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Annales gratuites Bac ES : Histoire et jugement

Le sujet  2010 - Bac ES - Philosophie - Dissertation Imprimer le sujet
Avis du professeur :
Le sujet porte sur l'histoire comme connaissance et le rôle qu'y tient le jugement de l'historien qui, bien évidemment, ne peut connaître le passé qu'à partir du présent.
C'est un sujet classique mais difficile. Il suppose en effet que l'on puisse donner des exemples de relecture du passé à partir du présent, que l'on puisse également faire la part de la connaissance et du jugement dans la connaissance historique.
LE SUJET

Le rôle de l’historien est-il de juger ?



LE CORRIGÉ



l’analyse du sujet

En dépit de son apparente simplicité, ce sujet est difficile car il exige de bien connaître la démarche de l’historien et de définir de façon précise et rigoureuse la notion de jugement.

Le sujet porte bien sûr en premier lieu sur l’histoire mais il est utile de convoquer, pour le traiter, le couple expliquer/comprendre qui figure dans les repères du programme.

Il faut impérativement éviter de donner une réponse avant d’avoir pris le temps d’examiner ce qui caractérise le travail de l’historien, ce qui définit son objet. Si l’on définit l’histoire comme une connaissance, il faut alors analyser ce que l’on entend par jugement.

Juger, c’est dans un sens premier et courant, avoir une opinion, un avis, une idée. Dans ce premier sens, la question est de savoir sur quoi se fonde cet avis ; différents cas de figure sont envisageables : ce peut être l’expérience ou la connaissance construite selon une méthode ou une démarche rigoureuse.

Dans toute connaissance, le jugement joue ainsi un rôle fondamental puisqu’il permet d’énoncer en même temps qu’un fait, la vérité de ce fait, en l’occurrence dans le cas de l’historien, un fait historique. Il faut donc examiner ce que les historiens entendent par fait historique.

Juger, c’est aussi se prononcer sur la valeur de quelque chose : « tel acte est bon », « telle œuvre est belle » sont ce que l’on appelle des jugements de valeur. Il s’agit alors d’un jugement qui porte une appréciation sur la réalité.



La problematique

Si l’histoire se définit comme connaissance, voire comme science du passé, il faut alors examiner si le jugement a une place dans la démarche de l’historien et à quelle condition il intervient dans cette connaissance.

On dit souvent que l’historien se doit d’être objectif, ce qui revient à dire que son rôle est de nous donner une connaissance objective du passé, ce qui signifie qu’elle doit être à la fois impartiale (il n’a pas à prendre parti) et vraie, c’est-à-dire conforme aux événements qu’il restitue.

Dès lors, il faut se demander si le jugement est compatible avec ces deux exigences. Compte tenu des différents sens auxquels renvoie la notion de jugement, il faut donc analyser à quelle condition l’acte de juger répond aux exigences de la connaissance historique.

Si l’on entend par jugement le fait de donner son avis ou son opinion, ne faut-il pas dire que c’est précisément la tâche de l’historien de se déprendre de l’opinion (entendue comme simple conviction personnelle ou comme croyance) au nom de la valeur d’objectivité à laquelle l’histoire doit répondre en tant que connaissance ?

Mais si on entend par jugement, l’acte de juger c’est-à-dire une opération de l’esprit par laquelle se construit une connaissance, alors le jugement devient constitutif du travail de l’historien. N’est-ce pas, en effet, le jugement qui est à l’œuvre lorsque l’historien procède à l’étude critique des documents à partir desquels il écrit l’histoire ? N’est-ce pas encore le jugement qui permet d’établir des relations entre les faits, de donner au cours des événements passés une intelligibilité ? Dans cette perspective, le jugement apparaît bien comme indispensable à la constitution d’une véritable connaissance.

Enfin, si l’on comprend le jugement comme un jugement de valeur, peut-on encore affirmer que c’est le rôle de l’historien de juger ? L’historien peut-il laisser sa subjectivité s’exprimer à travers des jugements qui dépasseraient le but de l’histoire, celui de comprendre le passé, et qui consisteraient à porter une appréciation sur les événements qui ont eu lieu, par exemple en déplorant le cours qu’un événement a pu donner à l’Histoire ? La question peut se poser autrement : l’historien qui cherche à rendre le passé intelligible peut-il être engagé ? N’a-t-il pas, en tant qu’historien, un devoir de réserve, ou du moins, le devoir de bien séparer ce qui relève de sa démarche scientifique d’historien de ce qui relève d’un parti-pris dû, par exemple, à un engagement politique personnel ?

Autant de questions qui constituent des axes de questionnement destinés à permettre d’analyser à quelle(s) condition(s), il revient à l’historien de juger.



La boite A OUTILS

Sur l’exigence d’impartialité de l’historien, on rappellera la phrase de Fénelon qui revendique l’objectivité de l’historien : « le bon historien n’est d’aucun lieu, ni d’aucun temps. »

On pourra aussi évoquer une conception plus complexe de l’objectivité, entendue non plus comme neutralité mais comme produit d’une connaissance construite méthodiquement : si l’histoire ne se réfère pas au modèle de vérité qui est celui des sciences physiques, elle ne laisse pas pour autant libre cours à la subjectivité de ceux qui la construisent comme le montre Paul Ricoeur : « est objectif ce que la pensée méthodique a élaboré, mis en ordre, compris et ce qu’elle peut ainsi faire comprendre ».

Sur la démarche de l’historien, on pouvait utiliser avec profit la réflexion que les historiens eux-mêmes ont conduite sur leur discipline. C’était aussi l’occasion de montrer qu’il existe différentes démarches qui engagent différentes conceptions de l’histoire et qui ont été l’objet de débat entre les historiens. Ainsi, on pouvait évoquer l’histoire événementielle telle qu’elle a été défendue par Seignobos qui admet d’ailleurs que dans la masse des événements, l’historien doit faire des choix et la nouvelle histoire apparue dans les années 1960 avec Fernand Braudel qui reconsidère le rôle de l’événement pour l’inclure dans une histoire au temps long (Ecrits sur l’histoire) ou encore Lucien Febvre qui montre que le fait historique est construit (Vers une autre histoire).

De telles divergences ne débouchent aucunement sur un relativisme qui reviendrait à dire que chaque historien a sa conception personnelle du passé dans la mesure où il s’agit toujours de démarches élaborées méthodiquement et de manière critique, c’est-à-dire accompagnées d’un questionnement systématique des critères qui sous-tendent ces démarches.



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