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Annales gratuites Bac 1ère L : Texte de Jules Vallès

Le sujet  1996 - Bac 1ère L - Français - Commentaire littéraire Imprimer le sujet
LE SUJET

Rien, une règle, des plumes rouillées, un bout de ficelle, un petit jeu de dames, le cadavre d'un lézard, une agate(1) perdue.
Dans une fente, un livre : j'en vois le dos, je m'écorche les ongles à essayer de le retirer. Enfin, avec l'aide de la règle, en cassant un pupitre, j'y arrive ; je tiens le volume et je regarde le titre :

ROBINSON CRUSOE

Il est nuit.
Je m'en aperçois tout d'un coup. Combien y a-t-il de temps que je suis dans ce livre ? Quelle heure est-il ?
Je ne sais pas, mais voyons si je puis lire encore ! Je frotte mes yeux, je tends mon regard, les lettres s'effacent, les lignes se mèlent, je saisis encore le coin d'un mot, puis plus rien.
J'ai le cou brisé, la nuque qui me fait mal, la poitrine creuse : je suis resté penché sur les chapitres sans lever la tête, sans entendre rien, dévoré par la curiosité, collé aux flancs de Robinson, pris d'une émotion immense, remué jusqu'au fond de la cervelle et jusqu'au fond du coeur ; et en ce moment où la lune montre là-bas un bout de corne, je fais passer dans le ciel tous les oiseaux de l'île, et je vois se profiler la tête longue d'un peuplier comme le mât du navire de Crusoe ! Je peuple l'espace vide de mes pensées, tout comme il peuplait l'horizon de ses craintes ; debout contre cette fenêtre, je rêve à l'éternelle solitude et je me demande où je ferai pousser du pain ...
La faim me vient : j'ai très faim.
Vais-je être réduit à manger ces rats que j'entends dans la cale de l'étude ? Comment faire du feu ? J'ai soif aussi. Pas de bananes ! Ah ! lui, il avait des limons frais ! Justement j'adore la limonade !

Clic, clac ! On farfouille dans la serrure.
Est-ce Vendredi ? Sont-ce des sauvages ?
C'est le petit pion qui s'est souvenu, en se levant, qu'il m'avait oublié, et qui vient voir si j'ai été dévoré par les rats, ou si c'est moi qui les ai mangés. Il a l'air un peu embarrassé, le pauvre homme ! Il me retrouve gelé, moulu, les cheveux secs, la main fiévreuse ; il s'excuse de son mieux et m'entraîne dans sa chambre, où il me dit d'allumer un bon feu et de me réchauffer.

Jules VALLES, L'Enfant.


Note :
(1) agate : roche siliceuse, utilisée en joaillerie ; nom donné couramment aux billes de verre.


A - QUESTIONS

1 - Quel est l'intérêt du présent et des phrases interrogatives et exclamatives ?

2- Présentez un relevé organisé et rédigé des termes exprimant sentiments et sensations.


B - COMMENTAIRE

Vous ferez un commentaire composé.

LE CORRIGÉ

I - FICHE SIGNALETIQUE

Difficulté du sujet : Moyenne
Rareté du sujet : Sujet courant
Thèmes abordés : Le pouvoir qu'a la lecture de transformer la réalité. L'identification du lecteur au héros de roman.
Compétences requises : Rigueur du relevé qui doit être exhaustif et sûreté dans l'identification des indices grammaticaux et lexicaux.
Activités demandées :
- Commenter l'emploi, dans le texte, du temps présent lié à celui des types de phrases interrogatif et exclamatif.
- Relever et ordonner en les commentant les occurrences des termes exprimant sentiments et sensations.
- Faire un commentaire composé de ce texte.


II - REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Ce passage du roman de JULES VALLES (1832-1885), L'Enfant, malgré l'humilité des notations qu'il contient, nous ouvre le monde de l'enfance, grâce à la simplicité de son vocabulaire et de sa syntaxe ; monde transfiguré par la magie de la lecture.

Ce passage, bien qu'il évoque une époque un peu lointaine pour nous, a gardé toute sa fraîcheur poétique.


III - TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

Question 1

Lors d'une lecture attentive de ce passage, nous observons que les verbes sont presque tous conjugués au temps présent "j'en vois", "je m'écorche", "j'y arrive", "je tiens...", "je regarde".

Ainsi, les verbes au présent marquent-ils une succession d'actions brèves et donnent au lecteur l'impression que l'enfant vit un moment intense, que le temps s'écoule sans qu'il en ait conscience : "Je regarde le titre" est suivi de "il est nuit".

