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Annales gratuites Bac 1ère L : Rencontre de Frédéric Moreau avec Mme Arnoux

Le sujet  2010 - Bac 1ère L - Français - Ecriture d'invention Imprimer le sujet
Avis du professeur :
L'invention propose une réécriture sous l'angle d'un bouleversement de l'énonciation. On passera du dialogue au monologue intérieur. La difficulté consiste à ne pas répéter simplement le texte tout en restant fidèle. Pour y parer, le sujet précise qu'il faut « se garder d'en recopier des passages. »
LE SUJET


Invention :

Réécrivez la dernière rencontre de Frédéric Moreau avec Mme Arnoux (texte C), cette fois, sous la forme d’un monologue intérieur de Frédéric qui dévoilera ses sentiments et ses pensées. Vous resterez fidèle au texte de Flaubert en vous gardant, toutefois, d’en recopier des passages.



TEXTE C – Gustave Flaubert, L'Éducation sentimentale, troisième partie, chapitre VI

Frédéric Moreau reverra Mme Arnoux, éprise de lui, mais leur union n'aura pas lieu. Vers la fin de mars 1867, des années après leur dernière rencontre, elle revient voir Frédéric chez lui. La scène se passe au retour d'une promenade.

Quand ils rentrèrent, Mme Arnoux ôta son chapeau. La lampe, posée sur une console1, éclaira ses cheveux blancs. Ce fut comme un heurt en pleine poitrine.

Pour lui cacher cette déception, il se posa par terre à ses genoux, et, prenant ses mains, se mit à lui dire des tendresses.

–Votre personne, vos moindres mouvements me semblaient avoir dans le monde une importance extrahumaine. Mon coeur, comme de la poussière, se soulevait derrière vos pas. Vous me faisiez l'effet d'un clair de lune par une nuit d'été, quand tout est parfums, ombres douces, blancheurs, infini ; et les délices de la chair et de l'âme étaient contenus pour moi dans votre nom que je me répétais, en tâchant de le baiser sur mes lèvres. Je n'imaginais rien au-delà. C'était Mme Arnoux telle que vous étiez, avec ses deux enfants, tendre, sérieuse, belle à éblouir et si bonne ! Cette image-là effaçait toutes les autres. Est-ce que j'y pensais, seulement ! Puisque j'avais toujours au fond de moi–même la musique de votre voix et la splendeur de vos yeux !

Elle acceptait avec ravissement ces adorations pour la femme qu'elle n'était plus. Frédéric, se grisant par ses paroles, arrivait à croire ce qu'il disait. Mme Arnoux, le dos tourné à la lumière, se penchait vers lui. Il sentait sur son front la caresse de son haleine, à travers ses vêtements le contact indécis de tout son corps. Leurs mains se serrèrent ; la pointe de sa bottine s'avançait un peu sous sa robe, et il lui dit, presque défaillant :

–La vue de votre pied me trouble.

Un mouvement de pudeur la fit se lever. Puis, immobile, et avec l'intonation singulière des somnambules :

–A mon âge ! Lui ! Frédéric !... Aucune n'a jamais été aimée comme moi ! Non, non, à quoi sert d'être jeune ? Je m'en moque bien ! Je les méprise, toutes celles qui viennent ici !

–Oh ! Il n'en vient guère ! reprit-il complaisamment.

Son visage s'épanouit, et elle voulut savoir s'il se marierait.

Il jura que non.

–Bien sûr ? Pourquoi ?

–A cause de vous, dit Frédéric en la serrant dans ses bras.

Elle y restait, la taille en arrière, la bouche entrouverte, les yeux levés. Tout à coup, elle le repoussa avec un air de désespoir ; et, comme il la suppliait de lui répondre, elle dit en baissant la tête :

– J'aurais voulu vous rendre heureux.

Frédéric soupçonna Mme Arnoux d'être venue pour s'offrir ; et il était repris par une convoitise plus forte que jamais, furieuse, enragée. Cependant, il sentait quelque chose d'inexprimable, une répulsion, et comme l'effroi d'un inceste. Une autre crainte l'arrêta, celle d'en avoir dégoût plus tard. D'ailleurs, quel embarras ce serait ! – et tout à la fois par prudence et pour ne pas dégrader son idéal, il tourna sur ses talons et se mit à faire une cigarette.

Elle le contemplait, tout émerveillée.

–Comme vous êtes délicat ! Il n'y a que vous ! Il n’y a que vous !

Onze heures sonnèrent.

– Déjà ! dit-elle ; au quart, je m'en irai.

Elle se rassit mais elle observait la pendule, et il continuait à marcher en fumant. Tous les deux ne trouvaient plus rien à se dire. Il y a un moment dans les séparations, où la personne aimée n'est déjà plus avec nous.

