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Annales gratuites Bac 1ère L : Cinq poèmes en prose. Caractéristiques du genre.

Le sujet  2006 - Bac 1ère L - Français - Questions Imprimer le sujet
Avis du professeur :

Le sujet porte sur une question plutôt technique : savoir identifier les caractéristiques du poème en prose. La deuxième partie de la question, sur la "progression" des textes est en fait l'une des caractéristiques du poème en prose.
Le sujet est très difficile : les textes sont nombreux, le sens littéral n'est pas toujours évident. La question quant à elle est plutôt technique. Le risque est de passer trop de temps sur la question.

LE SUJET


Texte A - Aloysius Bertrand, "La ronde sous la cloche", Gaspard De La Nuit

C'était un bâtiment lourd, presque carré, entouré de ruines, et dont la tour principale, qui possédait encore son horloge, dominait tout le quartier.
Fenimore Cooper

      Douze magiciens dansaient une ronde sous la grosse cloche de Saint-Jean(1). Ils évoquèrent
      l'orage l'un après l'autre, et du fond de mon lit je comptai avec épouvante douze voix qui
      traversèrent processionnellement(2) les ténèbres.

      Aussitôt la lune courut se cacher derrière les nuées, et une pluie mêlée d'éclairs et de
 5    tourbillons fouetta ma fenêtre, tandis que les girouettes criaient comme des grues en sentinelle
      sur qui crève l'averse dans les bois.

      La chanterelle(3) de mon luth, appendu à la cloison, éclata ; mon chardonneret battit de l'aile
      dans sa cage ; quelque esprit curieux tourna un feuillet du Roman de la Rose qui dormait sur
      mon pupitre.

10    Mais soudain gronda la foudre au haut de Saint-Jean. Les enchanteurs s'évanouirent frappés
      à mort, et je vis de loin leurs livres de magie brûler comme une torche dans le noir clocher.

      Cette effrayante lueur peignait des rouges flammes du purgatoire et de l'enfer les murailles
      de la gothique église, et prolongeait sur les maisons voisines l'ombre de la statue gigantesque
      de Saint-Jean.

15    Les girouettes se rouillèrent ; la lune fondit les nuées gris de perle ; la pluie ne tomba plus
      que goutte à goutte des bords du toit, et la brise, ouvrant ma fenêtre mal close, jeta sur mon
      oreiller les fleurs de mon jasmin secoué par l'orage.

(1) Saint Jean : nom de la cathédrale de Dijon. Par ailleurs, Saint Jean est l'auteur de L'Apocalypse, dernier livre de la Bible, qui décrit la fin du monde.
(2) Processionellement : à la façon d'un cortège
(3) Chanterelle : corde la plus fine et la plus aiguë d'un instrument à cordes et à manche

 

Texte B : Arthur Rimbaud "Les Ponts", Illuminations

      Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres
      descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les
      autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives chargées de
      dômes s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de
 5    masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs
      se croisent, et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être
      d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de
      concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics ? L'eau est grise et bleue, large comme
      un bras de mer. - Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.

 

Texte C : Arthur Rimbaud, "Aube", Illuminations

      J'ai embrassé l'aube d'été.

      Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombre ne
      quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les
      pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

 5    La première entreprise(1) fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui
      me dit son nom.

      Je ris au wasserfall(2) blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je
      reconnus la déesse.

      Alors, je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai
10    dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant
      comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

      En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et
      j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.

      Au réveil il était midi.

(1) La première entreprise : la première à qui je m'adressai
(2) wasserfall : chute d'eau en allemand

 

Texte D - Henri Michaux, "La Jetée", Mes propriétés, L'Espace Du Dedans

      Depuis un mois que j’habitais Honfleur, je n’avais pas encore vu la mer, car le médecin me
      faisait garder la chambre.
      Mais hier soir, lassé d’un tel isolement, je construisis, profitant du brouillard, une jetée
      jusqu’à la mer.
 5    Puis, tout au bout, laissant pendre mes jambes, je regardai la mer, sous moi, qui respirait
      profondément.
      Un murmure vint de droite. C’était un homme assis comme moi, les jambes ballantes, et qui
      regardait la mer. "A présent, dit-il, que je suis vieux, je vais en retirer tout ce que j’y ai mis
      depuis des années." Il se mit à tirer en se servant de poulies.
10    Et il sortit des richesses en abondance. Il en tirait des capitaines d’autres âges en grand
      uniforme, des caisses cloutées de toutes sortes de choses précieuses et des femmes habillées
      richement mais comme elles ne s’habillent plus. Et chaque être ou chaque chose qu’il amenait à la
      surface, il le regardait attentivement avec grand espoir, puis sans mot dire, tandis que son
      regard s’éteignait, il poussait ça derrière lui. Nous remplîmes ainsi toute l’estacade(1). Ce qu’il
15    y avait, je ne m’en souviens pas au juste, car je n’ai pas de mémoire mais visiblement ce
      n’était pas satisfaisant, quelque chose en tout était perdu, qu’il espérait retrouver et qui s’était
      fané.
            Alors, il se mit à rejeter tout à la mer.
            Un long ruban ce qui tomba et qui, vous mouillant, vous glaçait.
20          Un dernier débris qu’il poussait l’entraîna lui-même.
            Quant à moi, grelottant de fièvre, comment je pus regagner mon lit, je me le demande.

(1) estacade : digue, jetée

 

Texte E - Francis Ponge, "Le pain", Le Parti Pris Des Choses

      La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique
      qu'elle donne : comme si l'on avait à disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la
      Cordillère des Andes.
      Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire,
 5    où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses... Et tous ces plans
      dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses
      feux, sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.
      Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges :
      feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois.
10    Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des
      autres, et la masse en devient friable...
      Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de
      consommation.


Vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points) :

Comment justifiez-vous que ces textes appartiennent à la poésie ? Montrez qu'ils sont tous construits selon une progression comparable.

LE CORRIGÉ


I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET

Sujet

Contraintes

1. Comment justifiez-vous que ces textes appartiennent à la poésie ?

Le genre : connaître les caractéristiques du poème en prose.

2. Montrez qu'ils sont tous construits selon une progression comparable.

La forme, la structure d'un texte.


ATTENTION ! Vous n’avez pas le temps d’approfondir, de développer votre synthèse par une analyse fine. La question porte sur la forme des textes : en particulier sur les caractéristiques du poème en prose.

La question notée sur 4 points exige un développement bref. Il ne s’agit donc pas d’y consacrer trop de temps, mais de développer très rapidement quelques idées. Nous faisons figurer en rouge les idées essentielles.

 

II - LES DIFFERENTS TYPES DE PLANS POSSIBLES 

Le plan est contenu dans le sujet, il s'agit de répondre à une question en deux temps.

Chacune des questions demande de trouver les points communs aux cinq textes : "ces textes appartiennent à la poésie", "ils sont tous construits selon une progression comparable". Une seule méthode possible pour y répondre :

● La première, la plus complexe (parce qu'elle demande plus de travail sur le brouillon), mais la plus attendue, consiste à synthétiser : si vous avez repéré que ces poèmes sont des poèmes en prose, vous énumérez quelques éléments caractéristiques généraux, en vous appuyant sur les textes pour donner des exemples.

La seconde, la plus simple, consiste à partir de chaque texte pour en dégager les éléments caractéristiques et finir par déduire qu'il s'agit de poèmes en prose. Dans ce cas, attention : il faut de toute façon synthétiser puisqu'on vous demande de trouver les caractéristiques communes. Cette méthode est moins bonne que la première car elle peut conduire à des répétitions. Mais si vous synthétisez, pas de souci du moment que vous répondez à la question.

 

III - LES PISTES DE REPONSES

PREMIERE PARTIE : ces textes appartiennent à la poésie.

Nous vous proposons la première méthode : la méthode synthétique.

Tous ces textes appartiennent à la poésie : ce sont tous des poèmes en prose.

A – PremiEre caractEristique :

Les textes sont en prose : pas de vers, de rimes. Mais ils utilisent tout de même les ressources poétiques de la langue : musicalité, rythme, allitérations ou assonances. On peut repérer par exemple dans "les Ponts" une allitération en "l" : "circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers".

B – DeuxiEme caractEristique :

Chaque texte part d'une situation réelle que l'imagination du poète va transformer. Le point de départ du premier texte est un orage qui éclate au-dessus de la cathédrale Saint-Jean sans doute à minuit. Le poète est "au fond de [s]on lit". Dans le deuxième texte, le poète doit "garder la chambre" car il est souffrant. Il précise qu'il est à Honfleur. Ponge, lui, observe un morceau de "pain". Rimbaud, dans "Les Ponts", doit sans doute regarder le "ciel gris". Et dans "Aube", comme l'indique le titre, il observe la naissance du jour.

C – TroisiEme caractEristique :

L'imagination transforme ces situations réelles en les poétisant. Aloysius Bertrand imagine "douze magiciens" qui correspondent aux douze coups de minuit. Il a même des visions : "je vis de loin leurs livres de magie brûler comme une torche dans le noir clocher". Henri Michaux construit, depuis sa chambre, "une jetée jusqu'à la mer" : par l'imagination, il se projette donc au bord de la mer alors qu'il reste en réalité dans sa chambre. Là, il a la vision d'un homme très étrange. Ponge, partant d'un morceau de pain, finit par imaginer "les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes". Enfin Rimbaud voit dans le ciel des "ponts imaginaires", et finit même par "distingue[r] une veste rouge, d'autres costumes et instruments de musique". Enfin dans "Aube", il rencontre "une fleur" qui parle.

Pour transformer la réalité, ces écrivains ont tous recours à des images, comparaisons ou métaphores. On peut en relever quelques-unes : l'aube est métaphorisée dans le poème de Rimbaud en une déesse. Dans le poème de Ponge, la mie du pain est métaphorisée en un "lâche et froid sous-sol".

DEUXIEME PARTIE : Ils sont tous construits selon une progression comparable.

Méthode synthétique : en fait la réponse à cette question pourrait constituer une ou deux caractéristiques supplémentaires pour définir les poèmes en prose.

A - Premier ElEment de rEponse :

Tous partent de la réalité pour la transformer (cf. Deuxième caractéristique).

B - DeuxiEme ElEment de rEponse :

Ce sont tous des textes autonomes, c'est-à-dire qu'ils constituent une unité dans l'économie du recueil auquel ils appartiennent. Si en apparence ils sont narratifs, ce ne sont pas cependant des extraits de romans. Chacun fonctionne comme une petite histoire.

En particulier, ils ont tous une chute qui vient interrompre plus ou moins brutalement l'expérience poétique. L'orage se termine dans le texte A et le poète reçoit sur son oreiller, comme un message, "les fleurs de [s]on jasmin". "Les Ponts" se termine sur "un rayon blanc, tombant du haut du ciel" peut-être un rayon de soleil. Et il "anéantit cette comédie", autrement dit il interrompt le poème. "Aube" se termine par un réveil brutal : "au réveil il était midi." Michaux voit disparaître le petit homme et il regagne son lit. Il revient donc à la réalité. Enfin, Ponge interrompt sa rêverie : "brisons-la" se lit comme "brisons là."

 

IV - LES FAUSSES PISTES

 Il ne fallait surtout pas : passer trop de temps sur la question...

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