Le sujet 2009 - Bac L - Littérature - Question |
Avis du professeur :
Le sujet vous invite à confronter une phrase de l'œuvre à l'interprétation qui peut en être faite. Le propos est centré sur le protagoniste. La question est classique et renvoie à de nombreux éléments dans l'oeuvre. |
Le Prince se
voit comme "Le dernier des Salina" : en quoi cette
expression éclaire-t-elle le sens du roman ? (12
points)
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES
DU SUJET
Sujet |
Contraintes |
Le Prince se voit comme "le dernier des Salina : |
► il s'agit d’étudier une affirmation concernant un personnage, le Prince, c'est-à-dire d'en montrer la pertinence, |
en quoi cette expression éclaire-t-elle le sens du roman ? |
► puis de montrer que cette phrase recoupe d'autres questions majeures du Guépard. |
II - LES DIFFERENTS TYPES DE PLANS
POSSIBLES
Par un plan thématique, c’est celui que nous proposons :
1.
le Prince, "le dernier des Salina" : la fin d'une
famille,
2.
l'attitude ambiguë du Prince face à ce constat lucide,
3.
le Prince incarne la fin d'un monde : celui des nobles et de
leurs valeurs.
III - LES PISTES DE REPONSES
Le plan choisi, et
qui nous a semblé le plus simple, est de type thématique
il consiste
1.
à montrer que la famille des Salina s'éteint avec le
Prince,
2.
que le Prince a conscience de ce changement mais ne résiste
pas,
3.
qu'à travers le personnage, Lampedusa expose la fin d'une
caste.
PREMIERE PARTIE
L'expression peut paraître étonnante mais elle est fondée. Quoique père de plusieurs fils, le Prince est bien le dernier des Salina : sa prestance, sa force morale, sa noblesse en un mot, semblent cruellement manquer à ses héritiers (dont l'aîné a préféré s'exiler à Londres, fuite symbolique qui prive la famille de toute pérennité). Après sa mort, seules ses filles veilleront à maintenir le lustre de la famille. Dans une société aussi patriarcale que la société sicilienne, leurs efforts ne sauraient suffire et Fabrizio devient de fait l'ultime représentant mâle des Salina dans la généalogie du roman.
De fait son existence coïncide avec les événements qui marquent l'histoire de la Sicile. La révolution survient alors qu'il est déjà âgé, et lorsqu'il meurt en 1883, la supériorité de la noblesse n'est plus qu'un souvenir en Sicile. La dernière partie qui prolonge l'action après le décès du Guépard vient souligner l'extinction de toute vie aristocratique chez les Salina : la mort de l'un a sonné le glas pour tous et les filles survivent parmi les décombres, au propre comme au figuré.
Transition
Le roman est bien le récit de la fin de vie et de la mort d'un homme dont la famille s'éteint après son décès. Paradoxalement, il semble que le personnage ne cherche pas à lutter contre ce destin.
DEUXIEME PARTIE
Si le Prince "se voit comme le dernier des Salina", c'est qu'il a pleinement conscience de ce qui se joue autour de lui.
Mais dans le même temps, il n'agit guère pour inverser le cours des choses ou pour le modifier : il refuse de s’impliquer dans le gouvernement mis en place par Garibaldi, il défend même la thèse de l'immobilisme face à Chevalley. La construction du roman rend compte de ce refus persistant de s'impliquer dans la réalité historique de la révolution : Lampedusa la tient toujours à distance, hors des murs du palais dans la première partie, insérée dans une analepse dans la troisième.
Le Père Pirrone explique, dans la cinquième partie, ce qui caractérise le comportement paradoxal du Prince (et à travers lui des nobles) : sa supériorité tient à ce qu'il refuse de se compromettre, et à ce qu'il préfère disparaître plutôt que de pactiser avec les bourgeois qui deviennent, au fur et à mesure du roman, les nouveaux maîtres de la Sicile.
Transition
Loin de lutter contre la fatalité qui fait de lui le "dernier des Salina", le Prince laisse opérer le processus révolutionnaire et social. A travers lui, c'est la déchéance de toute l'aristocratie sicilienne qui est narrée en creux par Lampedusa. En identifiant le personnage et l'animal héraldique qui donne son titre au roman, Lampedusa a fait du Prince Salina un personnage qui représente les familles nobles de la Sicile.
TROISIEME PARTIE
La sixième partie du roman élargit la réflexion proposée par Lampedusa à l'ensemble de la société aristocratique en Sicile. Le bal réunit en effet d'autres familles nobles et le Prince les regarde sans aucune bienveillance : ainsi les princesses à marier deviennent des "guenons", symbolisant la régression que devra connaître la noblesse sicilienne, incapable de faire valoir les traditions et les valeurs aristocratiques.
Dans ce même bal sont accueillis, au milieu des familles anciennes et illustres, les nouveaux riches, Angelica qui se trouve présentée comme la future femme de Tancredi, et surtout Don Calogero. Le Prince, observateur attentif, déplore cette révolution sociale, conséquence de la révolution historique. Il médite sur sa propre mort lorsqu'il se trouve face au tableau de Greuze, et perçoit à quel point le monde qu'il représente s'effondre.
La dernière partie ne manque pas d'ailleurs de donner tout son sens au roman. Si l'intrigue s'était arrêtée avec la disparition du personnage éponyme, le roman de Lampedusa n'aurait pas eu la même force : il se serait limité à raconter la vie d'un homme. En nous peignant la misère matérielle, et morale, dans laquelle vivent les filles du Guépard, le romancier rend sensible l'effondrement d'un monde. Les préoccupations vestimentaires des hommes d'église qui visitent les sœurs Salina, perceptibles dans la longue description des couvre-chefs, achèvent de donner l'image d'un monde décadent.
CONCLUSION
Loin de se limiter à décrire le Prince sur le mode de l'autoportrait social, l'expression proposée par le sujet permet de mettre en évidence l'ambiguïté qui préside à la construction de cette figure d'un noble, observateur lucide de la révolution, mais refusant de l'endiguer.
IV - LES FAUSSES PISTES
Il ne fallait pas :
●
se contenter de faire le portrait du personnage ou de
rappeler son arbre généalogique ;
●
négliger l'expression "se voit" qui
signale la lucidité du Prince et permet la problématisation;
●
se limiter à étudier le personnage et
oublier d'élargir la réflexion à l'œuvre.