Le sujet 2008 - Bac S - Philosophie - Dissertation |
Avis du professeur :
Un sujet sur l'art c'est toujours une chance, on peut piocher
dans ses connaissances pour développer ses idées. |
L'art transforme-t-il notre conscience du réel ?
I – analyse du sujet ET DE SES DIFFICULTES
Il fallait être attentif à ne pas transformer
le sujet. On ne pose pas ici la question du rapport entre art et réalité (l'art
transforme-t-il le réel) mais celle du rapport entre l'art et la conscience que nous avons de la réalité.
Il s'agit donc bien d'analyser les effets que produisent les œuvres d'art sur
le rapport que nous entretenons avec la réalité via
la conscience.
Sous une apparente simplicité, le sujet comportait donc un piège. Son
traitement exigeait une analyse rigoureuse des termes du sujet.
Le sujet invite donc à examiner si la rencontre avec les œuvres d'art modifie
la conscience que nous avons du réel.
Le terme d'art a ici un sens restreint :
il renvoie à l'ensemble des productions artistiques, à la sphère des beaux-arts.
La conscience est ici entendue comme rapport au réel, comme le moyen par lequel l'homme se
rapporte au monde pour le sentir, le penser ou même l'imaginer.
Il s'agit donc d'interroger la thèse selon laquelle l'art transformerait notre
conscience du réel, ce qui suppose au préalable d'examiner ce que signifie une
telle affirmation.
On a coutume de dire que l'art transforme le réel par la représentation qu'il
en donne. Ainsi un tableau de paysage d'un grand maître, Van Gogh par exemple,
ne nous donne pas à voir le paysage tel que nous le percevrions si nous
l'avions sous les yeux, mais la vision qu'en a le peintre. Autant que la
réalité du paysage, c'est son point de vue que nous offre le tableau, autrement
dit une représentation "transfigurée" de la réalité. Il s'agit donc
d'examiner si la contemplation de ce paysage de Van Gogh, les Carrières de
Bibemus par exemple, transforme la conscience, la représentation que nous
en avons. Les Carrières m'apparaissent-elles sous le même jour avant et
après que j'ai eu l'occasion de voir la représentation qu'en a donné Van Gogh ?
A travers cet exemple, on voit que c'est le pouvoir des œuvres d'art à
transformer notre vision du monde, à lui ouvrir de nouveaux horizons qui est
questionné.
Cela suppose donc en un sens que l'artiste a, parmi d'autres talents, celui de
renouveler la perception ordinaire que nous avons du réel. Un tel point de vue
est-il recevable ?
Toutes les œuvres d'art ont-elles ce pouvoir ?
Il faut donc être attentif à centrer l'analyse sur la relation œuvre- spectateur
et ne pas s'égarer dans des développements sur ce qui, par exemple, distingue
une œuvre d'art des autres artefacts humains ou dans des considérations sur les
rapports entre art et beauté.
II - LA PROBLEMATIQUE
Il était intéressant de montrer que la thèse selon laquelle
l'art transforme notre conscience du réel ne va pas de soi.
Si on se rappelle que l'art a été pendant longtemps défini comme imitation de
la nature, il est difficile de comprendre, dans un tel cadre, comment et en
quoi il peut transformer la conscience que nous en avons.
On peut aussi rappeler, dans une toute autre perspective, que l'art pictural
s'affranchit dès le XIXe siècle d'une vision représentative.
Est-il envisageable d'affirmer qu'un tableau abstrait de Kandinsky ou Mondrian
qui n'a plus de relation avec la perception que nous avons du réel, peut
transformer la conscience que nous en avons ? Certes, il nous transporte
dans une autre réalité que nous pourrions qualifier d'imaginaire mais nous
avons alors perdu de vue la réalité empirique, celle que nous offre notre
perception sensible du réel.
On pourrait trouver d'autres exemples qui invitent à problématiser
cette idée assez répandue que l'art transforme notre conscience du réel.
