiographie.
Sujet difficile et assez artificiel car toute autobiographie est par nature intimiste.

LE SUJET


TEXTE A - Colette, Sido

Colette évoque le souvenir de sa mère, Sido.

                Ô géraniums, ô digitales1... Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumés
      au long de la terrasse, c'est de votre reflet que ma joue d'enfant reçut un don vermeil. Car
      « Sido » aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix-de-Malte1,
      des hortensias, et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge1, encore
  5   qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou2 de veau
      frais... À contre-cœur elle faisait pacte avec l'Est : « Je m'arrange avec lui », disait-elle.
      Mais elle demeurait pleine de suspicion et surveillait, entre tous les cardinaux et collatéraux3,
      ce point glacé, traître aux jeux meurtriers. Elle lui confiait des bulbes de muguet, quelques
      bégonias, et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules.
10            Hors une corne de terre, hors un bosquet de lauriers-cerises dominés par un
      junko-biloba1 , - je donnais ses feuilles, en forme de raie, à mes camarades d'école, qui les
      séchaient entre les pages de l'atlas - tout le chaud jardin se nourrissait d'une lumière jaune, à
      tremblements rouges et violets, mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet, dépendaient,
      dépendent encore d'un sentimental bonheur ou d'un éblouissement optique. Étés réverbérés
15   par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés
      presque sans nuits... Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en
      récompense. J'obtenais qu'elle m'éveillât à trois heures et demie, et je m'en allais, un panier
      vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la
      rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues.
20            À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand
      je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d'abord mes
      jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus
      sensibles que tout le reste de mon corps... J'allais seule, ce pays mal pensant était sans
      dangers. C'est sur ce chemin, c'est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d'un
25   état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau,
      le soleil encore ovale, déformé par son éclosion...
                Ma mère me laissait partir, après m'avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ; elle
      regardait courir et décroître sur la pente son oeuvre, - « chef-d'œuvre », disait-elle. J'étais peut-
      être jolie ; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d'accord... Je l'étais à
30   cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par la verdure, des
      cheveux blonds qui ne seraient lissés qu'à mon retour, et de ma supériorité d'enfant éveillée
      sur les autres enfants endormis.
               Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d'avoir mangé mon
      saoul4, pas avant d'avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et
35   goûté l'eau de deux sources perdues, que je révérais. L'une se haussait hors de la terre par
      une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux. Elle se
      décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L'autre source, presque invisible,
      froissait l'herbe comme un serpent, s'étalait secrète au centre d'un pré où des narcisses,
      fleuris en ronde, attestaient seuls sa  présence. La première avait goût de feuille de chêne, la
40   seconde de fer et de tige de jacinthe... Rien qu'à parler d'elles je souhaite que leur saveur
      m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette gorgée
      imaginaire...

1 noms de plantes
2 mou : viande pour l'alimentation des chats.
3 cardinaux et collatéraux : les points cardinaux sont les quatre points de l'horizon (nord, sud, est, ouest), les points collatéraux sont situés entre deux points cardinaux et à égale distance de ces derniers.
4 manger son saoul : manger jusqu'à en être rassasié.

 

TEXTE B - Albert Cohen, Le Livre de ma mère

                      Ô mon passé, ma petite enfance, ô chambrette, coussins brodés de petits chats
       rassurants, vertueuses chromos1, conforts et confitures, tisanes, pâtes pectorales2, arnica,
       papillon du gaz3 dans la cuisine, sirop d'orgeat, antiques dentelles, odeurs, naphtalines4,
       veilleuses de porcelaine, petits baisers du soir, baisers de Maman qui me disait, après avoir
  5   bordé mon lit, que maintenant j'allais faire mon petit voyage dans la lune avec mon ami un
      écureuil. Ô mon enfance, gelées de coings, bougies roses, journaux illustrés du jeudi, ours en
      peluche, convalescences chéries, anniversaires, lettres du Nouvel An sur du papier à
      dentelures, dindes de Noël, fables de La Fontaine idiotement récitées debout sur la table,
      bonbons à fleurettes, attentes des vacances, cerceaux, diabolos, petites mains sales, genoux
10   écorchés et j'arrachais la croûte toujours trop tôt, balançoires des foires, cirque Alexandre où
      elle me menait une fois par an et auquel je pensais des mois à l'avance, cahiers neufs de la
      rentrée, sac d'école en faux léopard, plumiers japonais, plumiers à plusieurs étages, plumes
      Sergent-Major5, plumes baïonnette de Blanzy-Poure5, goûters de pain et de chocolat, noyaux
      d'abricots thésaurisés6, boîte à herboriser, billes d'agate7, chansons de Maman, leçons qu'elle
15   me faisait repasser le matin, heures passées à la regarder cuisiner avec importance, enfance,
      petites paix, petits bonheurs, gâteaux de Maman, sourires de Maman, ô tout ce que je n'aurai
      plus, ô charmes, ô sons morts du passé, fumées enfouies et dissoutes saisons. Les rives
      s'éloignent. Ma mort approche.

