Le film "Molière"

Si Molière est pour vous un auteur assommant, que vous avez étudié en cours de français tous les ans ou presque depuis votre entrée au collège, alors, vous êtes comme le comédien Romain Duris avant qu'il ne se prépare à devenir Molière : "Du théâtre de Molière, confie-t-il, je n'ai gardé malheureusement qu'une idée poussiéreuse, acquise à l'école. En relisant ses pièces pour préparer ce film, j'ai pris conscience de la distance abyssale entre la façon dont on nous le présentait et la vie, l'énergie que Jean-Baptiste Poquelin avait mises dans son travail."

Le film de Laurent Tirard, Molière, sorti sur les écrans en janvier 2007, est d'abord un beau film. Le soin apporté aux décors et aux costumes est digne d'éloge ; les images sont lumineuses. Mais ce film ne marque pas seulement par ses qualités esthétiques, il repose sur un scénario très original et magistralement écrit.

Imaginez Molière rencontrant ses personnages. Imaginez le comédien et l'auteur français le plus emblématique apprendre son métier aux côtés de Monsieur Jourdain, de Dorante et de Célimène. Imaginez Molière déguisé en faux dévot inventant devant vos yeux le nom de "Tartuffe". Imaginez ce qui a bien pu se passer dans la vie de Molière pendant une période de plus de 10 ans qui reste un mystère pour tous ses biographes.
C'est ce mystère que les scénaristes Laurent Tirard et Grégoire Vigneron ont voulu percer: "En lisant les biographies, nous sommes tombés sur le passage qui parle de la disparition de Molière en 1645 Nous avions envie de profiter de cette brèche dans sa vie". Laurent Tirard explique : "Molière a opéré un passage d'acteur à auteur. Son humanité nous a beaucoup parlé, et particulièrement son drame intime : avoir ce talent qu'il ne reconnaissait pas au début (comédien) et avoir envie d'un autre talent (tragédien), pour lequel il n'était pas fait. Cette frustration lui a finalement permis d'aller puiser de la profondeur dans la tragédie, qu'il a introduite dans la comédie."

Ce film nous permet d'assister à l'étrange mystère de la création. Il nous propose également une réflexion sur le théâtre ; avant d'être auteur Molière a d'abord été comédien et observateur. Laurent Tirard nous le montre ici spectateur de ses propres personnages. L'idée géniale des scénaristes a été de faire jouer aux personnages de Molière leur propre rôle et de les placer à la source de l'inspiration de leur auteur.
La mise en abîme est constante. Molière contemple le spectacle de ses contemporains qui deviendront la matière de son ?uvre. On retrouve ainsi dans le film des scènes, des répliques tirées de différentes pièces.
Et nous, spectateurs, nous voyons des personnages appartenant à notre patrimoine culturel prendre vie. Nous jubilons d'entendre à nouveau la scène du billet de Monsieur Jourdain : Belle marquise, vos beaux yeux , nous retrouvons avec délectation le Misanthrope mêlé au Bourgeois, illustré par la galère de Scapin, nous savourons d'entendre que Le petit chat est mort , nous vibrons avec Madame Jourdain transformée en véritable muse.
Le film de Laurent Tirard plonge aux sources de la création et de l'inspiration.

On rit beaucoup, mais on est aussi beaucoup ému. Fabrice Luchini incarne Monsieur Jourdain sans excès mais avec une véritable drôlerie, Laura Morante est une Madame Jourdain émouvante et d'une grande finesse. On retrouve Edouard Baer, excellent Dorante et Ludivine Sagnier délicieuse Célimène. Enfin, Romain Duris, présent à l'écran dans presque toutes les scènes, nous fait vibrer avec son personnage, il nous donne l'image d'un Molière moderne, avec ses doutes mais aussi toute sa fougue, il dépoussière l'idée qu'on peut se faire de Molière grâce à un travail d'acteur remarquable. Certaines scènes sont dignes d'anthologie, comme celles des cours de théâtre dispensés à Monsieur Jourdain.

Ce n'est pas un film supplémentaire sur la vie de Molière. Allez le voir sans crainte d'être ennuyé par un sujet qui vous semblerait trop scolaire. Rien de cela ! Molière est jeune, fougueux, amoureux et surtout, il est comédien. La fin du film nous le rappelle : c'est sur la scène que tout se joue et que s'est jouée la vie de celui qui a donné son nom à la langue française, la langue de Molière.

Sandra Leroy, Professeur de français, janvier 2007