Le sujet 2008 - Bac 1ère L - Français - Ecriture d'invention |
Avis du professeur :
C'est un sujet d'invention qui consiste à écrire la
suite d'un texte, en respectant l'atmosphère et les procédés
d'écriture. |
L'extrait des Gommes de Robbe-Grillet se termine par : "Quand
tout est prêt, la lumière s'allume...".
En veillant à respecter l'atmosphère installée par ce début, vous imaginerez
une suite consacrée à l'arrivée d'un nouveau personnage dans le café. Vous vous
inspirerez des procédés qui figurent dans le texte. (16 points)
TEXTE B - Alain Robbe-Grillet, Les Gommes
Dans
la pénombre de la salle de café le patron dispose les tables et les chaises,
les
cendriers, les siphons d'eau gazeuse ; il est six
heures du matin.
Il n'a pas besoin
de voir clair, il ne sait même pas ce qu'il fait. Il dort encore. De très
anciennes lois règlent le détail de ses gestes,
sauvés pour une fois du flottement des intentions
5 humaines ; chaque seconde marque un pur mouvement : un
pas de côté, la chaise à trente
centimètres, trois coups de torchon, demi-tour à
droite, deux pas en avant, chaque seconde
marque, parfaite, égale, sans bavure. Trente et
un. Trente-deux. Trente-trois. Trente-quatre.
Trente-cinq. Trente-six. Trente-sept. Chaque
seconde à sa place exacte.
Bientôt
malheureusement le temps ne sera plus le maître. Enveloppés de leur cerne1
10 d'erreur et de doute, les événements de cette journée, si
minimes qu'ils puissent être, vont dans
quelques instants commencer leur besogne, entamer
progressivement l'ordonnance idéale,
introduire çà et là, sournoisement, une
inversion, un décalage, une confusion, une courbure,
pour accomplir peu à peu leur oeuvre : un jour,
au début de l'hiver, sans plan, sans direction,
incompréhensible et monstrueux.
15 Mais il est encore trop tôt,
la porte de la rue vient à peine d'être déverrouillée, l'unique
personnage présent en scène n'a pas encore
recouvré2 son existence propre. II est l'heure où les
douze chaises descendent doucement des tables de
faux marbre où elles viennent de passer la
nuit. Rien de plus. Un bras machinal remet en
place le décor.
Quand tout est
prêt, la lumière s'allume...
1 cerne : ce qui entoure
2 recouvré : récupéré
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET
Ecrire la suite d'un texte, en imaginant l'arrivée d'un nouveau personnage
Sujet |
Contraintes |
En veillant à respecter l'atmosphère installée par ce début. |
► Il faut être fidèle au texte, respecter le décor planté par l'auteur, donc l'analyser et en retenir l'essentiel |
Vous imaginerez une suite consacrée à l'arrivée d'un nouveau personnage dans le café. |
► Il faut apporter des éléments nouveaux : c'est la partie vraiment inventive du sujet. |
Vous vous inspirerez des procédés qui figurent dans le texte. |
► Il faut être le plus proche possible de l'écriture de Robbe-Grillet, donc en avoir repéré les caractéristiques essentielles. |
Caractéristiques générales du texte attendu :
● Genre
littéraire : il s'agit d'un extrait de roman.
● Enonciation : le
narrateur est extérieur à l'action, il n'est pas un personnage.
● Niveau
de langue : il est assez soutenu.
● Tonalité : on ne trouve pas de tonalité marquante, mais une
certaine neutralité, qui correspond à une observation distanciée du personnage.
II - etude détaillée des attentes du sujet
Ecrire la suite d'un texte implique certaines contraintes narratologiques.
Il faut étudier au préalable les caractéristiques essentielles du texte,
puisque le pastiche doit conserver :
1. Le genre : il s'agit d'un roman, dont le narrateur est extérieur à l'action, la rapporte de façon neutre, mais en décrivant avec précision les gestes.