1 chromo : dessin de qualité médiocre.
2 pâte pectorale : pâte pour soigner la toux.
3 papillon du gaz : robinet d'arrêt du gaz.
4 naphtalines : produits anti-mites.
5 Sergent-Major, Blanzy-Poure : marques de plume.
6 thésaurisés : amassés, accumulés.
7 agate : pierre précieuse.

 

TEXTE C - Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée

                La principale fonction de Louise et de maman, c'était de me nourrir ; leur tâche n'était
      pas toujours facile. Par ma bouche, le monde entrait en moi plus intimement que par mes yeux
      et mes mains. Je ne l'acceptais pas tout entier. La fadeur des crèmes de blé vert, des bouillies
      d'avoine, des panades1, m'arrachait des larmes ; l'onctuosité des graisses, le mystère gluant
5    des coquillages me révoltaient ; sanglots, cris, vomissements, mes répugnances étaient si
      obstinées qu'on renonça à les combattre. En revanche, je profitai passionnément du privilège
      de l'enfance pour qui la beauté, le luxe, le bonheur sont des choses qui se mangent ; devant
      les confiseries de la rue Vavin, je me pétrifiais, fascinée par l'éclat lumineux des fruits
      confits, le sourd chatoiement des pâtes de fruits, la floraison bigarrée des bonbons acidulés ;
10   vert, rouge, orange, violet : je convoitais les couleurs elles-mêmes autant que le plaisir
      qu'elles me promettaient. J'avais souvent la chance que mon admiration s'achevât en
      jouissance. Maman concassait des pralines dans un mortier, elle mélangeait à une crème jaune
      la poudre grenue ; le rosé des bonbons se dégradait en nuances exquises : je plongeais ma
      cuiller dans un coucher de soleil. Les soirs où mes parents recevaient, les glaces du salon
15   multipliaient les feux d'un lustre de cristal. Maman s'asseyait devant le piano à queue, une
      dame vêtue de tulle jouait du violon et un cousin du violoncelle. Je faisais craquer entre mes
      dents la carapace d'un fruit déguisé, une bulle de lumière éclatait contre mon palais avec un
      goût de cassis ou d'ananas : je possédais toutes les couleurs et toutes les flammes, les
      écharpes de gaze, les diamants, les dentelles ; je possédais toute la fête. Les paradis où coulent
20   le lait et le miel ne m'ont jamais alléchée, mais j'enviais à Dame Tartine sa chambre à
      coucher en échaudé2 cet univers que nous habitons, s'il était tout entier comestible, quelle
      prise nous aurions sur lui ! Adulte, j'aurais voulu brouter les amandiers en fleurs, mordre dans les
      pralines du couchant. Contre le ciel de New York, les enseignes au néon semblaient des
      friandises géantes et je me suis sentie frustrée.

1 panade : bouillie composée de pain, de beurre, d'eau, de lait et de jaune d'oeuf.
2 échaudé : pâtisserie légère passée au four.

 

Ecriture d'invention (16 points)
Gêné ou irrité par le caractère trop intimiste de certaines formes d'écriture de soi, un jeune lecteur écrit une lettre ouverte aux écrivains pour défendre une autre conception de l'autobiographie.

LE CORRIGÉ


I - QUELLE ANALYSE POUR CE SUJET ?

Sujet

Contraintes

Gêné ou irrité par le caractère trop intimiste de certaines formes d'écriture de soi,

 

...un jeune lecteur écrit...

...une lettre ouverte...


...aux écrivains...


...pour défendre une autre conception de l'autobiographie.

L'argumentaire doit développer une critique : mettre en valeur la gêne ou l'irritation engendrées par le caractère trop intimiste de certaines formes d'écriture de soi.

Expéditeur un jeune lecteur gêné ou irrité,

Style épistolaire : Ecrivez une lettre ouverte à des écrivains.

Destinataires : des écrivains, par exemple abusant d'un style trop intimiste.

Proposer une autre conception de l'autobiographie.