Enfin, l'aiguille ayant dépassé les vingt-cinq minutes, elle prit son chapeau par les brides, lentement.

–Adieu, mon ami, mon cher ami. Je ne vous reverrai jamais ! C'était ma dernière démarche de femme. Mon âme ne vous quittera pas. Que toutes les bénédictions du ciel soient sur vous !

Et elle le baisa au front, comme une mère.

Mais elle parut chercher quelque chose, et lui demanda des ciseaux.
Elle défit son peigne ; tous ses cheveux blancs tombèrent.

Elle s'en coupa, brutalement, à la racine, une longue mèche.

–Gardez-les ! Adieu !

Quand elle fut sortie, Frédéric ouvrit sa fenêtre. Mme Arnoux, sur le trottoir, fit signes d'avancer à un fiacre qui passait. Elle monta dedans. La voiture disparut. Et ce fut tout.




1 petit support, généralement petite table appuyée à un mur.





LE CORRIGÉ

I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET

Sujet

Contraintes

Réécrivez la dernière rencontre de Frédéric Moreau avec Mme Arnoux...

C'est une réécriture, qui doit donc s'appuyer sur un texte modèle, le texte C.

Le libellé précise qu’il s’agit de la « dernière rencontre » du couple.

...sous la forme d'un monologue intérieur de Frédéric qui dévoilera ses sentiments et ses pensées.

La contrainte formelle est d'écrire un monologue intérieur, donc d'adopter le point de vue de Frédéric (pensées rapportés au style indirect ou dans un récit en focalisation interne). Il faut révéler certaines des pensées que le texte ne livre pas, mais qui sont suggérées par le narrateur.



Caractéristiques générales du texte attendu :

Genre littéraire : roman,

Type de texte : monologue intérieur,

Enonciation : De préférence rapporté au style indirect, à la troisième personne, éventuellement au style direct, à la première personne,

Niveau de langue : courant, voire soutenu, mais pas familier.

II- PLAN ET PISTES DE REPONSES

Il est conseillé de suivre l'ordre du texte de Flaubert, même si on peut imaginer que plusieurs éléments du récit fusionnent dans la conscience du personnage. Il vaut mieux veiller à respecter chaque étape du dialogue avec Mme Arnoux et des attitudes des personnages, en suivant plus ou moins le plan suivant :

1 : Choc, 2 : perplexité, 3 : rapprochement, 4 : recul, 5 : dégoût, 6 : éloignement, 7 : séparation.

Il faut aussi être fidèle à l'évolution des sentiments du personnage de Frédéric, qui passe par des phases où il simule l’élan amoureux, et tente même de se mentir à lui-même, et par des moments de déception, qui vont se mêler progressivement à du dégoût. Le texte contient en effet deux mouvements clairs traités très différemment par Flaubert, qui passe de l’expression feinte des sentiments de son héros à une série de non-dits, d’attitudes ambiguës et énigmatiques, qui font entrevoir un Frédéric qui, après avoir menti à Mme Arnoux, s’être menti à lui-même, découvre que l’amour est mort.

Pour ce faire, il est essentiel de relever dans le texte de Flaubert les passages qui mériteront un développement dans l’écriture d’invention :

– les précisions sur les gestes du personnage (il pose un genou à terre, il tourne les talons, allume une cigarette, etc.) dans la mesure où l’attitude physique peut révéler ou cacher les pensées (« pour cacher cette déception »).

– les notations explicites où Flaubert nous livre ses pensées (« Frédéric, se grisant de ses paroles, arrivait à croire à ce qu’il disait », « il sentait quelque chose d’inexprimable, une répulsion, et comme l’effroi de l’inceste », etc.)

– Ses discours : il était possible de reprendre par exemple quelques expressions de la longue tirade initiale de Frédéric. Il pense en même temps qu’il parle.

– Les passages implicites où Flaubert ne précise pas clairement quelle est la pensée du personnage : l’adverbe « complaisamment » l. 27 (Frédéric ment sans doute : peut-être même attend-il une femme ce jour-là.). On doit donc imaginer ce qu'il ressent, quand ce n'est pas explicite dans le texte, en particulier à la fin du passage, lorsqu'il continue à marcher, en silence (pendant près de 25 minutes !).

III - TRAITEMENT DU SUJET

Le texte que nous proposons n’est qu’un exemple de traitement de sujet qui illustre l’analyse que nous en avons faite. Hors de question d’attendre d’un élève la même chose ! Ce n’est qu’une direction de travail.