Ce qui est ici en jeu c'est le sens même de la
production artistique : nous reconduit-elle au réel pour nous en offrir
une vision inédite ou s'affranchit-elle du réel -celui de la perception
empirique- pour nous transporter dans un monde imaginaire (dans ce cas peut-on
encore dire qu'elle transforme notre conscience du réel ?).
III - LES PISTES DE REFLEXION et de développement
1. Pour examiner si l'art peut transformer la
conscience, c'est-à-dire la représentation que nous avons du réel, on pouvait
commencer par examiner ce qu'il en est de la représentation
artistique et de son rapport au réel.
On a défini dès l'Antiquité l'art comme imitation. Un art imitatif a-t-il les
moyens de transformer notre rapport à la réalité ?
Les analyses d'Aristote dans la Poétique
montre bien que le travail de l'artiste ne se limite pas à une stricte
reproduction de la nature. Le travail de l'artiste réside précisément dans une
mise en forme du réel, dans un travail d'épure qui consiste à distinguer entre
l'essentiel et l'accessoire pour ne garder de la réalité, que ce qui est
véritablement signifiant. Par cette "transformation" de la réalité,
l'artiste donne au spectateur une représentation inédite de la réalité :
ainsi la tragédie donne-t-elle une intelligibilité à une réalité qui se donne à
la perception empirique comme une succession de faits chaotiques. On comprend,
dans cette perspective, que l'œuvre d'art a une portée cognitive : elle
permet au spectateur de comprendre ce que sa perception du réel lui présente
comme un enchevêtrement de faits sans lien.
Il y a donc bien un pouvoir de l'art qui, par la vertu de la mise en forme
d'une matière -son, couleur, mot- en délivre une présentation dotée d'une
intelligibilité absente de la réalité.
2. On pouvait aussi comprendre la transformation de
la conscience de la réalité comme un élargissement du champ de la conscience.
Bergson montre ainsi dans Le Rire que la vertu des œuvres d'art
tient à ce qu'elle nous dévoile des aspects de
la réalité que notre perception ordinaire, entièrement subordonnée à des visées
pragmatiques, nous cache.
Ainsi les œuvres d'art n'ont pas tant pour effet de transformer la réalité que
de la donner à voir, à entendre comme jamais nous ne le faisons dans le cours
de la vie ordinaire. La rencontre avec les œuvres est donc pour le spectateur
l'occasion de découvrir dans la texture même du réel ce qu'il n'avait jamais vu
ou entendu.
On comprend ainsi pourquoi Oscar Wilde affirme que c'est "la nature qui imite
l'art" : notre perception du réel est informée et transformée par ces
œuvres qui hantent notre mémoire au point que nous voyons parfois le réel à
travers les représentations que nous en donnent les œuvres d'art.
3. Il était intéressant aussi d'analyser ce qui fait
la spécificité de la relation esthétique afin de montrer en quoi elle
transforme notre rapport au réel. Les analyses de Kant dans la Critique de la
faculté de juger montrent que le rapport aux œuvres d'art
n'est pas subordonné à un désir de consommation ou d'utilité : il est
selon lui fortement désintéressé au sens où ce n'est pas l'existence de l'objet
qui est ici en jeu mais la représentation qu'il suscite chez le spectateur. Les
œuvres d'art établissent donc des conditions propices à un rapport de
contemplation où n'entre en compte aucun intérêt empirique. Le pouvoir de l'œuvre
d'art ne consiste par tant à offrir une autre représentation du réel qu'à
changer les conditions du rapport à la réalité.
Les différentes analyses permettaient ainsi de montrer que les œuvres d'art
transforment notre conscience du réel selon des modalités variées. C'est bien
le sens de l'art que de n'être pas seulement la manifestation d'une virtuosité
technique mais de nous permettre de comprendre le réel selon d'autres voies que
celles de la science et de l'action.