 


Caractéristiques générales du texte attendu :

Genre littéraire : une lettre.
Type de texte : argumentatif et critique.
Enonciation : première personne du singulier.
Niveau de langue : courant et soutenu.
Tonalité : il doit être polémique mais pas agressif. La lettre ouverte doit insister sur les motifs d'irritation et de gêne du jeune lecteur.

Important : Le travail d’écriture n’est pas un sujet à part déconnecté de la première question. Ce n'est qu'après y avoir répondu en vous appuyant sur les trois textes autobiographiques du corpus et avoir ainsi étudié leur vision de l'enfance, que vous pourrez rédiger votre lettre ouverte.

 

II - UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

Aucun plan précis ne s’imposait mais l'on pouvait, par exemple, élaborer un plan en deux parties :

1. D'abord la critique du caractère trop intimiste de certains textes autobiographiques, en mettant en valeur la gêne et/ou l'irritation du jeune lecteur.
2. Ensuite, l'exposé d'une autre conception de l'autobiographie.

PREMIER ELEMENT : CRITIQUE DU CARACTERE TROP INTIMISTE DE CERTAINES FORMES D'ECRITURE DE SOI.

Vanité de l'autobiographie car le "Moi" est un autre, dont la vie ne m'intéresse pas nécessairement.
— Vous remettez donc en cause le fameux pacte autobiographique, censé instaurer un dialogue, qui consiste à tout dire, sans rien cacher mais qui peut manquer d'intérêt pour un jeune lecteur qui ne possède pas les mêmes références, ne partage pas les mêmes valeurs et se moque de l'expérience des aînés.

— Certains détails peuvent apparaître "inutiles" pour un lecteur pressé de lire une "histoire".

La gêne que l'autobiographie peut susciter:
— Le jeune lecteur peut être gêné, voire choqué par des révélations très personnelles dont il est le témoin un peu voyeur. Il est peut-être irrité par la propension de certains auteurs à se mettre systématiquement en valeur, en avant, à se présenter comme des exemples. Ou, à l'inverse, présenter des auteurs qui manifestent une fausse modestie irritante parce qu'artificielle.

— Pour illustrer cette thèse, vous deviez faire référence à des exemples de textes autobiographiques, et pas seulement ceux du corpus. On pouvait penser aux Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand, aux Mots de Sartre, aux Confessions de Rousseau, la liste n'étant pas limitative.

Transition : Il ne suffit pas de critiquer. Le sujet impliquait de proposer une autre conception de l'autobiographie.

DEUXIEME ELEMENT : UNE AUTRE CONCEPTION DE L'AUTOBIOGRAPHIE

Le jeune lecteur, c'est vous. On n'attend donc pas une thèse accomplie, mais quelques pistes de réflexion sur l'écriture de soi, à partir de vos connaissances générales, personnelles et littéraires.

Vous pouviez vous poser les questions suivantes et les poser à vos destinataires :

Pourquoi écrire sur soi ? Comment intéresser son lecteur ? Comment en faire plus qu'un témoin, un complice ?

Vous pouviez proposer :

D'éliminer de l'autobiographie les détails inutiles, comme les longues descriptions, les anecdotes fastidieuses, ne raconter de soi que ce qui peut faire écho chez le lecteur, aller à l'essentiel : l'expérience vécue, les sentiments éprouvés, non à titre d'exemple, mais de partage.

D'exiger plus de modestie de l'auteur, attendre plus d'authenticité et tenter de rester dans une relative objectivité, créer un lien intergénérationnel de l'ordre du dialogue et, pour ce faire, éviter les coquetteries de langage, parfois désuètes.

Le jeune lecteur aura ainsi montré qu'il ne se contentait pas d'exprimer sa gêne et son irritation mais qu'il est à même de proposer de nouvelles pistes d'écriture, et de lecture, pour un récit autobiographique qui l'intéresse et le séduit.

 

III - LES FAUSSES PISTES

 Il ne fallait surtout pas :

Employer un registre de langue familier ou négligé,
Adopter un ton agressif,
Oublier de vous adresser DIRECTEMENT à des destinataires précis, que vous vouvoyez, c'est-à-dire, perdre de vue que vous rédigez une lettre.
Oublier de donner des exemples précis,
Ne voir que l'aspect critique et ne pas proposer de nouvelle conception de l'autobiographie,
Oublier que c'est un jeune lecteur qui rédige cette lettre, suivant toutes les contraintes du genre, avec enthousiasme, passion et conviction.

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