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Annales gratuites Bac S : Justice, coutume et vérité.

Le sujet  2010 - Bac S - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
Avis du professeur :
Le texte de Hobbes porte sur la justice et analyse de façon serrée les rapports qu'entretient la justice avec la coutume d'une part, avec la vérité d'autre part.
Le commentaire du texte de Hobbes n'est pas des plus simples. Il pense la justice en rapport avec la coutume alors que les candidats sont davantage habitués à penser la justice en rapport avec la loi. Il faudra donc qu'ils se montrent capables d'une certaine gymnastique intellectuelle pour ne pas s'égarer.
LE SUJET

Expliquez le texte suivant :

L’ignorance des causes et de la constitution originaire du droit, de l’équité, de la loi et de la justice conduit les gens à faire de la coutume et de l’exemple la règle de leurs actions, de telle sorte qu’ils pensent qu’une chose est injuste quand elle est punie par la coutume et qu’une chose est juste quand ils peuvent montrer par l’exemple qu’elle n’est pas punissable et qu’on l’approuve. […] Ils sont pareils aux petits enfants qui n’ont d’autre règle des bonnes et des mauvaises manières que la correction infligée par leurs parents et par leurs maîtres, à ceci près que les enfants se tiennent constamment à leur règle, ce que ne font pas les adultes parce que, devenus forts et obstinés, ils en appellent de la coutume à la raison, et de la raison à la coutume, comme cela les sert, s’éloignant de la coutume quand leur intérêt le requiert et combattant la raison aussi souvent qu’elle va contre eux. C’est pourquoi la doctrine du juste et de l’injuste est débattue en permanence, à la fois par la plume et par l’épée. Ce qui n’est pas le cas de la doctrine des lignes et des figures parce que la vérité en ce domaine n’intéresse pas les gens, attendu qu’elle ne s’oppose ni à leur ambition, ni à leur profit, ni à leur lubricité. En effet, en ce qui concerne la doctrine selon laquelle les trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles d’un carré, si elle avait été contraire au droit de dominer de quelqu’un, ou à l’intérêt de ceux qui dominent, je ne doute pas qu’elle eût été, sinon débattue, en tout cas éliminée en brûlant tous les livres de géométrie, si cela eût été possible à celui qui y aurait intérêt.



HOBBES, Léviathan





LE CORRIGÉ

Présentation du texte

Ce texte de Hobbes met en rapport les notions de Droit et de Justice d’un côté, de Vérité et de Raison de l’autre. Il peut indirectement aussi se référer à la notion de Démonstration, et à celle de Culture (à travers les termes de coutumes et d’éducation).

Il s’agit d’un texte très riche, donc difficile au sens où il demande de mettre en relation beaucoup de connaissances qui sont souvent évoquées indépendamment les unes des autres, et où certaines idées importantes ne sont pas tout à fait explicites. La thèse de l’auteur est complexe. En revanche, la structure logique du texte ne présente pas de difficulté majeure.

L’Idee principale du texte

Le texte porte sur la raison pour laquelle le juste et l’injuste sont renvoyés au domaine de l’opinion et de la coutume, et ne sont pas considérés comme des objets de connaissance.

Le problème du texte est de savoir si on peut en matière de justice parvenir à la vérité, au sens où on parviendrait à des propositions indiscutables, comme en mathématiques ; ou si au contraire la justice est condamnée à être relative et fluctuante en fonction des intérêts de chacun. Auquel cas le droit pourrait être finalement défini comme l‘intérêt de celui qui domine.

L’auteur y défend l’idée selon laquelle ce que les hommes visent à travers la définition du juste et de l’injuste (et donc dans l’élaboration du droit) ce sont surtout leurs intérêts. Leur but n’est donc pas de définir ce qui est juste, en vérité, mais bien de définir le droit en fonction de leur propre désir de domination. Ceci est dû, d’après Hobbes, à l’ignorance dans laquelle nous sommes de l’origine et des causes du droit.

Les notions et concepts du texte

Les causes et la constitution originaire du droit : on distingue habituellement « cause » et « origine ». Ici Hobbes associe les deux, ce qui laisse penser que c’est dans l’origine du droit que l’on trouverait sa cause. Difficile de comprendre cette idée sans la référer à la doctrine de Hobbes sur l’état de nature, selon laquelle les hommes ne peuvent survivre dans la nature s’ils ne constituent pas un Etat qui les domine.

Le droit : permet de définir ce qui est juste ou injuste, dans un Etat. Il est déterminé par la loi, elle-même faite par les hommes (le texte parle du droit positif, manifestement, et non du droit naturel). Il désigne ce qui devrait exister et s’oppose au fait, qui désigne ce qui existe en réalité.

Le texte met sur un même plan « équité », « loi » droit » et « justice » : Si les trois derniers termes désignent l’ordre juridique, l’équité désigne un sens de la justice qui tient moins à la lettre de la loi qu’à son esprit, et permet de compenser la rigueur des lois.