Le présent nous permet également de participer au processus de transformation du réel que vit l'enfant : temps employé pour décrire l'action accomplie au moment où l'on parle, il rend le narrateur plus présent plus proche.

Les phrases interrogatives et exclamatives sont employées dans deux moments distincts du texte :

"Combien y a-t-il de temps... livre ?", "Quelle heure est-il ?", "Je ne sais pas... lire encore !", "Il a l'air un peu... le pauvre homme !".

Ces interrogations marquent la surprise de l'enfant devant un écoulement du temps plus rapide qu'il n'en avait conscience, celle qu'il a devant l'"air embarrassé" du "pion", ainsi que l'effort qu'il fait pour tenter de prolonger sa lecture.

Les interrogatives et les exclamatives traduisent ensuite le feu de l'aventure ainsi que le doute à propos de la nature de ce qu'il perçoit.

Dans les deux cas, ces procédés rendent le récit plus vivant et concourent, avec l'emploi du présent, à rendre l'enfant plus proche de nous, à nous faire vivre son expérience.

Question 2 :

Les termes exprimant les sentiments de l'enfant, dans ce passage, sont :

1 - Des termes généraux
"dévoré par la curiosité", "pris d'une émotion intense", "remué jusqu'au fond de la cervelle et jusqu'au fond du coeur" expliquent la plongée de l'enfant au coeur de l'action du roman (ils la précèdent).

2 - Des termes marquant l'inquiétude et l'enthousiasme
"je me demande où...", "justement j'adore la limonade !", au coeur de l'action, ils traduisent l'inquiétude de l'aventurier désirant survivre et son ardeur à surmonter les obstacles.

3 - Le dernier de ces termes
"le pauvre homme" indique, lors du retour à la vie réelle la pitié de l'enfant qui a vécu un moment exceptionnel vis-à-vis du "pion" demeuré soumis aux exigences du réel.

L'emploi de ces termes correspond aux trois moments de l'expérience de l'enfant :

Les termes exprimant les sensations qu'éprouve l'enfant marquent la douleur physique :

- Celle née de l'effort pour saisir le livre "je m'écorche", "j'y arrive" et de l'effort pour saisir la lecture, le moment de rêve éveillé "je tends mon regard... j'ai le cou brisé".
- Celle née de besoins naturels "la faim me vient, j'ai très faim", "j'ai soif aussi" marquant la prise de conscience du temps écoulé.
- Celle née de cette expérience extraordinaire de l'oubli du réel : "il me retrouve gelé, moulu, les cheveux secs, la main fiévreuse".


COMMENTAIRE COMPOSE : Plan fondé sur les étapes successives de la lecture

Le commentaire pouvait être rédigé en trois parties :

- l'étude des sentiments éprouvés par l'enfant faisait apparaître les étapes de l'expérience vécue : la curiosité et l'émotion l'attirent dans l'aventure puis la crainte et l'enthousiasme marquent le coeur de l'expérience tandis que la pitié vis-à-vis du "pion" signale le retour à la réalité.

- l'étude des sensations montrait le degré d'implication de l'enfant dans cette aventure, la douleur physique de l'effort, de la faim, de la soif ainsi que la fièvre qui accompagnent l'expérience n'étant ressentie qu'aux instants où l'enfant revient à la réalité.

- enfin, l'attention au moment où la perception de la réalité est troublée par les images et les événements du roman Robinson Crusoé permettait de voir dans ce passage une page poétique "émotion immense, remué... j'adore la limonade !" où JULES VALLES, par divers procédés d'écriture (emploi du présent, des phrases interrogatives et exclamatives, de la juxtaposition) nous permet de vivre à notre tour, le processus d'identification au personnage de roman, de participer à cette découverte d'un nouveau monde.


IV - CONNAISSANCES REQUISES

Vous deviez utiliser votre capacité à apprécier la ponctuation du texte, des procédés grammaticaux qu'il mettait en oeuvre ; être attentif au lexique utilisé pour décrire les sentiments et les sensations ainsi qu'à la manière dont ils étaient distribués dans le texte.

Une connaissance de la manière dont le problème du temps et celui de la subjectivité sont traités dans les romans pouvait également vous aider.


V - LES FAUSSES PISTES

Vous deviez nettement distinguer les divers emplois des phrases interrogatives et exclamatives : cette distinction permettant de saisir l'articulation du texte.

Il fallait bien différencier les termes exprimant les sentiments d'une part, les sensations d'une autre et examiner précisément comment ils étaient répartis dans le texte, le relevé de chacune de ces séries de termes faisant apparaître la particularité du passage.

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