Quand ils rentrèrent, Mme Arnoux ôta son chapeau. La lampe, posée sur une console, éclaira ses cheveux blancs. Pour Frédéric ce fut comme un heurt en pleine poitrine. Comment lui cacher une telle déception ? Mieux valait dissimuler un tel abattement en se prosternant à ses genoux, prendre ses mains et lui dire des tendresses. Fallait-il feindre un transport amoureux ? Se réfugier dans ses souvenirs, se rappeler que cette apparition lui faisait autrefois l’effet d’un clair de lune, se remémorer les parfums de la nuit, ses ombres suaves, ses blancheurs, l’atmosphère extrahumaine dont elle se trouvait baignée ? Tels étaient les souvenirs qui agitaient cet esprit implacable. Choisissant de prêter en pensée les délices du passé à la silhouette aux genoux de laquelle il préférait se prosterner, pour ne pas affronter son regard, il craignit qu’elle ne fût pas dupe. Il se dit que si elle semblait accepter avec ravissement le témoignage d’une telle adoration, peut-être ne savait-elle pas au fond d’elle-même que ces transports ne s’adressaient qu’à une ombre ? Qu’avait désormais l’haleine de cette femme sur son front en commun avec la fraîcheur de la jeune femme qu’il avait aimée ? Ses yeux fatigués avec la splendeur de jadis ? La musique cristalline d’une voix encore jeune avec la musique doucereuse de cette voix maternelle ? La vue de son pied le laissa de marbre. Il réprima un sourire amer. Pour dissimuler sa gêne, il rappela à lui le souvenir de l’émoi qui l’eût envahi si cette vision l’avait autrefois frappé, pour proférer : « la vue de votre pied me trouble. » La sécheresse de cette déclaration passa pour de la pudeur. Il en était conscient. En entendant Mme Arnoux manifester son trouble, se remémorer elle aussi l’adoration dont elle avait fait l’objet et se sentir si au-dessus des femmes qui à présent venaient ici, il jugea préférable de nier, sans grande conviction. Comment osait-elle lui demander s’il se marierait ? Comme lui refuser à présent un serment, une étreinte, sans encourir le risque de la voir s’effondrer ? Il se demandait, en l’entendant exprimer si ouvertement ses regrets de ne pas lui avoir fait l’amour, si elle n’était pas venue s’offrir. Un moment cette pensée tortura sa chair, vite recouverte par un sentiment de dégoût dont il avait du mal à démêler la part d’ignominie incestueuse et la répulsion au spectacle de cette femme flétrie qui, s’il la possédait, ne lui laisserait que du repentir. Il crut plus judicieux de couper court à cette étreinte en tournant les talons et de se rouler une cigarette. Sans l’avouer, il se refusait à contempler la femme dont les paroles, croyait-il, trahissaient un émerveillement de plus en plus gênant, il préféra déambuler de long en large dans la pièce. Tout en marchant, il se convainquait que leur amour était mort. Pourquoi ne s’en allait-elle pas ? Combien de temps allait-elle encore rester ? Quand il la vit se lever, s’approcher de lui, lui dire adieu, l’assurer qu’elle le voyait pour la dernière fois, il ressentit un profond soulagement. Il pencha craintivement son front qu’elle baisa comme une mère. En comprenant qu’elle semblait chercher quelque chose, il sortit de sa rêverie, saisi de crainte. Pourquoi demandait-elle des ciseaux ? Son effroi redoubla quand il la vit défaire ses cheveux, en couper à la racine une mèche dont la couleur blafarde dans le soir tomba au sol, avant de proférer quelques derniers mots d’adieu. En s’approchant de la fenêtre, pour la voir s’éloigner, il s’étonnait du soulagement qu’il ressentait. Heureusement, la jeune femme qu’il attendait avait été retardée. D’un léger signe de la main, il préféra feindre une expression mélancolique en se disant qu’il eût préféré ne pas la revoir en ces circonstances, gâcher le souvenir de leurs amours passées, et risquer d’être surpris avec cette ombre venue inopportunément lui rappeler les égarements de sa jeunesse. Heureusement la visite n’avait guère duré !

IV - LES FAUSSES PISTES

Il ne faut pas confondre monologue intérieur où peuvent se mêler des expressions au style indirect ou indirect libre à des bribes de récit en focalisation interne, et un récit à la première personne, qui, encore une fois était à la rigueur possible, mais moins dans la veine de Flaubert et donc moins souhaitable.

Les sentiments et les pensées sont celles du personnage à l'instant même où il est censé les vivre. L'exercice ne consiste donc pas seulement en un changement de point de vue.

Il ne faut pas faire trop brutalement de Frédéric un personnage cynique et froid: il est peut-être ému au début, et ses réactions montrent des nuances, une gradation qui révèle la complexité des sentiments et probablement la montée du dégoût et la prise de conscience que l’amour est mort.





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