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Annales gratuites Bac ES : Texte de Spinoza

Le sujet  1998 - Bac ES - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
LE SUJET

Dégagez l'intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée.

Pour parvenir à garder un autre individu en sa puissance, on peut avoir recours à différents procédés. On peut l'avoir immobilisé par des liens, on peut lui avoir enlevé ses armes et toutes possibilités de se défendre ou de s'enfuir.

On peut aussi lui avoir inspiré une crainte extrême ou se l'être attaché par des bienfaits, au point qu'il préfère exécuter les consignes de son maître que les siennes propres, et vivre au gré de son maître qu'au sien propre.

Lorsqu'on impose sa puissance de la première ou de la seconde manière, on domine le corps seulement et non l'esprit de l'individu soumis.

Mais si l'on pratique la troisième ou la quatrième manière, on tient sous sa dépendance l'esprit aussi bien que le corps de celui-ci. Du moins aussi longtemps que dure en lui le sentiment de crainte ou d'espoir. Aussitôt que cet individu cesse de les éprouver, il redevient indépendant.

Même la capacité intérieure de juger peut tomber sous la dépendance d'un autre, dans la mesure où un esprit peut être dupé par un autre. Il s'ensuit qu'un esprit ne jouit d'une pleine indépendance, que s'il est capable de raisonnement correct.

On ira plus loin. Comme la puissance humaine doit être appréciée d'après la force non tant du corps que de l'esprit, les hommes les plus indépendants sont ceux chez qui la raison s'affirme davantage et qui se laissent davantage guider par la raison.

En d'autres termes, je déclare l'homme d'autant plus en possession d'une pleine liberté, qu'il se laisse guider par la raison.

SPINOZA

LE CORRIGÉ

I - LES DONNEES DU PROBLEME

SPINOZA détaille dans ce texte les conditions concrètes d'une liberté, en dégageant trois niveaux d'aliénation ou de libération :

- l'esprit peut être libre alors que le corps est contraint.
- l'esprit peut être lui-même contraint.
- enfin l'esprit peut, comme le corps, se libérer lui-même.

Il va de soi que cette distinction recouvre une gradation : la seule véritable liberté passe par la libération intellectuelle ou spirituelle.


II - LES GRANDES LIGNES DU TEXTE

Le texte se compose de trois parties.

Dans la première (premier alinéa), SPINOZA détaille deux niveaux de la contrainte (contrainte purement extérieure et contrainte intériorisée).

Dans la seconde (première moitié du second alinéa), l'auteur évoque une aliénation strictement intérieure, liée à l'illusion.

Dans la dernière partie (depuis "On ira plus loin"), SPINOZA tire une conclusion générale sur les conditions d'une libération véritable, qui suppose l'usage de la raison.


III - UNE DEMARCHE POSSIBLE

1 - SPINOZA conduit son lecteur vers une thèse morale et métaphysique grâce à une stratégie logique aisément identifiable : il semble poser un simple problème pratique et concret, celui de savoir comment réduire un homme à l'obéissance.

Cette question n'est cependant qu'un biais pour découvrir chez l'homme les conditions d'une véritable liberté.

En figurant d'abord la condition de l'esclave, SPINOZA incite l'esprit de son lecteur au souci de la liberté, et révèle la nature cachée de la bêtise et de l'illusion, qui sont elles aussi, et malgré les apparences, des formes d'esclavage.

L'auteur décrit donc dans un premier temps la condition la plus simple et la plus évidente de l'asservissement : la contrainte directe exercée sur le corps.

Entraver les mouvements d'un corps et le priver factuellement de sa puissance permet de le posséder comme une "chose" dépourvue de liberté.

Mais à cette forme de contrainte, SPINOZA ajoute une forme plus subtile et plus médiate, elle aussi strictement conforme à l'expérience la plus concrète.

On peut, en effet, mettre un homme à sa merci, non pas par la contrainte véritable ou toute autre forme d'action sur son corps, mais par la promesse ou la menace d'une telle action (bienfaits ou sévices à venir).