La coutume, c’est ce qu’on a l’habitude de faire dans une société donnée. Faire dépendre le droit de la coutume, c’est donc juger « comme on l’a toujours fait ». C’est considérer comme juste « ce qui se fait » et injuste »ce qui ne se fait pas », ceci étant déterminé par les modes de vies, et transmis par l’éducation.

La raison est la faculté de juger par soi-même du vrai et du faux, et du bien et du mal : un conflit est donc possible entre la raison et la coutume.

« par la plume et par l’épée » : cette expression imagée désigne les deux moyens possibles pour régler un désaccord : soit le débat, la discussion, qui prend ici la forme d’un écrit (la plume), soit la force et la guerre (l’épée).

« la doctrine des lignes ou des figures » : il s’agit des mathématiques.

L’intérêt, (auquel se rapporte le profit, l’ambition et la lubricité) : c’est ce que chacun recherche pour lui-même (quand il s’agit de l’intérêt privé, comme c’est le cas dans le texte), pour son confort, son plaisir. Manifestement, dans le texte, la meilleure façon pour chacun de satisfaire son intérêt personnel est de dominer les autres.

La structure du texte

Le texte peut être divisé en trois parties :

Dans la première (l.1-5) Hobbes met en évidence le lien entre l’ignorance des hommes sur l’origine du droit, et le fait qu’ils s’en remettent à la coutume pour juger du juste et de l’injuste (on peut alors penser que si les hommes connaissaient l’origine du droit, alors ils pourraient connaître véritablement la nature du juste et de l’injuste).

Pour expliquer davantage cette idée, Hobbes utilise ensuite une comparaison entre les hommes et les enfants : dans les deux cas le fait engendre le droit, c’est-à-dire que l’on considère que ce qui est punissable c’est ce que l’on punit habituellement : les enfants considèrent comme mal ce qui est puni par les parents, et les hommes considèrent comme injuste ce qui est puni par la loi, ou ce qui est condamné socialement. Cependant Hobbes introduit une distinction entre les enfants et les hommes : les enfants sont faibles et n’ont pas l’usage de la raison, alors que les hommes son forts et obstinés, et possèdent l’usage de leur raison : cela leur permet de remettre en cause la coutume, en fonction de leur intérêt. Par exemple, ils peuvent décider qu’il est juste de mentir, si le mensonge les arrange dans une situation donnée, alors qu’il est d’usage de condamner le mensonge.

Dans la dernière partie du texte, Hobbes tire les conséquences de ce qu’il a avancé jusque là (« c’est pourquoi ») : les hommes débattent sur la justice comme si elle était affaire d’opinion, alors qu’il ne leur viendrait pas à l’idée de discuter d’une vérité mathématique. On pourrait penser que Hobbes oppose ici le domaine des mathématiques et le domaine du droit, parce que l’un est de l’ordre du démontrable et l’autre non, mais en réalité, il oppose les deux en ce que l’un laisse les hommes indifférents (mathématiques) alors que l’autre met en jeu les intérêts des hommes. Il donne un exemple issu de la géométrie (les trois angles du triangle sont toujours égaux à deux angles droits) : cette vérité n’a pas de conséquences pour les hommes, alors que le fait de décréter injuste que l’un ait plus que les autres, cela a des conséquences immédiates pour chacun (par exemple l’obligation pour les uns de donner une partie de ce qu’ils possèdent pour rétablir une égalité ! On peut prendre l’exemple du système des impôts pour le comprendre.) Hobbes termine cette partie en affirmant, comme conséquence logique de ce qui précède, que si une règle de mathématiques allait contre l’intérêt d’un homme puissant, elle serait immédiatement rejetée, malgré sa vérité ! (on pourrait penser à la manière dont certaines vérités on été condamnées dans l’histoire : Galilée par exemple, condamné à abjurer par l’Eglise, qui se voyait menacée dans ses intérêts par la science nouvelle).

Quelques pistes pour discuter le texte

Le texte peut faire l’objet de nombreuses discussions, selon les connaissances de chacun. En voici quelques unes :

On pouvait remettre en cause l’idée que les hommes ne cherchent pas la vérité mais toujours leurs intérêts personnels : il s’agit d’un problème classique, mais qui tire le texte vers le problème du rapport de l’homme à la vérité. On peut évoquer la référence à Aristote, selon lequel les hommes cherchent la vérité pour elle-même, et pour satisfaire leur curiosité.

Il y a aussi une discussion sur le caractère démontrable ou non de ce qui est juste ou injuste : puis-je faire dépendre le juste de mon intérêt, ou y a-t-il une manière rationnelle et objective de déterminer ce qui est juste. La référence à Kant et à sa loi morale, fondée sur la raison, pouvait être utile.

Un troisième axe critique serait de savoir si l’on peut ou non connaître l’origine du droit, et si cette connaissance permettrait de sortir de la relativité en matière de justice. La référence à Pascal peut alors être intéressante, sur le fait que le droit est toujours variable en fonction des pays et des époques (« justice en deçà des Pyrénées… »).



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