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Annales gratuites Bac L : Sophocle le destin

Le sujet  2003 - Bac L - Littérature - Question Imprimer le sujet
LE SUJET

Dans sa version d'Antigone (1944) J. Anouilh fait dire à l'un des personnages : "C'est cela qui est commode dans la tragédie (...) on est tranquille, cela roule tout seul, c'est minutieux, bien huilé depuis toujours".

Votre conception du tragique est-elle en accord avec cette citation ?

LE CORRIGÉ

I - L'ANALYSE DU SUJET

Les formules contenues dans la citation peuvent être synthétisées par l'idée du destin omniprésent chez Sophocle, comme dans toute tragédie. Cependant les héros comme les intrigues de Sophocle gardent une part d'imprévisibilité, voire de liberté.

II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Dans cette question, l'accent est mis sur l'inéluctabilité absolue du destin qui dépossède l'homme de toute liberté, voire en fait un être passif. En cela Anouilh reprend l'idée traditionnelle que dans la tragédie grecque tout est joué d'avance.

Il s'agissait donc de se demander si cette vision du tragique n'est pas réductrice.

III - UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

Un des personnages d'Anouilh, dans la version contemporaine du mythe d'Antigone, souligne le caractère prévisible et sans à-coups de l'intrigue qui conduit le héros sur un chemin déjà tracé en pointillé, balisé. Et il est vrai que le poids du "fatum" semble être l'essence même de la tragédie antique ou classique. Cependant, s'il en est constitutif, il est peut être abusif de réduire la tragédie à n'être qu'une machine aux rouages bien huilés.

En effet, la tragédie a pour caractéristique que la fin est connue d'avance. Ce n'est pas le suspens de l'issue de la pièce qui tient en haleine le spectateur. La tragédie et tout particulièrement celles qui reposent sur des mythes antiques, comme Antigone, Oedipe-Roi de Sophocle, ou dans la tragédie classique Phèdre de Racine (mais aussi celles qui puisent dans l'histoire comme Bérénice), n'offrent pas de surprise en ce qui concerne l'intrigue. La puissance des dieux qui s'exercent sur les protagonistes (ou celle d'une autorité, d'un devoir qui les dépasse) oblige le personnage à aller dans les chemins tout tracés, le ramène vers la fin qui lui est promise.

Cependant l'histoire, telle qu'elle est menée, va à l'encontre de cette impression sécurisante évoquée par le personnage d'Anouilh. La tragédie est une suite d'affrontements, les "agôn" font rebondir l'intrigue, suscitent des péripéties. Contrairement au : "on est tranquille" de la citation, c'est un état d'angoisse, c'est la souffrance qui est mise en scène. Oui, il semble que tout ramène le protagoniste sur le point de s'échapper vers ce qui lui échoit, mais les chemins sont faits de rebondissements et de chausse-trappes. Tirésias, par exemple, qui devrait être la sagesse incarnée, se laisse envahir par la colère, quitte sa fonction de porte-parole des dieux, use des ressorts humains de la provocation. Il quitte, par sa provocation ironique, sa fonction de conseiller du roi pour celle du rival, de l'allié politique de Créon, et cela ne s'inscrit pas dans la formulation "cela roule tout seul" du personnage d'Anouilh.

De même, les personnages tragiques ne sont pas exempts d'initiative et de liberté, et une part de la quête ne trouve pas toujours de réponse. Lorsque Oedipe reçoit le messager de Corinthe, il est sur l'enquête policière : qui a tué Laïos ? L'annonce de la mort de Polybe fait diversion par rapport à cette enquête et entraîne Oedipe vers une autre quête : celle de ses origines. Même si nombre d'indices poussent le spectateur ou le lecteur à déduire qu'Oedipe "a dû" tuer Laïos, la tragédie n'en apporte pas la preuve formelle et matérielle : le témoin survivant du meurtre n'a pas été interrogé et ce ne sont que des suppositions ou "une intime conviction" qui désignent Oedipe comme coupable de ce meurtre. Enfin, dernier argument pour contester la position du personnage d'Anouilh, c'est le dénouement d'Oedipe-Roi : le destin d'Oedipe était écrit : "il faut bannir les coupables ou venger le meurtre par le meurtre" rapporte Créon revenant de consulter l'oracle. Or Oedipe choisit un acte libre : il revendique sa responsabilité d'homme en se crevant les yeux ; privilégiant une voie imprévue dans la tradition du genre (qui se conclut habituellement par la mort du héros) laissant la dernière parole au Coryphée "quand il s'agit d'un mortel il faut attendre sa dernière journée avant de l'appeler heureux" ; c'est ainsi que l'issue de la tragédie est repoussée à une pièce plus tardive : Oedipe à Colone, où Oedipe, bienheureux, finit dans une apothéose.

Comme nous le constatons, la vision du personnage d'Anouilh, séduisante en apparence, ne correspond pas à la richesse et à la complexité des tragédies de Sophocle, qui nous surprennent par les impasses dans lesquelles elles nous entraînent, ouvrent des voies imprévues, refusent des issues simplistes. La vision de ce personnage correspond à une simplification un peu hâtive des dramaturges du XXe siècle comme, outre Anouilh, Giraudoux ou Cocteau dans La Machine infernale qui lui aussi use d'une métaphore mécaniste pour parler de cette tragédie, "regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d'une vie humaine..."

IV - LES ERREURS A EVITER

  • Avoir une position très tranchée : confirmer ou s'opposer trop catégoriquement à la citation.
  • Faire un développement abstrait sur la conception du tragique.
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