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Annales gratuites Bac 1ère L : Texte d'Albert Cohen

Le sujet  2007 - Bac 1ère L - Français - Commentaire littéraire Imprimer le sujet
Avis du professeur :

Le texte est une évocation heureuse de l'enfance de l'auteur et consiste en une longue énumération.
Le texte est difficile parce qu'il évoque des réalités désuètes.

LE SUJET


TEXTE B - Albert Cohen, Le Livre de ma mère

                      Ô mon passé, ma petite enfance, ô chambrette, coussins brodés de petits chats
       rassurants, vertueuses chromos1, conforts et confitures, tisanes, pâtes pectorales2, arnica,
       papillon du gaz3 dans la cuisine, sirop d'orgeat, antiques dentelles, odeurs, naphtalines4,
       veilleuses de porcelaine, petits baisers du soir, baisers de Maman qui me disait, après avoir
  5   bordé mon lit, que maintenant j'allais faire mon petit voyage dans la lune avec mon ami un
      écureuil. Ô mon enfance, gelées de coings, bougies roses, journaux illustrés du jeudi, ours en
      peluche, convalescences chéries, anniversaires, lettres du Nouvel An sur du papier à
      dentelures, dindes de Noël, fables de La Fontaine idiotement récitées debout sur la table,
      bonbons à fleurettes, attentes des vacances, cerceaux, diabolos, petites mains sales, genoux
10   écorchés et j'arrachais la croûte toujours trop tôt, balançoires des foires, cirque Alexandre où
      elle me menait une fois par an et auquel je pensais des mois à l'avance, cahiers neufs de la
      rentrée, sac d'école en faux léopard, plumiers japonais, plumiers à plusieurs étages, plumes
      Sergent-Major5, plumes baïonnette de Blanzy-Poure5, goûters de pain et de chocolat, noyaux
      d'abricots thésaurisés6, boîte à herboriser, billes d'agate7, chansons de Maman, leçons qu'elle
15   me faisait repasser le matin, heures passées à la regarder cuisiner avec importance, enfance,
      petites paix, petits bonheurs, gâteaux de Maman, sourires de Maman, ô tout ce que je n'aurai
      plus, ô charmes, ô sons morts du passé, fumées enfouies et dissoutes saisons. Les rives
      s'éloignent. Ma mort approche.

1 chromo : dessin de qualité médiocre.
2 pâte pectorale : pâte pour soigner la toux.
3 papillon du gaz : robinet d'arrêt du gaz.
4 naphtalines : produits anti-mites.
5 Sergent-Major, Blanzy-Poure : marques de plume.
6 thésaurisés : amassés, accumulés.
7 agate : pierre précieuse.

 

Commentaire (16 points)
Vous commenterez le texte d'Albert Cohen (texte B)

LE CORRIGÉ


I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET

Sujet

Contraintes

Vous commenterez le texte d'Albert Cohen

Contrainte explicite :
le commentaire d’un extrait de Le Livre de ma mère d'Albert Cohen.

 

Contraintes implicites : Il convient de manifester :
- sa connaissance de l’objet d’étude : l'autobiographie.
-
sa capacité à solliciter d'autres genres et registres : le texte se caractérise par un lyrisme qui en fait presque un poème en prose.
- son habileté à commenter, en organisant une réflexion sur un texte qui permette d’en révéler la signification profonde, en s’appuyant sur des exemples.

Caractéristiques générales du texte attendu :

Il s'agit de produire un commentaire composé, qui prenne non pas la forme d’une explication de texte, comme à l’oral de français, et encore moins d’une paraphrase ou d’un récit reprenant le texte.
Ce commentaire doit prendre la forme de la dissertation littéraire, être écrit comme un essai.
Aucune remarque sur la forme du texte à étudier ne doit faire l’objet d’une analyse ou d’un développement à part, sans relation avec la signification de l’œuvre.
Aucune allusion aux textes du corpus, aucune comparaison n’est demandée, ni souhaitable, sauf s’il apparaissait clairement que l’auteur n’a écrit ce texte qu’en réaction ou après avoir lu les textes antérieurs, qui figurent dans le corpus.

 

II - LES DIFFERENTS TYPES DE PLANS POSSIBLES

Par un plan dialectique :
Mais qui risque de manquer de nuances, si l’on n’a pas un grand savoir-faire 

Par un plan descriptif, c’est celui que nous proposons :

 

III - LES PISTES DE REPONSES

Le plan choisi, et qui nous a semblé le plus simple, est de type descriptif.