2. Le décor : il est très tôt, le patron du café, encore endormi, accomplit machinalement certains actes pour préparer la salle avant l'arrivée des clients. La dernière phrase, ainsi que l'expression : "l'unique personnage présent en scène", nous montrent qu'il pourrait s'agir d'un décor de théâtre, une scène de la vie ordinaire, où des événements importants vont intervenir.
3. On respecte certaines caractéristiques stylistiques : une structure rigoureuse, où le personnage est d'abord décrit simplement, puis où les gestes sont décomposés dans le moindre détail, comme au ralenti. On note alors des phrases assez longues, avec des énumérations de termes tentant de saisir le réel : "une inversion, un décalage, une confusion, une courbure".
Les bonnes copies montreront que certaines caractéristiques de l'écriture de Robbe-Grillet ont été assimilées.
III - LES PISTES DE REPONSES
1. On peut imaginer l'entrée en scène du premier
client, qui pourra être un habitué. Il pourra échanger
quelques paroles avec le patron sur le ton d'un homme lui aussi encore
endormi, les paroles amenant une analyse du caractère
mécanique de la communication.
Ceci donnerait : "Un homme entre, qui semble lui aussi mal réveillé.
Il s'approche du comptoir et commande un café en disant bonjour d'une voix
éteinte.
La lumière des néons qui clignote semble rythmer
leur échange de banalités. Les paroles s'égrainent,
sur un ton indifférent, et chacune tombe un instant dans le vide, avant de
rebondir. De la bouche de l'habitué qui s'ouvre
parfois sans proférer aucun son se dégage alors une
haleine chargée. Elle s'étend lentement et atteint
finalement le patron qui a un léger mouvement de recul, presque imperceptible
pour le client. Cette hésitation, ce mouvement retenu, quoique anodin,
interrompt pour plusieurs secondes la conversation.
Ce deuxième personnage entré en scène crée une perturbation infime de
l'ordre..."
2. On peut aussi inventer une
scène où le personnage qui entre introduit dès le début une perturbation,
une crise, qui est décrite comme au ralenti.
Nous aurions alors : "Un homme surgit
dans le café, ouvrant brutalement la porte. Le patron se retourne vers lui
lentement, sans le reconnaître.
Il l'aborde par les paroles d'usage pour prendre la commande :
"qu'est-ce qu'on vous sert ?" Ces paroles prononcées d'une voix
absente n'amènent pas de réponse immédiate, mais plutôt un regard surpris, interrogateur,
comme si l'homme ne comprenait pas ce qu'on attend de lui.
Ensuite, quelques minutes s'écoulent, le temps
est suspendu, avant que le patron ne réitère sa question. Le décalage entre sa
voix terne et le regard intense de l'homme, crispé dans l'attente d'une
reconnaissance, ne le frappe pas. Les tables vides du café brillent encore et
rien ne laisse prévoir un bouleversement, une rupture, une inflexion dans
l'ordonnance paisible et ordinaire du lieu.
Pourtant, au regard perplexe du client s'ajoute
maintenant un cri strident, qui ne peut manquer de surprendre le patron.
Il fronce les sourcils, serre les points et s'apprête à demander à l'intrus ce
qui lui arrive. Le moment de surprise s'étire aussi. Le silence qui suit le cri
s'étend.
Arraché à son déroulement ordinaire, la journée change
de nature, elle se tord dans la direction indiquée par le cri, celle
d'une douleur sourde, révélée au grand jour."
IV - LES FAUSSES PISTES
Il ne
fallait pas se contenter d'inventer l'irruption d'un personnage surprenant dans
un décor gris, en négligeant les caractéristiques narratologiques et
stylistiques.
Il ne fallait pas oublier que tout semble se dérouler avec un grande lenteur,
et que l'attention portée aux détails : lieu, éclairage, gestes, est fondamentale
dans ce texte.