On peut illustrer cela par les ruses de Don Juan multipliant les fausses promesses à l'égard de ses conquêtes ou de son créancier Monsieur Dimanche, ou par ces menaces qui permettent aux racketteurs de s'enrichir.

Or, dans ces différents cas, celui qui aliène l'autre y parvient sans rien faire concrètement ou matériellement, mais simplement en créant un état d'esprit, une croyance.

En effet, le plus souvent, lorsque nous nous représentons une contrainte, nous ne faisons que croire à cette contrainte, nous ne l'éprouvons pas directement.

Or cette croyance (crainte ou espoir) nous fait agir aussi bien, et à moindres frais, qu'une action réelle sur notre condition matérielle.


2 - Cette démonstration n'est cependant pas l'objet véritable de l'analyse de SPINOZA : il s'agit d'introduire "naturellement" l'idée d'un asservissement de l'esprit, d'abord sous une forme aisément compréhensible et concevable par tous (la crainte, l'espoir), pour pouvoir ensuite évoquer une forme plus méconnue et paradoxale d'asservissement de l'esprit, à savoir l'illusion.

"Même la capacité intérieure de juger" peut être asservie : il faut apercevoir la portée de cette formule, qui va au-delà des remarques du premier alinéa. Persuader une homme, par le moyen de tels ou tels signes extérieurs, qu'il encourt une menace, est une façon de modifier son état d'esprit pour en obtenir quelque chose.

Mais créer une illusion est autre chose : il s'agit de produire une croyance sans rapport logique avec les causes objectives de cette croyance. Si, par exemple, je fais perdre à quelqu'un ses moyens physiques ou intellectuels en l'humiliant, j'aurai acquis une emprise en créant une illusion, celle de son infériorité ou de son incapacité.

Je n'aurai même plus besoin, alors, de le menacer pour le dominer.


3 - On peut trouver bien d'autres exemples d'illusions, qui tous auront en commun de diminuer la liberté du sujet en s'appuyant sur deux choses :

- nous agissons non seulement d'après ce qui est, mais d'après ce que nous croyons (c'est-à-dire, par exemple, d'après nos prévisions pour l'avenir).
- notre croyance peut se fonder sur un faux jugement aussi bien que sur un vrai, elle n'en produira pas moins un certain comportement de notre part.

Par exemple, si l'on me convainc que la rébellion contre l'autorité politique sera châtiée par une puissance surnaturelle, je serai aussi bien, sinon mieux, réduit à l'impuissance que par la menace de la prison ou du gibet.

SPINOZA a ainsi amené son lecteur où il voulait le conduire : contrairement à ce qu'imagine l'opinion commune, la liberté véritable ne passe pas par l'affranchissement à l'égard de toute discipline intellectuelle, mais au contraire par l'usage de la raison.

Pour le comprendre, il suffit d'approfondir l'analyse du phénomène de l'illusion : faute d'une force intellectuelle qui s'y oppose, un certain nombre de puissances psychologiques (paresse, désir, amour-propre) agissent en permanence sur l'esprit et entravent la faculté de juger et, au final, empêchent l'exercice d'une véritable liberté.

Comme l'écrit ROUSSEAU, "La soumission à l'instinct est esclavage, et l'obéissance à la loi que l'on s'est prescrite est la véritable liberté".


V - DES REFERENCES POSSIBLES

SPINOZA, Traité théologico-politique

ROUSSEAU, Du contrat social

KANT, Fondements de la métaphysique des moeurs.


VI - LES FAUSSES PISTES

La difficulté était d'apercevoir l'objet véritable de la démonstration : non pas les "techniques" de l'asservissement d'un homme par un autre - voire, ce que l'on trouvera certainement dans les mauvaises copies, l'indignation à l'égard de l'idée même de l'asservissement.

Mais il fallait saisir le caractère aliénant et asservissant d'un mauvais usage du jugement, d'une absence de raison et d'intelligence.


VII - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR

C'est un texte difficile parce que son intérêt philosophique pouvait être masqué par une problématique apparente et superficielle. En revanche, à ceux qui auront su découvrir la stratégie de l'auteur, le texte aura révélé un beau raisonnement, subtil et fort pédagogique.

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