PREMIeRE PARTIE

L'apparent désordre d'un inventaire intimiste
Le texte se caractérise par une accumulation de groupes nominaux juxtaposés qui reconstruisent l'enfance.
De nombreux champs lexicaux entremêlent dans le passage des motifs récurrents du souvenir d'enfance :
- la maladie : ligne 2
- la nourriture : voir la question
- l'école: Elle est essentiellement évoquée par l'intermédiaire d'objets emblématiques comme les "cahiers", le "sac", les "plumiers" et les "plumes". Elle est également inscrite en creux dans l'évocation des vacances, des jeudis (jour férié avant d'être le mercredi), des loisirs.
- les jeux : "ours en peluche", "cerceaux", "diabolos", "balançoires", "billes"

Par ailleurs, les marques personnelles apparaissent régulièrement, et délimitent fortement le propos : "mon passé, ma petite enfance" au début du passage, "Ma mort" à la fin. Certains éléments relèvent du décor familier ("coussins brodés de petits chats rassurants"), de rituels intimes (les paroles de la mère rapportées au discours indirect ligne 5-6), de détails qui n'ont de sens que pour l'autobiographe. Ainsi les plumiers et plumes ne parlent plus au lecteur contemporain.

La majeure partie des éléments sont marqués par le pluriel : ils inscrivent ainsi dans le texte la répétition ("dindes de Noël"), l'absence de hiérarchie, et le goût de la collection signalé par la "boîte à herboriser" et les "noyaux d'abricots thésaurisés" comme autant de trésors. L'absence des déterminants donne l'impression d'une exposition dans laquelle tous les éléments sont sur le même plan.

Cohen semble exhiber devant le lecteur une collection d'objets intimes hétéroclites. Ils voisinent sans lien logique explicite, ce qui produit de nombreux effets de rupture. Seul l'autobiographe sait ce qui appelle sous sa plume une telle réunion de souvenirs et l'exaltation qui la caractérise (répétition de "ô"). Le lecteur peut parfois formuler des hypothèses : "odeurs" appelle "naphtalines", la couleur des "gelées de coing" annonce le rose des "bougies".

Transition

Derrière l'apparent désordre de l'énumération se cache un univers construit. Ce catalogue est ordonné parce qu'il renvoie à des lieux communs de l'enfance et semble gouverné par une intention que cet ordre révèle.

DEUXIeME PARTIE

Un univers construit

Le texte progresse par associations diverses :
La première phrase nominale plante le décor d'une chambre d'enfant, raconte en creux la maladie et les soins maternels. La phrase suivante, plus ample, élargit le cadre spatio-temporel. Un mouvement peut se lire à travers l'évocation de l'école, lieu de la récitation (ligne 8) puis de l'écriture (les plumiers et les plumes).
La deuxième phrase, fort longue et heurtée, est régie par un principe de série : les célébrations annuelles : "anniversaires, Nouvel An, Noël, vacances" ; les jeux et leurs conséquences, les différents plumiers et les différentes plumes...
L'association peut aussi se faire sur le plan musical. Certains mots en appellent d'autres par jeu d'allitération "chromos, conforts et confitures, pectorales, arnica" ligne 2 par exemple. Joint au rythme croissant de la phrase périodique, ce procédé concourt à transformer ce texte en poème lyrique en prose.

Transition

Loin d'être une simple accumulation de sensations personnelles, le texte construit un parcours réflexif dans lequel le lecteur peut se projeter.

TROISIeME PARTIE

Le texte cherche à susciter une méditation sur la vie.
Le lecteur peut se projeter dans le texte en dépit de son caractère autobiographique. Au-delà des circonstances particulières et des goûts qui lui sont propres, Cohen propose en raccourci un tableau de l'enfance et de ses joies. L'absence de déterminants met à distance la figure personnelle de l'auteur. De même, certains thèmes ou termes génériques inscrivent l'enfance de Cohen dans la banalité : baisers maternels du soir, confiseries, célébrations annuelles, "mains sales" et "genoux écorchés", "chansons", "leçons" et "fables de La Fontaine" ne sont pas propres à Cohen. Même la croûte arrachée trop tôt de la ligne 10, ou l'impatience à l'idée d'aller au cirque ligne 11, pourtant évoquées à la première personne, appartiennent en propre au mythe de l'enfance.

Le texte construit dans un court paragraphe une image de la vie : il nous mène du passé de la "petite enfance" au présent des deux verbes qui surgissent dans les deux dernières phrases, très courtes, qui tombent comme des couperets. Cette clausule a été préparée par la répétition du mot "enfance à la ligne 15, privé cette fois du possessif, et associé aux groupes nominaux "petites paix, petits bonheurs". Si le recours aux phrases nominales permet de faire surgir une image concrète du passé, les dernières lignes la transforment en nature morte, en vanité : le texte ramène au silence ("sons morts"), à l'informe ("fumées", "dissoutes") et à la mort.

Conclusion

Le texte peut apparaître comme un exercice de style artificiel. Il peut aussi sembler très ancré dans un temps révolu. Il révèle au terme de la relecture une profondeur qui mène de la description à la méditation.

 

IV - LES FAUSSES PISTES

 Il ne fallait surtout pas :

dissocier l'étude du fond et de la forme.
se limiter à la dimension autobiographique du texte.

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